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Les vicissitudes de l’État de droit dans l’Union européenne

Introduction

L’État de droit constitue la pierre angulaire, voire l’ossature de toutes les démocraties libérales modernes[1]. Il s’agit également d’une valeur fondamentale du droit de l’Union européenne, qui fait partie des « critères de Copenhague » repris par l’article 49 du TUE et conditionnant l’adhésion d’un État européen à l’Union. Comme il a à juste titre été signalé par la présidence finlandaise du Conseil de l’Union européenne , « [t]oute violation de l’État de droit affaiblit la confiance des citoyens et des entreprises dans l’application effective de leurs droits, et diminue[nt] la confiance mutuelle entre les États membres dans leurs systèmes juridiques. L’acceptabilité, l’unité et la crédibilité extérieure de l’Union sont mises en péril si l’État de droit n’est pas pleinement respecté à l’intérieur de l’UE »[2].

Actuellement, il est communément admis que l’État de droit dans l’Union traverse une crise grave, notamment à cause de la situation constatée dans certains de ses États membres et surtout en Hongrie et en Pologne[3]. C’est pourquoi, ces dernières années marquées par de multiples crises successives, l’Union a mis en place une série d’instruments visant à renforcer l’État de droit aussi bien au niveau de l’Union qu’à l’échelle nationale[4]. Sur ce plan, au cours même de la toute inattendue crise sanitaire ayant accentué une situation déjà conflictuelle en la matière[5], le 30 septembre 2020, la Commission européenne a publié le premier Rapport sur l’État de droit, qui examine les principales évolutions –positives et négatives– dans l’ensemble de l’Union ainsi que dans chaque État membre. Sans mettre en place un mécanisme de sanction, l’objectif de ce rapport est d’évaluer les éventuels problèmes liés à l’État de droit le plus tôt possible, de même que de mettre en avant les bonnes pratiques[6]. Il constitue l’élément fondamental du nouveau mécanisme européen annuel de protection de l’État de droit, un processus de dialogue entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, les États membres, les parlements nationaux, la société civile et d’autres parties prenantes[7]. Ce nouveau mécanisme vient renforcer la panoplie d’outils dont dispose déjà l’Union en la matière : les procédures d’infraction, qui garantissent l’application correcte du droit de l’Union, la procédure de l’article 7 du TUE, instrument exceptionnel permettant à l’Union d’agir lorsqu’il existe un risque clair de violation grave –ou une violation grave et persistante– par un État membre des valeurs énoncées à l’article 2 du TUE, y compris du respect de l’État de droit, la conditionnalité budgétaire en rapport avec l’État de droit, instrument financier destiné à protéger le budget de l’Union à l’égard de défaillances généralisées de l’État de droit dans un État membre, ainsi que le mécanisme de coopération et de vérification pour la Bulgarie et la Roumanie, par lequel la Commission suit les réformes menées par ces pays depuis leur adhésion à l’Union en 2007 dans des domaines tels que la justice et la lutte contre la corruption[8].

Est-ce que cet arsenal d’outils parviendra à renforcer effectivement l’État de droit dans l’Union européenne ? Comme le dénote le compromis ambigu qui a été adopté en matière de conditionnalité budgétaire proposé lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020 à la suite de la menace d’un véto hungaro-polonais[9], la réponse n’est pas facile. Car, l’État de droit dans l’Union connaît bien de vicissitudes qui sont inhérentes à la constitutionnalisation imparfaite de celle-ci et à la propagation de la déréglementation constitutionnelle en Europe[10].

Après la Seconde Guerre mondiale, le constitutionnalisme européen a été imprégné de l’idée de l’État de droit intimement liée au pluralisme politique et à l’idée de la normativité de la Constitution dans les ordres juridiques nationaux. Par ailleurs, dans la plupart des sociétés européennes de l’après-guerre, cet État de droit constitutionnel, principalement libéral, a été fortifié par un grand pacte social, qui a fait émerger l’idée de l’État de droit social. Cela étant, le formalisme qui caractérise la modernité juridique a été combiné avec un objectif fondamental matériel, à savoir la symbiose de la démocratie politique avec la démocratie sociale, qui était une perspective historique optimiste tant pour l’espace national que pour l’espace européen[11].

Or, cette perspective n’a pas convaincu tout le monde. La prédominance de la doctrine ultralibérale, qui est arrivée même à identifier l’effondrement du bloc communiste à la Fin de l’Histoire, a progressivement rétrogradé les devoirs fondamentaux, éloigné la démocratie du principe de souveraineté populaire, substitué l’individu au citoyen et le marché à l’État[12]. À partir des années 2000, dans le contexte d’états d’exception successifs liés au terrorisme et aux crises économique, migratoire et sanitaire, la même doctrine ultralibérale a été prônée par un décisionnisme occasionnel. Celui-ci a non seulement renforcé davantage les failles dans le formalisme et le pluralisme politique, mais aussi a promu un darwinisme normatif[13] mettant fortement en question non seulement l’idée d’État de droit social mais aussi plusieurs aspects de l’État de droit libéral. La sacralisation du marché a attribué à la réalité économique une force normative et a mis le droit lui-même en faillite. Cette emprise de l’économique sur le juridique a conduit à la flexibilisation de l’État de droit démocratique, voire à la déréglementation constitutionnelle, c’est-à-dire à l’amollissement normatif non seulement de la Constitution nationale mais de toutes les normes fondamentales, nationales ou européennes qui coexistent au sein de l’ordre juridique national[14].

Quant à l’Union européenne, après avoir échoué à se doter d’une constitution formelle proprement dite, elle n’a pas su créer une structure constitutionnelle fiable, apte à couvrir la lacune créée par la décadence des constitutions de ses États membres. Bloquée dans ses contradictions fondamentales, à savoir, d’une part, l’existence concomitante d’une monnaie unique et de dettes publiques multiples et, d’autre part, l’existence d’une zone sans frontières mais avec de multiples armées, l’Union est devenue plutôt un laboratoire mondial de fabrication d’outils juridiques conçus dans le but de remédier à l’insolvabilité de ses États membres[15], alors qu’elle n’a su défendre ni l’acquis communautaire ni la méthode communautaire. Il y a eu ainsi une réduction de la vision de la constitutionnalisation de l’Union à une architecture intergouvernementale d’assistance et de supervision de ses États membres[16].

Dans le cadre de cette dérive intergouvernementale, les valeurs communes figurant dans l’article 2 du TUE, impuissantes à promouvoir efficacement la constitutionnalisation matérielle de l’Union, se sont vus assignées une nouvelle fonction beaucoup moins prometteuse : encadrer les mesures de police constitutionnelle que l’Union peut prendre à l’égard de ses États membres. De plus, l’idée de solidarité déjà déformée par l’« aléa moral » dans le cadre de la nouvelle gouvernance économique européenne[17], a été plus clairement mise à l’écart durant la crise migratoire et n’a pas été sincèrement rétablie lors de la crise sanitaire.

Cela étant, une partie des peuples de l’Europe semble de plus en plus considérer les valeurs communes de l’Union moins comme une source d’inspiration et de perspective de coopération que comme la base d’un mécanisme répressif. À leurs yeux, ce mécanisme vise à dissuader les divergences possibles de la volonté des institutions européennes, qui semblent progressivement devenues « un parangon d’autocratie post-démocratique »[18]. Cette représentation a été exploitée par différentes forces réactionnaires, populistes, identitaires ou xénophobes, qui ont réussi à imposer un nouveau crédo antilibéral bouleversant les structures de l’État de droit et affectant davantage la sauvegarde des droits fondamentaux[19]. À leur égard, l’ordre juridique de l’Union a vraiment du mal à réagir, car le modèle du pluralisme constitutionnel qu’elle préconise n’est capable d’encadrer ni les excès de l’individualisme et du néolibéralisme ni les réactions asymétriques de ses États membres à leur égard. Au lieu de devenir un moyen de corriger la déréglementation constitutionnelle, ce modèle évolue en fait comme le prodrome de celle-ci. Cela vient confirmer les propos de tous ceux qui craignaient vraiment qu’en Europe le pluralisme constitutionnel ne serait qu’une version de monisme déguisé fonctionnant au seul profit de ceux qui détiennent le pouvoir politique[20] et qu’il mettrait en danger l’État de droit[21].

Au vu des observations susmentionnées, l’objectif de ma conférence est de montrer que l’érosion actuelle de l’État de droit n’est pas due qu’à certaines forces réactionnaires voulant ternir une réalité institutionnelle censée idyllique. Avant tout, cette érosion est provoquée par les déficits institutionnels de l’Union. D’une part, elle est la conséquence du mépris à l’égard de l’objectif fondamental de symbiose de la démocratie politique avec la démocratie sociale. L’Union européenne et ses États membres risquent la perte de l’État de droit libéral, car, en ayant méprisé son complément incontournable que constitue l’État de droit social, ils ont finalement eu une vision réductrice de ce que doit être l’État de droit (I). D’autre part, comme tout autre aspect de l’acquis communautaire qui a été remis en cause ces dernières années du fait des dérives intergouvernementales de l’Union et de l’absence de contrôle systématique et efficace de l’unionité de l’activité des autorités européennes et nationales, l’État de droit est un acquis[22] malmené (II).

I. Un objectif réduit

Dans l’Union européenne c’est une conception restrictive de l’État de droit qui domine. D’un côté, les textes du droit primaire et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ont consacré une approche plutôt formelle de l’État de droit (A). De l’autre côté, si les instances politiques de l’Union promeuvent une approche matérielle complémentaire de celui-ci, cette approche reste bloquée dans un crédo ultralibéral (B).

Α. La consécration d’une approche formelle

Εn droit positif de l’Union européenne, l’État de droit se présente comme un standard autonome à caractère principalement formel et procédural[23].

Le préambule de la Charte des droits fondamentaux qualifie l’État de droit de principe sur lequel repose l’Union et le distingue du principe de la démocratie. Il le distingue également des valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité, qu’il qualifie des valeurs fondatrices de l’Union. De sa part, l’article 2 du TUE qualifie l’État de droit de valeur sur laquelle se fonde l’Union et le juxtapose avec les autres valeurs fondatrices que constituent, selon le même article, le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité et le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités.

En utilisant les termes Communauté de droit[24], Union de droit[25] ou État de droit[26], la Cour de justice se réfère à un standard qui s’articule surtout autour de trois exigences : la légalité, la justiciabilité et la séparation des pouvoirs[27]. Certes, la Cour de justice a progressivement reconnu et mis en exergue tant la corrélation de l’État de droit avec le principe démocratique que son lien évident avec les droits de l’homme. Or, à la différence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle ne semble pas avoir adopté une superposition proprement dite de toutes ces notions[28]. Selon les juges de Kirchberg, l’État de droit désigne avant tout la limitation du pouvoir par des règles fondamentales et l’évitement de l’arbitraire par la mise en place d’un contrôle de fondamentalité. Cette approche de l’État de droit est exprimée d’une façon éloquente dans l’arrêt de principe « Les Verts » de 1986, dans lequel il a été admis que « la Communauté économique européenne est une Communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité »[29].

Cette approche formelle et procédurale, retrouvée, d’ailleurs, dans la standardisation des critères de l’État de droit par la Commission de Venise[30], est une approche restrictive, car elle néglige qu’il existe toujours une substance qui donne un sens à l’État de droit. Comme le souligne É. Carpano, « ontologiquement, l’État de droit ne saurait être l’État de n’importe quel droit, faute de quoi on viderait le concept ‘des significations politiques et idéologiques qu’il a historiquement revêtues’ et ‘le socle de valeurs et de croyances qui lui donnent une dimension très spécifique’ »[31].

B. La promotion d’une approche ultralibérale

L’incontournable approche matérielle de l’État de droit est mise au premier plan par le discours des instances politiques de l’Union et surtout par la Commission européenne. Or, il s’agit également d’une approche restrictive, parce que ce qui est promu est la doctrine ultralibérale dominante.

Dans ses textes concernant le renforcement de l’État de droit, la Commission européenne superpose la jurisprudence de la Cour de justice avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[32], ce qui lui permet d’identifier l’État de droit à l’idée de liberté et d’autonomie de l’individu à laquelle la Commission européenne fonde la démocratie et la prééminence du droit. Ainsi, le rapport annuel sur l’État de droit ne s’intéresse qu’aux systèmes de justice, aux cadres de lutte contre la corruption, au pluralisme et à la liberté des médias, ainsi qu’aux autres questions institutionnelles en rapport avec l’équilibre des pouvoirs[33].

L’aspect social de l’État de droit n’est guère présent dans le discours politique de la Commission européenne. Son absence substantielle ne s’explique pas seulement par l’amollissement normatif des droits sociaux dans la jurisprudence de la Cour de justice, qui procède à une mise en balance déséquilibrée des droits fondamentaux, en faisant prévaloir les libertés économiques sur les droits sociaux, au péril des droits garantis par le droit national[34]. Au cours de la crise de dette souveraine dans la zone euro, la Commission européenne, en tant que membre de la Troïka avec la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, a contribué à la mise en place de plusieurs mécanismes d’assistance financière aux États membres en difficulté. La conditionnalité de ces mécanismes reposait sur la restriction systématique des droits constitutionnels et, notamment, des droits sociaux, ainsi que sur l’idée néolibérale de l’« aléa moral », qui reflète une conception quasi-punitive de la solidarité[35]. Par ailleurs, la dégénérescence de la solidarité entre les États membres de l’Union a davantage été aggravée lors de la gestion de la crise migratoire, qui a mis en évidence que la coopération des États membres de l’Union en matière d’asile vise moins à accorder des droits aux particuliers qu’à organiser les relations entre États[36]. Certes, devant le choc provoqué par la crise de Covid-19, la discipline budgétaire s’est détendue[37], de nouvelles mesures financières d’urgence ont été adoptées, de nombreuses adaptations des règles de marché unique ont été mises en place[38] et certaines voix officielles ont même commencé à parler de la nécessité d’augmenter la dette publique, des emprunts européens communs, des subventions et de la fiscalité unique au niveau de l’Union. Toutefois, au fur et à mesure où la gestion de la crise sanitaire évolue, la solidarité sincère recherchée a du mal à être assurée tant au niveau européen qu’à l’échelle mondiale. Entre autres, la « guerre des vaccins » imprégnée de « la nature autodestructrice du nationalisme vaccinal »[39] montre que la protection de la santé publique tend à s’incliner encore une fois devant le status quo économique et géopolitique[40].

Cette sous-évaluation progressive et systématique de l’État de droit social n’est pas sans rapport avec les cas de remise en cause de l’État de droit libéral, voire avec la crise de crédibilité de toute idée d’État de droit dans l’Union européenne. Dans le cadre du processus de l’intégration européenne et de la mondialisation, la réduction du juridique à l’économique avait depuis longtemps accéléré la course au « moins-disant » social et avait mis en question le pacte social sur lequel avaient reposé une grande partie des constitutions nationales de l’après-guerre. Dans le cadre de la crise de la zone euro, la réduction de l’économique au financier a déstabilisé même cet acquis communautaire, dont la logique ordolibérale a été devancée par la recherche de l’efficience économique. En devenant l’objectif fondamental de l’Union, le monétarisme radical a signé la fin de la phase de constitutionnalisation de l’Europe, de l’âge d’or pour les partisans du constitutionnalisme européen qui prônaient son caractère de paradigme universel. En même temps, elle a inauguré une phase de déconstitutionnalisation menée par un discours néolibéral revivifié. Derrière ce discours monocausal réducteur s’est profilé l’autoritarisme d’une Europe sans doute institutionnellement et historiquement affaiblie, qui est à la recherche de son identité dans les rapports des agences de notation financière[41] tout en étant divisée entre États membres créanciers et États membres débiteurs. Les rythmes des marchés financiers se sont substitués, dans une large mesure, tant aux normes juridiques qu’à l’activité politique. En admettant qu’il ne pourrait pas y avoir d’alternative, ce qui discrédite les élections politiques et les compétences effectives des parlements nationaux, l’Union a imprimé son déficit démocratique dans ses États membres débiteurs. Parfois, elle est même arrivée à saper directement l’État de droit dans l’ordre juridique de ces États, à l’instar de la Troïka qui, pour faciliter l’augmentation des recettes publiques, a encouragé le législateur grec à continuer la politique de légalisation des constructions illégales et à ne pas respecter la jurisprudence constante du Conseil d’État de Grèce ayant caractérisé cette politique d’incompatible avec l’État de droit[42]. Tout cela a aggravé le sentiment de dépossession des citoyens de l’Union, favorisé leur repli national et, dans une grande mesure, alimenté les discours réactionnaires, populistes, identitaires et xénophobes.

En effet, le phénomène actuel de l’affaiblissement de l’État de droit libéral au sein de l’Union, qui oscille entre le simple contournement des principes libéraux jusqu’au développement des politiques illibérales systématiques, ne concerne pas seulement la violation du droit de l’Union par certains États membres. Il concerne aussi bien l’ensemble des États membres que l’Union elle-même. Si la tension de chaque manifestation dudit phénomène peut s’expliquer, selon le cas, par les particularités du contexte spécifique, européen ou national, sa reproduction à tous les niveaux trouve un dénominateur commun à la propagation généralisée du libéralisme autoritaire au sein de l’Union.

II. Un acquis malmené

Face aux multiples crises successives qu’elle traverse ces dernières années, l’Union n’a pas su suffisamment défendre même la conception réduite de l’État de droit à laquelle elle aspire. La déréglementation qui caractérise le constitutionalisme européen actuel a touché les deux composants principaux de la conception formelle et procédurale de l’État de droit libéral, à savoir la force obligatoire des traités européens et les garanties de leur respect. D’une part, les traités européens sont devenus trop souples pour pouvoir orienter l’activité des organes de l’Union et de ses États membres. Ainsi, les traités sont très souvent dépassés par les dérives intergouvernementales que connaît l’aventure de l’unification européenne (A). D’autre part, les contrôles de la compatibilité de l’activité des autorités européennes et nationales avec le droit de l’Union ne sont pas suffisants (B).

A. Les dérives intergouvernementales

Alors que la constitutionnalisation de l’Union est conditionnée par la séparation de son ordre juridique du contexte intergouvernemental de ses origines et le développement de son autonomie par rapport au droit international public[43], l’Union est toujours restée tributaire de la logique intergouvernementale. La gestion des crises financière et migratoire a montré que, même dans l’ère post westphalienne, ce sont les États-nations –du moins les États créanciers– qui, bien que substantiellement transformés, restent les auteurs principaux du droit. Ainsi, à l’opposé du discours officiel, il ne paraît pas évident en pratique d’associer l’Union à une communauté de valeurs fondamentales ; ni de parler sincèrement d’autonomie de son système juridique par rapport au droit international public[44].

En effet, dans le contexte des multiples crises successives, un nouvel intergouvernementalisme (« new intergovernmentalism ») a été de principe pratiqué. Il se caractérise notamment par l’évolution du Conseil européen vers un forum décisionnel chargé de coordonner l’action collective et il est apparu comme la réponse au paradoxe de l’intégration post-Maastricht : bien que les États membres reconnaissent qu’ils sont concernés par une action commune, ils hésitent à déléguer les compétences décisionnelles à l’Union[45]. En même temps, la Banque centrale européenne, en tant que pouvoir technocratique, exerce une politique monétaire d’orientation quasi-fédérale[46], alors que la Commission européenne, chargée d’une surveillance quasi-quotidienne des programmes macro-économiques, joue un rôle important notamment en matière de procédure de déficit excessif[47]. Dans le cadre de cette architecture institutionnelle à géométrie variable, il est fort difficile d’accepter que l’ordonnancement du pluralisme constitutionnel auquel aspire l’Union existe vraiment et repose sur des valeurs et principes de la culture juridique européenne. Il en va ainsi notamment pour la protection des droits de l’homme que constitue la prémisse majeure de la conception matérielle de l’État de droit. Les traités européens deviennent souples et évoquent un fonctionnalisme qui, même dans le cadre du pluralisme constitutionnel, différencie la protection des droits de l’homme au sein de l’Union de leur protection au sein des ordres juridiques des États membres et ne facilite guère l’identification de valeurs communes qui pourraient fonder une véritable constitutionnalisation matérielle intégrant pleinement les ordres juridiques nationaux[48].

Sur ce plan, l’acquis communautaire de l’État de droit se relativise à l’extrême, puisqu’il se trouve constamment tributaire d’une négociation intergouvernementale. Un exemple caractéristique en constitue le lancement en 2018 par la Commission européenne de la réflexion autour d’une nouvelle réglementation permettant de conditionner l’octroi de fonds européens au respect de l’État de droit. Ce lancement s’explique sans doute par  l’« obstruction politique à l’échelon intergouvernemental » qui n’a pas permis la pleine mise en œuvre de l’article 7 du TUE, « les États ne voulant pas mettre au ban l’un de leur[s] pair[s] »[49].

Du point de vue juridique, tout cela accroît le déficit constitutionnel de l’Union.  Du point de vue politique, le slogan « plus d’Europe » arrive à contribuer au développement de l’euroscepticisme et de tendances centrifuges, car ce slogan ne signifie, en fait, que « plus de coopération intergouvernementale » sous la tutelle « germano-française » ou simplement allemande[50].

B. Les contrôles insuffisants

Ni l’activité des organes de l’Union ni l’activité des autorités nationales ne sont assujetties à de contrôles systématiques et efficaces de leur compatibilité avec le droit de l’Union.

Quant à l’activité des organes de l’Union, la Cour de justice semble avoir eu du mal à défendre certaines des pierres angulaires de la superstructure juridique qu’elle a, elle-même, créée. Tout d’abord, elle n’a pu ni éviter ni efficacement encadrer les dérives intergouvernementales ayant remis en cause tant la méthode communautaire que l’équilibre des pouvoirs au sein de l’Union. Une fois la nature exceptionnelle des nouveaux pouvoirs des organes de l’Union dissimulée dans une interprétation banale des traités, les juges européennes ont souvent opté pour un souple encadrement de ces pouvoirs, dans le cadre duquel, au lieu des compétences proprement dites, les organes de l’Union seraient souvent tributaires de simples « tâches »[51]. Ensuite, en évitant d’intervenir en temps utile et en faisant comme si aucun événement exceptionnel ne menaçait l’acquis communautaire, la Cour de justice a semblé avoir sous-estimé l’importance de sauvegarder la sécurité juridique et a laissé cet acquis à la merci des compromis intergouvernementaux. Qui plus est, elle n’a pas su gérer le dialogue avec les juges nationaux pour mieux assurer l’application uniforme du droit de l’Union dans le contexte du pluralisme constitutionnel existant, ni pour empêcher la transformation de l’Union en un mécanisme à plusieurs vitesses qui distingue entre les États membres débiteurs et les États membres créanciers. En effet, la jurisprudence de la Cour de justice ne constitue pas un exemple typique d’autolimitation du juge à l’égard de la priorité des choix effectués par le pouvoir politique pour faire face à une crise grave. Elle évoque plutôt la difficulté de la Cour de justice à jouer le rôle d’une véritable cour constitutionnelle qui, tout en cédant au pouvoir politique l’initiative de gérer la crise et en admettant l’adaptation temporaire de l’Union aux exigences de la conjoncture internationale, aurait su encadrer sans retard les choix politiques[52].

Ainsi, à titre indicatif, il convient de signaler que, dans leur arrêt du 27 novembre 2012 sur l’affaire Pringle (C-370/12), les juges de Kirchberg ont, en réalité, interprété le traité conformément aux compromis politiques auxquels les États membres sont parvenus. En outre, par leur arrêt du 16 juin 2015 sur l’affaire Gauweiler (C-62/14), ils ont de nouveau offert une légitimité juridique ex post cette fois au volontarisme de la Banque centrale européenne. Par ailleurs, dans leurs arrêts du 20 septembre 2016 sur les affaires Mallis et Malli / Commission et BCE (C-105 à 109/15 P) et du 16 décembre 2020 sur les affaires Conseil / K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P), ils ne se sont pas servis de la jurisprudence « Les Verts » pour apprivoiser la puissance incontestable de cette « forme particulière d’intergouvernementalisme »[53] incarnée par l’Eurogroupe. Enfin, par une démonstration de formalisme juridique dans les trois ordonnances du 28 février 2017, le Tribunal de l’Union européenne s’est déclaré incompétent pour connaître les recours de trois demandeurs d’asile à l’encontre de la déclaration conjointe UE-Turquie du 18 mars 2016, en suivant un syllogisme selon lequel, en l’occurrence, les circonstances ne sauraient permettre de considérer que la réunion du 18 mars 2016 entre le Conseil européen et le Premier ministre turc avait conduit à la conclusion, pour le compte de l’Union, d’un accord avec la République de Turquie[54].

Quant à l’activité des autorités étatiques, l’absence de volonté ou de capacité des autorités européennes et nationales d’atteindre, d’une manière cohérente, systématique et uniforme, l’objectif de renforcement de l’État de droit met en cause leur efficacité, voir leur sincérité et, de ce fait, ébranle la foi à l’existence de l’État de droit elle-même.

La Commission européenne semble réagir à la carte face aux défaillances de l’État de droit. Outre ses réactions tardives même à l’égard de l’affaire polonaise[55], il en est particulièrement révélateur qu’elle a adopté une réaction très prudente et insuffisamment motivée à l’égard de la décision du Gouvernement grec de mettre fin de manière anticipée au mandat du Président, du Vice-Président et de deux autres membres de la Commission de concurrence en Grèce[56]. Toutefois, cette décision était prise, pour des raisons d’opportunité politique, sur la base d’une législation nationale ayant, en violation du droit de l’Union, introduit des nouvelles incompatibilités immédiatement applicables sans prévoir des mesures transitoires permettant de garantir le respect de la durée du mandat des quatre membres susmentionnés de la Commission de concurrence qui exerçaient déjà leurs fonctions[57].

De sa part, le juge national n’assume pas toujours pleinement son rôle de juge de droit commun du droit de l’Union. Il refuse souvent de procéder à un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice, ce qui lui permet même d’interpréter le droit de l’Union conformément au droit et aux intérêts nationaux au péril de la violation des droits fondamentaux. Ainsi, dans ses arrêts n° 2347/2017 et n° 2348/2017, l’Assemblée du Conseil d’État de Grèce s’est livrée à une interprétation minutieuse des dispositions de l’article 38 de la directive 2013/32/UE portant sur le concept de « pays tiers sûr » et des dispositions de l’article 56 de la loi n° 4375/2016 ayant transposé cette directive en droit grec. Toutefois, pour ne pas remettre en question le mécanisme de renvoi de migrants en Turquie introduit par la déclaration conjointe UE-Turquie du 18 mars 2016, elle n’a pas posé de questions préjudicielles auprès de la Cour de justice, bien qu’une très forte minorité de douze sur les vingt-sept membres de l’Assemblée aient considéré qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer la théorie dite de l’« acte clair »[58].

Si à ce qui précède s’ajoute le fait que, comme le relève l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 5 mai 2020 concernant le programme de la Banque centrale européenne sur les achats d’actifs du secteur public sur le marché secondaire[59], le dialogue entre la Cour de justice et les juges nationaux évolue d’une manière dissymétrique, voire polémique, il devient évident pourquoi le déficit de sécurité juridique se creuse excessivement et sape toute conception de l’État de droit dans l’Union[60].

Conclusions

L’État de droit est un acquis du constitutionnalisme étatique moderne par essence évolutif, aussi bien dynamique que fragile. Il est constamment mis en question par toute sorte de puissance publique ou privée émergeant des transformations continues des États et des sociétés et revendiquant leur propre constitutionnalisation. C’est pourquoi la garantie de l’État de droit constitue un objectif constitutionnel constant.

En essayant d’intégrer le concept et les garanties de l’État de droit, l’Union européenne les a exposés aux vicissitudes de l’imaginaire constitutionnel du droit européen qui préconise un État de droit sans l’État. Ainsi, l’État de droit dans l’Union est surdéterminé par les multiples fissures de la constitutionnalisation imparfaite de celle-ci.

Dès lors, tout projet de renforcement sincère et effectif de l’État de droit dans l’Union ne doit pas se borner à la mise en œuvre des mesures de police constitutionnelle pour juguler les excès illibéraux ou antilibéraux de certains États membres dont la dangerosité incontestable ne doit pas couvrir celle des excès d’autoritarisme provenant d’autres États membres ou de l’Union elle-même. Un tel projet doit avant tout viser la constitutionnalisation démocratique de cette dernière qui assurera la symbiose de la démocratie politique avec la démocratie sociale sur la base de procédures et d’institutions appropriées permettant de réaliser des politiques dictées non par le monologisme des marchés financiers mais par un débat public pluraliste. Renforcer l’État de droit dans l’Union présuppose de réinventer l’Union.


[1] Voir É. Carpano, « La crise de l’État de droit en Europe. De quoi parle-t-on ? », RDLF 2019, chron. n° 29 [www.revuedlf.com].

[2] Voir « Renforcement de l’État de droit » [https://eu2019.fi/fr/documents-de-fond/etat-de-droit].

[3] Voir Y. Petit, « Commission européenne, Hongrie, Pologne : le combat de l’État de droit », Civitas Europa, vol. 40, no 1, 2018, p. 145 s..

[4] Voir la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Rapport 2020 sur l’état de droit. La situation de l’état de droit dans l’Union européenne, Bruxelles, le 30.9.2020 COM (2020) 580 final [https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/communication_2020_rule_of_law_report_fr_0.pdf].

[5] Voir D. Rojas, « L’État de droit en période de Covid-19 : l’Union européenne mise à l’épreuve », RTDeur 3/2020, p. 531 s..

[6] Voir la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Rapport 2020 sur l’état de droit. La situation de l’état de droit dans l’Union européenne, op. cit..

[7] Voir Rapport 2020 sur l’État de droit – QUESTIONS ET RÉPONSES, Bruxelles, le 30.9.2020 [https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_20_1757].

[8] Ibidem.

[9] Voir « Plan de relance : l’UE trouve un compromis avec la Pologne et la Hongrie », journal Le point, 11.12.2020 [https://www.lepoint.fr/politique/sommet-de-l-ue-la-voie-est-libre-pour-le-plan-de-relance-massif-post-covid-10-12-2020-2405226_20.php]. Voir aussi sur l’intention du ministre polonais de la Justice de saisir le Tribunal constitutionnel polonais pour que le règlement n° 2020/2092 de l’Union reliant l’État de droit à la suspension des fonds européens soit déclaré incompatible avec la constitution polonaise, M. Taborowski, « In the EU, it’s the Rule of Law. In Poland, it’s Unconstitutional? », VerfBlog, 1.2.2021 [https://verfassungsblog.de/in-the-eu-its-the-rule-of-law-in-poland-its-unconstitutional/].

[10] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, Sakkoulas Publications, Athènes-Salonique, 2019.

[11] Idem, n° 1.

[12] Voir C. Yannakopoulos, « La mutation du sujet des droits constitutionnels » (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 2/2012, p. 146 s..

[13] Voir A. Supiot, L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Seuil, Paris, 2010, p. 64.

[14] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 6 s..

[15] Voir E. Chiti – P.G. Teixeira, « The Constitutional Implications of the European Responses to the Financial and Public Debt Crisis », Common Market Law Review 3/2013, vol. 50, p. 683 s..

[16] Voir P. Craig, « Economic Governance and the Euro Crisis : Constitutional Architecture and Constitutional Implications », in  M. Adams – F. Fabbrini – P. Larouche (ed.), The Constitutionalization of European Budgetary Constraints, Hart, Oxford, 2014, p. 19 s..

[17] Voir M. Ioannidis, « Debt restructuring in the light of Pringle and Gauweiler – flexibility and conditionality », ESCB Legal Conference 2016, ECB, Frankfurt, 2017, p. 78 s..

[18] Voir J. Habermas, La constitution de l’Europe, Gallimard, Paris, 2012, p. 14.

[19] Voir É. Carpano, « La crise de l’État de droit en Europe. De quoi parle-t-on ? », op. cit..

[20] Voir A. Somek, « Monism: A Tale of the Undead », University of Iowa Legal Studies Research Paper no 10-22, juin 2010, SSRN [https://ssrn.com/abstract=1606909].

[21] Voir J. Baquero Cruz, « The Legacy of the Maastricht Urteil and the Pluralist Movement », European Law Journal 4/2008, vol. 14, p. 389 s..

[22] Sur l’existence d’un « acquis communautaire » de l’État de droit, voir L. Mede, « L’État de droit à l’épreuve de l’intégration européenne. Recherche sur le ‘dilemme de Copenhague’, paradoxe de l’intégration », Revue de l’Union européenne 10/2018, no 622, p. 589 s..

[23] Voir É. Carpano, « La définition du standard européen de l’État de droit », RTDeur 2/2019, p. 255 s..

[24] Voir, à titre indicatif, CJUE, 25.7.2002, C-50/00 P, Unión de Pequeños Agricultores / Conseil, point 38.

[25] Voir, à titre indicatif, CJUE, 27.2.2018, C-64/16, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, point 31.

[26] Voir, à titre indicatif, CJUE, 9.7.2020, C-272/19, Land Hessen, point 45.

[27] Voir É. Carpano, « La définition du standard européen de l’État de droit », op. cit..

[28] Pour une analyse comparative de la jurisprudence de deux Cours, ibidem.

[29] Voir CJUE, 23.4.1986, 294/83, Parti écologiste “Les Verts” / Parlement européen, point 23.

[30] Voir Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), Liste des critères de l’État de droit, CDL-AD (2016) 007 [https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2016)007-f].

[31] Voir É. Carpano, « La définition du standard européen de l’État de droit », op. cit..

[32] Voir, à titre indicatif, la Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit, COM (2014) 0158 final [https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52014DC0158&from=fr].

[33] Voir la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Rapport 2020 sur l’état de droit. La situation de l’état de droit dans l’Union européenne, op. cit..

[34] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., not. n° 92.

[35] Idem, n° 27.

[36] Idem, n° 93.

[37] Voir la Communication de la Commission au Conseil sur l’activation de la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance du 20.3.2020, Bruxelles, COM(2020) 123 final [https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0123&from=ES], A. Potteau, « La contribution de l’Union européenne au soutien apporté à l’économie dans le contexte de la pandémie de Covid-19 », Revue générale du droit on line, 2020, numéro 52711 [www.revuegeneraledudroit.eu/?p=52711].

[38] Voir Livre blanc : Droit de l’Union européenne et COVID-19 [réalisé par D. Berlin], Éditions Larcier et Éditions Législatives, 2020, D. Blanc, « L’Union européenne face au coronavirus : une réponse globale pour une crise sanitaire globale », RDLF 2020, chron. n°17, D. Ritleng (dir.), « Dossier : L’Union européenne face à la crise de Covid-19 », RTDeur 3/2020, p. 483 s..

[39] Voir A. von Bogdandy, P. Villarreal, « The EU’s and UK’s Self-Defeating Vaccine Nationalism », VerfBlog, 30.1.2021 [https://verfassungsblog.de/the-eus-and-uks-self-defeating-vaccine-nationalism/].

[40] Cf. C. Yannakopoulos, « La protection de la santé aura-t-elle le sort de la protection de l’environnement ? » (en grec), www.constitutionalism.gr, 21.5.2020.

[41] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., not. n° 93.

[42] Idem, n° 39.

[43] Voir E. S. Tanasescu, « Rôle des droits fondamentaux dans la constitutionnalisation de l’ordre juridique de l’UE », in The Court of Justice and the Construction of Europe : Analyses and Perspectives on Sixty Years of Case-lawLa Cour de Justice et la Construction de l’Europe : Analyses et Perspectives de Soixante Ans de Jurisprudence, 2013, p. 207 s. et not. p. 214 s..

[44] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 81.

[45] Voir U. Puetter, « New Intergovernmentalism: The European Council and its President », in F. Fabbrini, E. Hirsch Ballin, H. Somsen (ed.), What form of government for the European Union and the Eurozone?, Hart Publishing, Oxford, 2015, p. 253 s., C. J. Bickerton, D. Hodson, U. Puetter, « The New Intergovernmentalism: European Integration in the Post-Maastricht Era », JCMS 4/2015, vol. 53, p. 703 s..

[46] Voir Ch. Gortsos, « Legal Aspects of the European Central Bank (ECB) – The ECB within the European System of Central Banks (ESCB) and the European System of Financial Supervision (ESFS) », Second (Extended and Updated) Edition, 31.8.2018 [https://ssrn.com/abstract=3162024].

[47] Voir M. Ioannidis, « EU financial assistance conditionality after ‘Two Pack’ », 74 ZaöRV 2014, p. 61 s. [https://www.zaoerv.de/74_2014/74_2014_1_a_61_104.pdf].

[48] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 89.

[49] Voir A. Potor, « Compromis sur l’État de droit : une solution douce-amère » [https://www.taurillon.org/compromis-sur-l-etat-de-droit-une-solution-douce-amere?lang=fr].

[50] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 134.

[51] Idem, n° 107.

[52] Voir C. Yannakopoulos, « La Cour de justice de l’Union européenne et la crise de la zone Euro : ‘La Trahison des images’ », www.constitutionalism.gr, 2.4.2017.

[53] Voir les conclusions du 28 mai 2020 de l’avocat général M. G. Pitruzzella dans ces affaires, point 106.

[54] Voir les ordonnances du Tribunal dans les affaires T-192/16, NF / Conseil européen, T-193/16, NG / Conseil européen, et T-257/16, NM / Conseil européen, qui ont été attaquées par des pourvois en cassation rejetés par une ordonnance de la Cour de justice du 12 septembre 2018.

[55] Voir L. Pech, P. Wachowiec, D. Mazur, « 1825 Days Later: The End of the Rule of Law in Poland (Part I) », VerfBlog, 13.1.2021 [https://verfassungsblog.de/1825-days-later-the-end-of-the-rule-of-law-in-poland-part-i/].

[56] Le 7 octobre 2019, M. Vestager a déclaré au nom de la Commission européenne que « [t]he question of legality of the amendment and the dismissal orders is presently before the Greek Council of State. The Commission has full trust in the impartial assessment by this Court. The Commission understands from the Greek government that it intends to avoid politically influenced appointments or decisions by individuals having worked in positions close to the government during a cooling off period of 5 years. According to Directive 2019/1 (“the ECN+ Directive”), decision makers of national competition authorities cannot take instructions from any public entity, including the government. Therefore, even if a decision maker of a national competition authority would have previously worked for the government, that individual should in the future be guaranteed independence in the performance of his/her duties also absent the type of rule introduced in Greek law by the amendment. While the ECN+ Directive already foresees guarantees from political interference in the decision making of the national competition authorities, it does not prevent Member States from introducing stricter conditions for appointments as an extra safeguard against political interference. In this regard, the ECN+ Directive only sets a minimum standard of protection. The ECN+ Directive foresees that the decision makers of national competition authorities can be dismissed only if they have either been found guilty of serious misconduct or no longer fulfil the conditions for the performance of their duties as laid down in advance in law. However, the implementation period of the ECN+ Directive does not expire until February 2021. In this period, the legal effect of the Directive is not the same as after the expiry of the deadline. In these circumstances, it does not appear justified to take further action at this stage. The Commission is in close contacts with the Member States as regards the implementation of Directive 2019/1. Once transposed, the ECN+ Directive will ensure that national competition authorities have the necessary independence, tools and resources they need to be fully effective enforcers » [http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/P-9-2019-002526-ASW_EN.pdf].

[57] Voir C. Yannakopoulos, « Le renforcement à la carte de l’État de droit (Symvoulio tis Epikrateias [Conseil d’État de Grèce], 3 septembre 2019, n° 230-232/2019 [Commission des sursis, Assemblée], www.ste.gr », in E. Saulnier-Cassia (dir.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne » (chronique), RTDeur 1/2020, p. 155 s..

[58] Voir C. Yannakopoulos, « Un tiers pays nommé sûreté ! (Symvoulio tis Epikrateias [Conseil d’État de Grèce], 22 sept. 2017, n° 2347/2017 et 2348/2017 [Assemblée], www.ste.gr ; Théorie et pratique de droit administratif [revue juridique grecque] 8-9/2017, p. 910, obs. K. Markou-Farmakidis) », in E. Saulnier-Cassia (dir.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne » (chronique), RTDeur 1/2018, p. 191 s..

[59] Voir C. Yannakopoulos, « Les mutations du constitutionnalisme européen déréglementé. Réflexions à propos de l’arrêt PSPP de la Cour constitutionnelle allemande du 5 mai 2020 », RDP 4/2020, p. 1041 s..

[60] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 148 s..

Les vicissitudes de l’État de droit dans l’Union européenne

Introduction

L’État de droit constitue la pierre angulaire, voire l’ossature de toutes les démocraties libérales modernes[1]. Il s’agit également d’une valeur fondamentale du droit de l’Union européenne, qui fait partie des « critères de Copenhague » repris par l’article 49 du TUE et conditionnant l’adhésion d’un État européen à l’Union. Comme il a à juste titre été signalé par la présidence finlandaise du Conseil de l’Union européenne , « [t]oute violation de l’État de droit affaiblit la confiance des citoyens et des entreprises dans l’application effective de leurs droits, et diminue[nt] la confiance mutuelle entre les États membres dans leurs systèmes juridiques. L’acceptabilité, l’unité et la crédibilité extérieure de l’Union sont mises en péril si l’État de droit n’est pas pleinement respecté à l’intérieur de l’UE »[2].

Actuellement, il est communément admis que l’État de droit dans l’Union traverse une crise grave, notamment à cause de la situation constatée dans certains de ses États membres et surtout en Hongrie et en Pologne[3]. C’est pourquoi, ces dernières années marquées par de multiples crises successives, l’Union a mis en place une série d’instruments visant à renforcer l’État de droit aussi bien au niveau de l’Union qu’à l’échelle nationale[4]. Sur ce plan, au cours même de la toute inattendue crise sanitaire ayant accentué une situation déjà conflictuelle en la matière[5], le 30 septembre 2020, la Commission européenne a publié le premier Rapport sur l’État de droit, qui examine les principales évolutions –positives et négatives– dans l’ensemble de l’Union ainsi que dans chaque État membre. Sans mettre en place un mécanisme de sanction, l’objectif de ce rapport est d’évaluer les éventuels problèmes liés à l’État de droit le plus tôt possible, de même que de mettre en avant les bonnes pratiques[6]. Il constitue l’élément fondamental du nouveau mécanisme européen annuel de protection de l’État de droit, un processus de dialogue entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, les États membres, les parlements nationaux, la société civile et d’autres parties prenantes[7]. Ce nouveau mécanisme vient renforcer la panoplie d’outils dont dispose déjà l’Union en la matière : les procédures d’infraction, qui garantissent l’application correcte du droit de l’Union, la procédure de l’article 7 du TUE, instrument exceptionnel permettant à l’Union d’agir lorsqu’il existe un risque clair de violation grave –ou une violation grave et persistante– par un État membre des valeurs énoncées à l’article 2 du TUE, y compris du respect de l’État de droit, la conditionnalité budgétaire en rapport avec l’État de droit, instrument financier destiné à protéger le budget de l’Union à l’égard de défaillances généralisées de l’État de droit dans un État membre, ainsi que le mécanisme de coopération et de vérification pour la Bulgarie et la Roumanie, par lequel la Commission suit les réformes menées par ces pays depuis leur adhésion à l’Union en 2007 dans des domaines tels que la justice et la lutte contre la corruption[8].

Est-ce que cet arsenal d’outils parviendra à renforcer effectivement l’État de droit dans l’Union européenne ? Comme le dénote le compromis ambigu qui a été adopté en matière de conditionnalité budgétaire proposé lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020 à la suite de la menace d’un véto hungaro-polonais[9], la réponse n’est pas facile. Car, l’État de droit dans l’Union connaît bien de vicissitudes qui sont inhérentes à la constitutionnalisation imparfaite de celle-ci et à la propagation de la déréglementation constitutionnelle en Europe[10].

Après la Seconde Guerre mondiale, le constitutionnalisme européen a été imprégné de l’idée de l’État de droit intimement liée au pluralisme politique et à l’idée de la normativité de la Constitution dans les ordres juridiques nationaux. Par ailleurs, dans la plupart des sociétés européennes de l’après-guerre, cet État de droit constitutionnel, principalement libéral, a été fortifié par un grand pacte social, qui a fait émerger l’idée de l’État de droit social. Cela étant, le formalisme qui caractérise la modernité juridique a été combiné avec un objectif fondamental matériel, à savoir la symbiose de la démocratie politique avec la démocratie sociale, qui était une perspective historique optimiste tant pour l’espace national que pour l’espace européen[11].

Or, cette perspective n’a pas convaincu tout le monde. La prédominance de la doctrine ultralibérale, qui est arrivée même à identifier l’effondrement du bloc communiste à la Fin de l’Histoire, a progressivement rétrogradé les devoirs fondamentaux, éloigné la démocratie du principe de souveraineté populaire, substitué l’individu au citoyen et le marché à l’État[12]. À partir des années 2000, dans le contexte d’états d’exception successifs liés au terrorisme et aux crises économique, migratoire et sanitaire, la même doctrine ultralibérale a été prônée par un décisionnisme occasionnel. Celui-ci a non seulement renforcé davantage les failles dans le formalisme et le pluralisme politique, mais aussi a promu un darwinisme normatif[13] mettant fortement en question non seulement l’idée d’État de droit social mais aussi plusieurs aspects de l’État de droit libéral. La sacralisation du marché a attribué à la réalité économique une force normative et a mis le droit lui-même en faillite. Cette emprise de l’économique sur le juridique a conduit à la flexibilisation de l’État de droit démocratique, voire à la déréglementation constitutionnelle, c’est-à-dire à l’amollissement normatif non seulement de la Constitution nationale mais de toutes les normes fondamentales, nationales ou européennes qui coexistent au sein de l’ordre juridique national[14].

Quant à l’Union européenne, après avoir échoué à se doter d’une constitution formelle proprement dite, elle n’a pas su créer une structure constitutionnelle fiable, apte à couvrir la lacune créée par la décadence des constitutions de ses États membres. Bloquée dans ses contradictions fondamentales, à savoir, d’une part, l’existence concomitante d’une monnaie unique et de dettes publiques multiples et, d’autre part, l’existence d’une zone sans frontières mais avec de multiples armées, l’Union est devenue plutôt un laboratoire mondial de fabrication d’outils juridiques conçus dans le but de remédier à l’insolvabilité de ses États membres[15], alors qu’elle n’a su défendre ni l’acquis communautaire ni la méthode communautaire. Il y a eu ainsi une réduction de la vision de la constitutionnalisation de l’Union à une architecture intergouvernementale d’assistance et de supervision de ses États membres[16].

Dans le cadre de cette dérive intergouvernementale, les valeurs communes figurant dans l’article 2 du TUE, impuissantes à promouvoir efficacement la constitutionnalisation matérielle de l’Union, se sont vus assignées une nouvelle fonction beaucoup moins prometteuse : encadrer les mesures de police constitutionnelle que l’Union peut prendre à l’égard de ses États membres. De plus, l’idée de solidarité déjà déformée par l’« aléa moral » dans le cadre de la nouvelle gouvernance économique européenne[17], a été plus clairement mise à l’écart durant la crise migratoire et n’a pas été sincèrement rétablie lors de la crise sanitaire.

Cela étant, une partie des peuples de l’Europe semble de plus en plus considérer les valeurs communes de l’Union moins comme une source d’inspiration et de perspective de coopération que comme la base d’un mécanisme répressif. À leurs yeux, ce mécanisme vise à dissuader les divergences possibles de la volonté des institutions européennes, qui semblent progressivement devenues « un parangon d’autocratie post-démocratique »[18]. Cette représentation a été exploitée par différentes forces réactionnaires, populistes, identitaires ou xénophobes, qui ont réussi à imposer un nouveau crédo antilibéral bouleversant les structures de l’État de droit et affectant davantage la sauvegarde des droits fondamentaux[19]. À leur égard, l’ordre juridique de l’Union a vraiment du mal à réagir, car le modèle du pluralisme constitutionnel qu’elle préconise n’est capable d’encadrer ni les excès de l’individualisme et du néolibéralisme ni les réactions asymétriques de ses États membres à leur égard. Au lieu de devenir un moyen de corriger la déréglementation constitutionnelle, ce modèle évolue en fait comme le prodrome de celle-ci. Cela vient confirmer les propos de tous ceux qui craignaient vraiment qu’en Europe le pluralisme constitutionnel ne serait qu’une version de monisme déguisé fonctionnant au seul profit de ceux qui détiennent le pouvoir politique[20] et qu’il mettrait en danger l’État de droit[21].

Au vu des observations susmentionnées, l’objectif de ma conférence est de montrer que l’érosion actuelle de l’État de droit n’est pas due qu’à certaines forces réactionnaires voulant ternir une réalité institutionnelle censée idyllique. Avant tout, cette érosion est provoquée par les déficits institutionnels de l’Union. D’une part, elle est la conséquence du mépris à l’égard de l’objectif fondamental de symbiose de la démocratie politique avec la démocratie sociale. L’Union européenne et ses États membres risquent la perte de l’État de droit libéral, car, en ayant méprisé son complément incontournable que constitue l’État de droit social, ils ont finalement eu une vision réductrice de ce que doit être l’État de droit (I). D’autre part, comme tout autre aspect de l’acquis communautaire qui a été remis en cause ces dernières années du fait des dérives intergouvernementales de l’Union et de l’absence de contrôle systématique et efficace de l’unionité de l’activité des autorités européennes et nationales, l’État de droit est un acquis[22] malmené (II).

I. Un objectif réduit

Dans l’Union européenne c’est une conception restrictive de l’État de droit qui domine. D’un côté, les textes du droit primaire et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ont consacré une approche plutôt formelle de l’État de droit (A). De l’autre côté, si les instances politiques de l’Union promeuvent une approche matérielle complémentaire de celui-ci, cette approche reste bloquée dans un crédo ultralibéral (B).

Α. La consécration d’une approche formelle

Εn droit positif de l’Union européenne, l’État de droit se présente comme un standard autonome à caractère principalement formel et procédural[23].

Le préambule de la Charte des droits fondamentaux qualifie l’État de droit de principe sur lequel repose l’Union et le distingue du principe de la démocratie. Il le distingue également des valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité, qu’il qualifie des valeurs fondatrices de l’Union. De sa part, l’article 2 du TUE qualifie l’État de droit de valeur sur laquelle se fonde l’Union et le juxtapose avec les autres valeurs fondatrices que constituent, selon le même article, le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité et le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités.

En utilisant les termes Communauté de droit[24], Union de droit[25] ou État de droit[26], la Cour de justice se réfère à un standard qui s’articule surtout autour de trois exigences : la légalité, la justiciabilité et la séparation des pouvoirs[27]. Certes, la Cour de justice a progressivement reconnu et mis en exergue tant la corrélation de l’État de droit avec le principe démocratique que son lien évident avec les droits de l’homme. Or, à la différence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle ne semble pas avoir adopté une superposition proprement dite de toutes ces notions[28]. Selon les juges de Kirchberg, l’État de droit désigne avant tout la limitation du pouvoir par des règles fondamentales et l’évitement de l’arbitraire par la mise en place d’un contrôle de fondamentalité. Cette approche de l’État de droit est exprimée d’une façon éloquente dans l’arrêt de principe « Les Verts » de 1986, dans lequel il a été admis que « la Communauté économique européenne est une Communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité »[29].

Cette approche formelle et procédurale, retrouvée, d’ailleurs, dans la standardisation des critères de l’État de droit par la Commission de Venise[30], est une approche restrictive, car elle néglige qu’il existe toujours une substance qui donne un sens à l’État de droit. Comme le souligne É. Carpano, « ontologiquement, l’État de droit ne saurait être l’État de n’importe quel droit, faute de quoi on viderait le concept ‘des significations politiques et idéologiques qu’il a historiquement revêtues’ et ‘le socle de valeurs et de croyances qui lui donnent une dimension très spécifique’ »[31].

B. La promotion d’une approche ultralibérale

L’incontournable approche matérielle de l’État de droit est mise au premier plan par le discours des instances politiques de l’Union et surtout par la Commission européenne. Or, il s’agit également d’une approche restrictive, parce que ce qui est promu est la doctrine ultralibérale dominante.

Dans ses textes concernant le renforcement de l’État de droit, la Commission européenne superpose la jurisprudence de la Cour de justice avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[32], ce qui lui permet d’identifier l’État de droit à l’idée de liberté et d’autonomie de l’individu à laquelle la Commission européenne fonde la démocratie et la prééminence du droit. Ainsi, le rapport annuel sur l’État de droit ne s’intéresse qu’aux systèmes de justice, aux cadres de lutte contre la corruption, au pluralisme et à la liberté des médias, ainsi qu’aux autres questions institutionnelles en rapport avec l’équilibre des pouvoirs[33].

L’aspect social de l’État de droit n’est guère présent dans le discours politique de la Commission européenne. Son absence substantielle ne s’explique pas seulement par l’amollissement normatif des droits sociaux dans la jurisprudence de la Cour de justice, qui procède à une mise en balance déséquilibrée des droits fondamentaux, en faisant prévaloir les libertés économiques sur les droits sociaux, au péril des droits garantis par le droit national[34]. Au cours de la crise de dette souveraine dans la zone euro, la Commission européenne, en tant que membre de la Troïka avec la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, a contribué à la mise en place de plusieurs mécanismes d’assistance financière aux États membres en difficulté. La conditionnalité de ces mécanismes reposait sur la restriction systématique des droits constitutionnels et, notamment, des droits sociaux, ainsi que sur l’idée néolibérale de l’« aléa moral », qui reflète une conception quasi-punitive de la solidarité[35]. Par ailleurs, la dégénérescence de la solidarité entre les États membres de l’Union a davantage été aggravée lors de la gestion de la crise migratoire, qui a mis en évidence que la coopération des États membres de l’Union en matière d’asile vise moins à accorder des droits aux particuliers qu’à organiser les relations entre États[36]. Certes, devant le choc provoqué par la crise de Covid-19, la discipline budgétaire s’est détendue[37], de nouvelles mesures financières d’urgence ont été adoptées, de nombreuses adaptations des règles de marché unique ont été mises en place[38] et certaines voix officielles ont même commencé à parler de la nécessité d’augmenter la dette publique, des emprunts européens communs, des subventions et de la fiscalité unique au niveau de l’Union. Toutefois, au fur et à mesure où la gestion de la crise sanitaire évolue, la solidarité sincère recherchée a du mal à être assurée tant au niveau européen qu’à l’échelle mondiale. Entre autres, la « guerre des vaccins » imprégnée de « la nature autodestructrice du nationalisme vaccinal »[39] montre que la protection de la santé publique tend à s’incliner encore une fois devant le status quo économique et géopolitique[40].

Cette sous-évaluation progressive et systématique de l’État de droit social n’est pas sans rapport avec les cas de remise en cause de l’État de droit libéral, voire avec la crise de crédibilité de toute idée d’État de droit dans l’Union européenne. Dans le cadre du processus de l’intégration européenne et de la mondialisation, la réduction du juridique à l’économique avait depuis longtemps accéléré la course au « moins-disant » social et avait mis en question le pacte social sur lequel avaient reposé une grande partie des constitutions nationales de l’après-guerre. Dans le cadre de la crise de la zone euro, la réduction de l’économique au financier a déstabilisé même cet acquis communautaire, dont la logique ordolibérale a été devancée par la recherche de l’efficience économique. En devenant l’objectif fondamental de l’Union, le monétarisme radical a signé la fin de la phase de constitutionnalisation de l’Europe, de l’âge d’or pour les partisans du constitutionnalisme européen qui prônaient son caractère de paradigme universel. En même temps, elle a inauguré une phase de déconstitutionnalisation menée par un discours néolibéral revivifié. Derrière ce discours monocausal réducteur s’est profilé l’autoritarisme d’une Europe sans doute institutionnellement et historiquement affaiblie, qui est à la recherche de son identité dans les rapports des agences de notation financière[41] tout en étant divisée entre États membres créanciers et États membres débiteurs. Les rythmes des marchés financiers se sont substitués, dans une large mesure, tant aux normes juridiques qu’à l’activité politique. En admettant qu’il ne pourrait pas y avoir d’alternative, ce qui discrédite les élections politiques et les compétences effectives des parlements nationaux, l’Union a imprimé son déficit démocratique dans ses États membres débiteurs. Parfois, elle est même arrivée à saper directement l’État de droit dans l’ordre juridique de ces États, à l’instar de la Troïka qui, pour faciliter l’augmentation des recettes publiques, a encouragé le législateur grec à continuer la politique de légalisation des constructions illégales et à ne pas respecter la jurisprudence constante du Conseil d’État de Grèce ayant caractérisé cette politique d’incompatible avec l’État de droit[42]. Tout cela a aggravé le sentiment de dépossession des citoyens de l’Union, favorisé leur repli national et, dans une grande mesure, alimenté les discours réactionnaires, populistes, identitaires et xénophobes.

En effet, le phénomène actuel de l’affaiblissement de l’État de droit libéral au sein de l’Union, qui oscille entre le simple contournement des principes libéraux jusqu’au développement des politiques illibérales systématiques, ne concerne pas seulement la violation du droit de l’Union par certains États membres. Il concerne aussi bien l’ensemble des États membres que l’Union elle-même. Si la tension de chaque manifestation dudit phénomène peut s’expliquer, selon le cas, par les particularités du contexte spécifique, européen ou national, sa reproduction à tous les niveaux trouve un dénominateur commun à la propagation généralisée du libéralisme autoritaire au sein de l’Union.

II. Un acquis malmené

Face aux multiples crises successives qu’elle traverse ces dernières années, l’Union n’a pas su suffisamment défendre même la conception réduite de l’État de droit à laquelle elle aspire. La déréglementation qui caractérise le constitutionalisme européen actuel a touché les deux composants principaux de la conception formelle et procédurale de l’État de droit libéral, à savoir la force obligatoire des traités européens et les garanties de leur respect. D’une part, les traités européens sont devenus trop souples pour pouvoir orienter l’activité des organes de l’Union et de ses États membres. Ainsi, les traités sont très souvent dépassés par les dérives intergouvernementales que connaît l’aventure de l’unification européenne (A). D’autre part, les contrôles de la compatibilité de l’activité des autorités européennes et nationales avec le droit de l’Union ne sont pas suffisants (B).

A. Les dérives intergouvernementales

Alors que la constitutionnalisation de l’Union est conditionnée par la séparation de son ordre juridique du contexte intergouvernemental de ses origines et le développement de son autonomie par rapport au droit international public[43], l’Union est toujours restée tributaire de la logique intergouvernementale. La gestion des crises financière et migratoire a montré que, même dans l’ère post westphalienne, ce sont les États-nations –du moins les États créanciers– qui, bien que substantiellement transformés, restent les auteurs principaux du droit. Ainsi, à l’opposé du discours officiel, il ne paraît pas évident en pratique d’associer l’Union à une communauté de valeurs fondamentales ; ni de parler sincèrement d’autonomie de son système juridique par rapport au droit international public[44].

En effet, dans le contexte des multiples crises successives, un nouvel intergouvernementalisme (« new intergovernmentalism ») a été de principe pratiqué. Il se caractérise notamment par l’évolution du Conseil européen vers un forum décisionnel chargé de coordonner l’action collective et il est apparu comme la réponse au paradoxe de l’intégration post-Maastricht : bien que les États membres reconnaissent qu’ils sont concernés par une action commune, ils hésitent à déléguer les compétences décisionnelles à l’Union[45]. En même temps, la Banque centrale européenne, en tant que pouvoir technocratique, exerce une politique monétaire d’orientation quasi-fédérale[46], alors que la Commission européenne, chargée d’une surveillance quasi-quotidienne des programmes macro-économiques, joue un rôle important notamment en matière de procédure de déficit excessif[47]. Dans le cadre de cette architecture institutionnelle à géométrie variable, il est fort difficile d’accepter que l’ordonnancement du pluralisme constitutionnel auquel aspire l’Union existe vraiment et repose sur des valeurs et principes de la culture juridique européenne. Il en va ainsi notamment pour la protection des droits de l’homme que constitue la prémisse majeure de la conception matérielle de l’État de droit. Les traités européens deviennent souples et évoquent un fonctionnalisme qui, même dans le cadre du pluralisme constitutionnel, différencie la protection des droits de l’homme au sein de l’Union de leur protection au sein des ordres juridiques des États membres et ne facilite guère l’identification de valeurs communes qui pourraient fonder une véritable constitutionnalisation matérielle intégrant pleinement les ordres juridiques nationaux[48].

Sur ce plan, l’acquis communautaire de l’État de droit se relativise à l’extrême, puisqu’il se trouve constamment tributaire d’une négociation intergouvernementale. Un exemple caractéristique en constitue le lancement en 2018 par la Commission européenne de la réflexion autour d’une nouvelle réglementation permettant de conditionner l’octroi de fonds européens au respect de l’État de droit. Ce lancement s’explique sans doute par  l’« obstruction politique à l’échelon intergouvernemental » qui n’a pas permis la pleine mise en œuvre de l’article 7 du TUE, « les États ne voulant pas mettre au ban l’un de leur[s] pair[s] »[49].

Du point de vue juridique, tout cela accroît le déficit constitutionnel de l’Union.  Du point de vue politique, le slogan « plus d’Europe » arrive à contribuer au développement de l’euroscepticisme et de tendances centrifuges, car ce slogan ne signifie, en fait, que « plus de coopération intergouvernementale » sous la tutelle « germano-française » ou simplement allemande[50].

B. Les contrôles insuffisants

Ni l’activité des organes de l’Union ni l’activité des autorités nationales ne sont assujetties à de contrôles systématiques et efficaces de leur compatibilité avec le droit de l’Union.

Quant à l’activité des organes de l’Union, la Cour de justice semble avoir eu du mal à défendre certaines des pierres angulaires de la superstructure juridique qu’elle a, elle-même, créée. Tout d’abord, elle n’a pu ni éviter ni efficacement encadrer les dérives intergouvernementales ayant remis en cause tant la méthode communautaire que l’équilibre des pouvoirs au sein de l’Union. Une fois la nature exceptionnelle des nouveaux pouvoirs des organes de l’Union dissimulée dans une interprétation banale des traités, les juges européennes ont souvent opté pour un souple encadrement de ces pouvoirs, dans le cadre duquel, au lieu des compétences proprement dites, les organes de l’Union seraient souvent tributaires de simples « tâches »[51]. Ensuite, en évitant d’intervenir en temps utile et en faisant comme si aucun événement exceptionnel ne menaçait l’acquis communautaire, la Cour de justice a semblé avoir sous-estimé l’importance de sauvegarder la sécurité juridique et a laissé cet acquis à la merci des compromis intergouvernementaux. Qui plus est, elle n’a pas su gérer le dialogue avec les juges nationaux pour mieux assurer l’application uniforme du droit de l’Union dans le contexte du pluralisme constitutionnel existant, ni pour empêcher la transformation de l’Union en un mécanisme à plusieurs vitesses qui distingue entre les États membres débiteurs et les États membres créanciers. En effet, la jurisprudence de la Cour de justice ne constitue pas un exemple typique d’autolimitation du juge à l’égard de la priorité des choix effectués par le pouvoir politique pour faire face à une crise grave. Elle évoque plutôt la difficulté de la Cour de justice à jouer le rôle d’une véritable cour constitutionnelle qui, tout en cédant au pouvoir politique l’initiative de gérer la crise et en admettant l’adaptation temporaire de l’Union aux exigences de la conjoncture internationale, aurait su encadrer sans retard les choix politiques[52].

Ainsi, à titre indicatif, il convient de signaler que, dans leur arrêt du 27 novembre 2012 sur l’affaire Pringle (C-370/12), les juges de Kirchberg ont, en réalité, interprété le traité conformément aux compromis politiques auxquels les États membres sont parvenus. En outre, par leur arrêt du 16 juin 2015 sur l’affaire Gauweiler (C-62/14), ils ont de nouveau offert une légitimité juridique ex post cette fois au volontarisme de la Banque centrale européenne. Par ailleurs, dans leurs arrêts du 20 septembre 2016 sur les affaires Mallis et Malli / Commission et BCE (C-105 à 109/15 P) et du 16 décembre 2020 sur les affaires Conseil / K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P), ils ne se sont pas servis de la jurisprudence « Les Verts » pour apprivoiser la puissance incontestable de cette « forme particulière d’intergouvernementalisme »[53] incarnée par l’Eurogroupe. Enfin, par une démonstration de formalisme juridique dans les trois ordonnances du 28 février 2017, le Tribunal de l’Union européenne s’est déclaré incompétent pour connaître les recours de trois demandeurs d’asile à l’encontre de la déclaration conjointe UE-Turquie du 18 mars 2016, en suivant un syllogisme selon lequel, en l’occurrence, les circonstances ne sauraient permettre de considérer que la réunion du 18 mars 2016 entre le Conseil européen et le Premier ministre turc avait conduit à la conclusion, pour le compte de l’Union, d’un accord avec la République de Turquie[54].

Quant à l’activité des autorités étatiques, l’absence de volonté ou de capacité des autorités européennes et nationales d’atteindre, d’une manière cohérente, systématique et uniforme, l’objectif de renforcement de l’État de droit met en cause leur efficacité, voir leur sincérité et, de ce fait, ébranle la foi à l’existence de l’État de droit elle-même.

La Commission européenne semble réagir à la carte face aux défaillances de l’État de droit. Outre ses réactions tardives même à l’égard de l’affaire polonaise[55], il en est particulièrement révélateur qu’elle a adopté une réaction très prudente et insuffisamment motivée à l’égard de la décision du Gouvernement grec de mettre fin de manière anticipée au mandat du Président, du Vice-Président et de deux autres membres de la Commission de concurrence en Grèce[56]. Toutefois, cette décision était prise, pour des raisons d’opportunité politique, sur la base d’une législation nationale ayant, en violation du droit de l’Union, introduit des nouvelles incompatibilités immédiatement applicables sans prévoir des mesures transitoires permettant de garantir le respect de la durée du mandat des quatre membres susmentionnés de la Commission de concurrence qui exerçaient déjà leurs fonctions[57].

De sa part, le juge national n’assume pas toujours pleinement son rôle de juge de droit commun du droit de l’Union. Il refuse souvent de procéder à un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice, ce qui lui permet même d’interpréter le droit de l’Union conformément au droit et aux intérêts nationaux au péril de la violation des droits fondamentaux. Ainsi, dans ses arrêts n° 2347/2017 et n° 2348/2017, l’Assemblée du Conseil d’État de Grèce s’est livrée à une interprétation minutieuse des dispositions de l’article 38 de la directive 2013/32/UE portant sur le concept de « pays tiers sûr » et des dispositions de l’article 56 de la loi n° 4375/2016 ayant transposé cette directive en droit grec. Toutefois, pour ne pas remettre en question le mécanisme de renvoi de migrants en Turquie introduit par la déclaration conjointe UE-Turquie du 18 mars 2016, elle n’a pas posé de questions préjudicielles auprès de la Cour de justice, bien qu’une très forte minorité de douze sur les vingt-sept membres de l’Assemblée aient considéré qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer la théorie dite de l’« acte clair »[58].

Si à ce qui précède s’ajoute le fait que, comme le relève l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 5 mai 2020 concernant le programme de la Banque centrale européenne sur les achats d’actifs du secteur public sur le marché secondaire[59], le dialogue entre la Cour de justice et les juges nationaux évolue d’une manière dissymétrique, voire polémique, il devient évident pourquoi le déficit de sécurité juridique se creuse excessivement et sape toute conception de l’État de droit dans l’Union[60].

Conclusions

L’État de droit est un acquis du constitutionnalisme étatique moderne par essence évolutif, aussi bien dynamique que fragile. Il est constamment mis en question par toute sorte de puissance publique ou privée émergeant des transformations continues des États et des sociétés et revendiquant leur propre constitutionnalisation. C’est pourquoi la garantie de l’État de droit constitue un objectif constitutionnel constant.

En essayant d’intégrer le concept et les garanties de l’État de droit, l’Union européenne les a exposés aux vicissitudes de l’imaginaire constitutionnel du droit européen qui préconise un État de droit sans l’État. Ainsi, l’État de droit dans l’Union est surdéterminé par les multiples fissures de la constitutionnalisation imparfaite de celle-ci.

Dès lors, tout projet de renforcement sincère et effectif de l’État de droit dans l’Union ne doit pas se borner à la mise en œuvre des mesures de police constitutionnelle pour juguler les excès illibéraux ou antilibéraux de certains États membres dont la dangerosité incontestable ne doit pas couvrir celle des excès d’autoritarisme provenant d’autres États membres ou de l’Union elle-même. Un tel projet doit avant tout viser la constitutionnalisation démocratique de cette dernière qui assurera la symbiose de la démocratie politique avec la démocratie sociale sur la base de procédures et d’institutions appropriées permettant de réaliser des politiques dictées non par le monologisme des marchés financiers mais par un débat public pluraliste. Renforcer l’État de droit dans l’Union présuppose de réinventer l’Union.


[1] Voir É. Carpano, « La crise de l’État de droit en Europe. De quoi parle-t-on ? », RDLF 2019, chron. n° 29 [www.revuedlf.com].

[2] Voir « Renforcement de l’État de droit » [https://eu2019.fi/fr/documents-de-fond/etat-de-droit].

[3] Voir Y. Petit, « Commission européenne, Hongrie, Pologne : le combat de l’État de droit », Civitas Europa, vol. 40, no 1, 2018, p. 145 s..

[4] Voir la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Rapport 2020 sur l’état de droit. La situation de l’état de droit dans l’Union européenne, Bruxelles, le 30.9.2020 COM (2020) 580 final [https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/communication_2020_rule_of_law_report_fr_0.pdf].

[5] Voir D. Rojas, « L’État de droit en période de Covid-19 : l’Union européenne mise à l’épreuve », RTDeur 3/2020, p. 531 s..

[6] Voir la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Rapport 2020 sur l’état de droit. La situation de l’état de droit dans l’Union européenne, op. cit..

[7] Voir Rapport 2020 sur l’État de droit – QUESTIONS ET RÉPONSES, Bruxelles, le 30.9.2020 [https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_20_1757].

[8] Ibidem.

[9] Voir « Plan de relance : l’UE trouve un compromis avec la Pologne et la Hongrie », journal Le point, 11.12.2020 [https://www.lepoint.fr/politique/sommet-de-l-ue-la-voie-est-libre-pour-le-plan-de-relance-massif-post-covid-10-12-2020-2405226_20.php]. Voir aussi sur l’intention du ministre polonais de la Justice de saisir le Tribunal constitutionnel polonais pour que le règlement n° 2020/2092 de l’Union reliant l’État de droit à la suspension des fonds européens soit déclaré incompatible avec la constitution polonaise, M. Taborowski, « In the EU, it’s the Rule of Law. In Poland, it’s Unconstitutional? », VerfBlog, 1.2.2021 [https://verfassungsblog.de/in-the-eu-its-the-rule-of-law-in-poland-its-unconstitutional/].

[10] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, Sakkoulas Publications, Athènes-Salonique, 2019.

[11] Idem, n° 1.

[12] Voir C. Yannakopoulos, « La mutation du sujet des droits constitutionnels » (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 2/2012, p. 146 s..

[13] Voir A. Supiot, L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Seuil, Paris, 2010, p. 64.

[14] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 6 s..

[15] Voir E. Chiti – P.G. Teixeira, « The Constitutional Implications of the European Responses to the Financial and Public Debt Crisis », Common Market Law Review 3/2013, vol. 50, p. 683 s..

[16] Voir P. Craig, « Economic Governance and the Euro Crisis : Constitutional Architecture and Constitutional Implications », in  M. Adams – F. Fabbrini – P. Larouche (ed.), The Constitutionalization of European Budgetary Constraints, Hart, Oxford, 2014, p. 19 s..

[17] Voir M. Ioannidis, « Debt restructuring in the light of Pringle and Gauweiler – flexibility and conditionality », ESCB Legal Conference 2016, ECB, Frankfurt, 2017, p. 78 s..

[18] Voir J. Habermas, La constitution de l’Europe, Gallimard, Paris, 2012, p. 14.

[19] Voir É. Carpano, « La crise de l’État de droit en Europe. De quoi parle-t-on ? », op. cit..

[20] Voir A. Somek, « Monism: A Tale of the Undead », University of Iowa Legal Studies Research Paper no 10-22, juin 2010, SSRN [https://ssrn.com/abstract=1606909].

[21] Voir J. Baquero Cruz, « The Legacy of the Maastricht Urteil and the Pluralist Movement », European Law Journal 4/2008, vol. 14, p. 389 s..

[22] Sur l’existence d’un « acquis communautaire » de l’État de droit, voir L. Mede, « L’État de droit à l’épreuve de l’intégration européenne. Recherche sur le ‘dilemme de Copenhague’, paradoxe de l’intégration », Revue de l’Union européenne 10/2018, no 622, p. 589 s..

[23] Voir É. Carpano, « La définition du standard européen de l’État de droit », RTDeur 2/2019, p. 255 s..

[24] Voir, à titre indicatif, CJUE, 25.7.2002, C-50/00 P, Unión de Pequeños Agricultores / Conseil, point 38.

[25] Voir, à titre indicatif, CJUE, 27.2.2018, C-64/16, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, point 31.

[26] Voir, à titre indicatif, CJUE, 9.7.2020, C-272/19, Land Hessen, point 45.

[27] Voir É. Carpano, « La définition du standard européen de l’État de droit », op. cit..

[28] Pour une analyse comparative de la jurisprudence de deux Cours, ibidem.

[29] Voir CJUE, 23.4.1986, 294/83, Parti écologiste “Les Verts” / Parlement européen, point 23.

[30] Voir Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), Liste des critères de l’État de droit, CDL-AD (2016) 007 [https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2016)007-f].

[31] Voir É. Carpano, « La définition du standard européen de l’État de droit », op. cit..

[32] Voir, à titre indicatif, la Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit, COM (2014) 0158 final [https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52014DC0158&from=fr].

[33] Voir la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Rapport 2020 sur l’état de droit. La situation de l’état de droit dans l’Union européenne, op. cit..

[34] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., not. n° 92.

[35] Idem, n° 27.

[36] Idem, n° 93.

[37] Voir la Communication de la Commission au Conseil sur l’activation de la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance du 20.3.2020, Bruxelles, COM(2020) 123 final [https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0123&from=ES], A. Potteau, « La contribution de l’Union européenne au soutien apporté à l’économie dans le contexte de la pandémie de Covid-19 », Revue générale du droit on line, 2020, numéro 52711 [www.revuegeneraledudroit.eu/?p=52711].

[38] Voir Livre blanc : Droit de l’Union européenne et COVID-19 [réalisé par D. Berlin], Éditions Larcier et Éditions Législatives, 2020, D. Blanc, « L’Union européenne face au coronavirus : une réponse globale pour une crise sanitaire globale », RDLF 2020, chron. n°17, D. Ritleng (dir.), « Dossier : L’Union européenne face à la crise de Covid-19 », RTDeur 3/2020, p. 483 s..

[39] Voir A. von Bogdandy, P. Villarreal, « The EU’s and UK’s Self-Defeating Vaccine Nationalism », VerfBlog, 30.1.2021 [https://verfassungsblog.de/the-eus-and-uks-self-defeating-vaccine-nationalism/].

[40] Cf. C. Yannakopoulos, « La protection de la santé aura-t-elle le sort de la protection de l’environnement ? » (en grec), www.constitutionalism.gr, 21.5.2020.

[41] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., not. n° 93.

[42] Idem, n° 39.

[43] Voir E. S. Tanasescu, « Rôle des droits fondamentaux dans la constitutionnalisation de l’ordre juridique de l’UE », in The Court of Justice and the Construction of Europe : Analyses and Perspectives on Sixty Years of Case-lawLa Cour de Justice et la Construction de l’Europe : Analyses et Perspectives de Soixante Ans de Jurisprudence, 2013, p. 207 s. et not. p. 214 s..

[44] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 81.

[45] Voir U. Puetter, « New Intergovernmentalism: The European Council and its President », in F. Fabbrini, E. Hirsch Ballin, H. Somsen (ed.), What form of government for the European Union and the Eurozone?, Hart Publishing, Oxford, 2015, p. 253 s., C. J. Bickerton, D. Hodson, U. Puetter, « The New Intergovernmentalism: European Integration in the Post-Maastricht Era », JCMS 4/2015, vol. 53, p. 703 s..

[46] Voir Ch. Gortsos, « Legal Aspects of the European Central Bank (ECB) – The ECB within the European System of Central Banks (ESCB) and the European System of Financial Supervision (ESFS) », Second (Extended and Updated) Edition, 31.8.2018 [https://ssrn.com/abstract=3162024].

[47] Voir M. Ioannidis, « EU financial assistance conditionality after ‘Two Pack’ », 74 ZaöRV 2014, p. 61 s. [https://www.zaoerv.de/74_2014/74_2014_1_a_61_104.pdf].

[48] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 89.

[49] Voir A. Potor, « Compromis sur l’État de droit : une solution douce-amère » [https://www.taurillon.org/compromis-sur-l-etat-de-droit-une-solution-douce-amere?lang=fr].

[50] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 134.

[51] Idem, n° 107.

[52] Voir C. Yannakopoulos, « La Cour de justice de l’Union européenne et la crise de la zone Euro : ‘La Trahison des images’ », www.constitutionalism.gr, 2.4.2017.

[53] Voir les conclusions du 28 mai 2020 de l’avocat général M. G. Pitruzzella dans ces affaires, point 106.

[54] Voir les ordonnances du Tribunal dans les affaires T-192/16, NF / Conseil européen, T-193/16, NG / Conseil européen, et T-257/16, NM / Conseil européen, qui ont été attaquées par des pourvois en cassation rejetés par une ordonnance de la Cour de justice du 12 septembre 2018.

[55] Voir L. Pech, P. Wachowiec, D. Mazur, « 1825 Days Later: The End of the Rule of Law in Poland (Part I) », VerfBlog, 13.1.2021 [https://verfassungsblog.de/1825-days-later-the-end-of-the-rule-of-law-in-poland-part-i/].

[56] Le 7 octobre 2019, M. Vestager a déclaré au nom de la Commission européenne que « [t]he question of legality of the amendment and the dismissal orders is presently before the Greek Council of State. The Commission has full trust in the impartial assessment by this Court. The Commission understands from the Greek government that it intends to avoid politically influenced appointments or decisions by individuals having worked in positions close to the government during a cooling off period of 5 years. According to Directive 2019/1 (“the ECN+ Directive”), decision makers of national competition authorities cannot take instructions from any public entity, including the government. Therefore, even if a decision maker of a national competition authority would have previously worked for the government, that individual should in the future be guaranteed independence in the performance of his/her duties also absent the type of rule introduced in Greek law by the amendment. While the ECN+ Directive already foresees guarantees from political interference in the decision making of the national competition authorities, it does not prevent Member States from introducing stricter conditions for appointments as an extra safeguard against political interference. In this regard, the ECN+ Directive only sets a minimum standard of protection. The ECN+ Directive foresees that the decision makers of national competition authorities can be dismissed only if they have either been found guilty of serious misconduct or no longer fulfil the conditions for the performance of their duties as laid down in advance in law. However, the implementation period of the ECN+ Directive does not expire until February 2021. In this period, the legal effect of the Directive is not the same as after the expiry of the deadline. In these circumstances, it does not appear justified to take further action at this stage. The Commission is in close contacts with the Member States as regards the implementation of Directive 2019/1. Once transposed, the ECN+ Directive will ensure that national competition authorities have the necessary independence, tools and resources they need to be fully effective enforcers » [http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/P-9-2019-002526-ASW_EN.pdf].

[57] Voir C. Yannakopoulos, « Le renforcement à la carte de l’État de droit (Symvoulio tis Epikrateias [Conseil d’État de Grèce], 3 septembre 2019, n° 230-232/2019 [Commission des sursis, Assemblée], www.ste.gr », in E. Saulnier-Cassia (dir.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne » (chronique), RTDeur 1/2020, p. 155 s..

[58] Voir C. Yannakopoulos, « Un tiers pays nommé sûreté ! (Symvoulio tis Epikrateias [Conseil d’État de Grèce], 22 sept. 2017, n° 2347/2017 et 2348/2017 [Assemblée], www.ste.gr ; Théorie et pratique de droit administratif [revue juridique grecque] 8-9/2017, p. 910, obs. K. Markou-Farmakidis) », in E. Saulnier-Cassia (dir.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne » (chronique), RTDeur 1/2018, p. 191 s..

[59] Voir C. Yannakopoulos, « Les mutations du constitutionnalisme européen déréglementé. Réflexions à propos de l’arrêt PSPP de la Cour constitutionnelle allemande du 5 mai 2020 », RDP 4/2020, p. 1041 s..

[60] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 148 s..