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Conférences

Les plateformes en ligne privées et le droit de l’Union européenne : deux constitutionnalismes non étatiques à la recherche de la souveraineté numérique

Introduction

Dans la société dite post-westphalienne, marquée par la globalisation, il y a plusieurs domaines d’activités qui dénotent la crise de la souveraineté et du constitutionnalisme étatiques. Ces dernières années, le numérique constitue, sans doute, le plus emblématique de ces domaines. Son encadrement est désormais insaisissable quasiment par tout ordre constitutionnel national agissant seul. Il est pourtant revendiqué par deux formes de constitutionnalisme non étatique, à savoir le constitutionnalisme sociétal et le constitutionnalisme européen.

L’appréciation, assez rependue de nos jours, que l’État n’est pas la forme « naturelle » de l’organisation politique des sociétés conduit d’aucuns à prétendre que l’objet de la Constitution n’est pas l’État, mais la Société[1]  et, en particulier, certains centres de gouvernement collectifs privés ayant une envergure internationale  et revendiquant une forme de constitutionnalisation autonome (communautés commerciales, entreprises multinationales, associations sportives, universités internationales, etc.). C’est le phénomène de constitutionnalisme sociétal[2], qui promeut une conception simpliste, voire réductionniste du constitutionnalisme et une privatisation des standards constitutionnels. Il identifie la Constitution non pas avec l’ensemble de la Société, mais avec des sous-secteurs sociaux distincts. Pour chacun d’entre eux, il peut y avoir une constitution sectorielle autonome (lex mercatoria, lex sportiva, lex digitalis, etc.), ce qui renverse la conception traditionnelle selon laquelle la Constitution est destinée à régir, en compétence générale, la société politique tout entière et n’est pas soumis au principe de spécialité[3]. De cette manière, le constitutionnalisme sociétal, qui présuppose l’acceptation du dogme de la souveraineté partagée, contribue à la fragmentation du constitutionalisme en sous-systèmes organisationnels concurrents de pouvoir public ou privé et pousse les citoyens à mépriser davantage l’État et rechercher l’aide de tout substitut privé des institutions étatiques. En même temps, en contournant toute autonomie juridique de l’État par rapport à la Société, sur laquelle repose le concept moderne d’État de droit, le constitutionalisme sociétal met en péril la protection des droits des faibles à l’égard des membres les plus forts de la collectivité concernée, car il n’est pas évident que toutes les garanties offertes par le constitutionalisme étatique classique (la protection inconditionnelle des droits fondamentaux, la subordination de la limitation des droits fondamentaux au service de l’intérêt général et au principe de proportionnalité, le contrôle indépendant de constitutionnalité et de légalité, etc.) puissent être identifiés dans une constitution sectorielle privée.

Récemment, grâce aux évolutions de l’organisation et du fonctionnement des plateformes en ligne privées et, en particulier, des plateformes gérées par l’entreprise Facebook (devenu Meta), le constitutionalisme sociétal a fait des avancées significatives dans le domaine du numérique. L’événement le plus spectaculaire a été l’institution du Conseil de surveillance (Oversight Board) de l’entreprise Facebook (Meta)[4]. Alors que sa communauté d’utilisateurs franchissait le seuil de deux milliards de personnes, cette entreprise a décidé de créer ce Conseil pour l’aider à répondre à certaines des questions les plus complexes en matière de liberté d’expression en ligne : quels contenus supprimer, quels contenus laisser en ligne et pourquoi[5].Les décisions dudit Conseil de confirmer ou d’infirmer les décisions relatives au contenu prises par l’entreprise Facebook (Meta) sont contraignantes, ce qui signifie que ladite entreprise doit les mettre en œuvre, à moins que cela ne contrevienne à la loi.

Le Conseil de surveillance, depuis l’origine appelé la « Cour suprême » de l’entreprise Facebook (Meta), est le fruit d’un effort d’autorégulation d’un grand opérateur de médias sociaux, médias qui, en pleine pandémie, ont été tantôt salués comme la « Terre promise » pour l’humanité, car ils ont assuré dans des conditions extrêmement difficiles l’exercice de la liberté d’expression et des autres libertés fondamentales, tantôt diabolisés, en raison du pouvoir alarmant qu’ils ont acquis et du fait qu’ils sont devenus une source d’informations fallacieuses (fake news) et de risques très sérieux d’atteintes à la personnalité, aux libertés civiles et à la sécurité des gens. Le Conseil de surveillance constitue un premier projet global de protection des droits fondamentaux et, notamment, de la liberté d’expression. Il apparaît comme la superstructure privée la plus impressionnante de la mondialisation et sa conception cosmopolite se présente comme rivalisant avec le prestige des cours constitutionnelles nationales et des juridictions supranationales qui garantissaient, jusqu’aujourd’hui, le respect des droits de l’homme. Or, ce Conseil, bien qu’il semble renforcer la transparence et respecter les exigences du droit international des droits fondamentaux, reste inévitablement influencé par les intérêts privés et les standards de police de l’entreprise Facebook (Meta). À cet égard, il existe un risque que le charme dudit Conseil rassure les organismes publics sur les vertus de l’autorégulation, tout en érodant les valeurs juridictionnelles et en consolidant des formes de pouvoir qui échappent au contrôle démocratique[6]. Et, en dernière analyse, l’incontournable question qui se pose est évidemment la suivante : quis custodiet ipsos custodes ?[7]. Quelle est l’entité politique qui pourrait instituer des règles et des procédures juridiques propres à délimiter et contrôler adéquatement l’action globale des plateformes privées en ligne et ses organes d’autorégulation tel le Conseil de surveillance de l’entreprise Facebook (Meta) ?

Comme aucun état européen n’est apte à assumer tout seul cette charge, le fardeau de la réglementation publique en Europe des plateformes privées en ligne semble peser sur l’Union européenne elle-même, qui apparaît comme la seule entité publique capable de tenter de faire face aussi bien au développement global du constitutionnalisme sociétal en matière de numérique qu’à la concurrence des états hyperpuissants tels que les États-Unis d’Amérique, la Russie ou la Chine. D’ailleurs, l’Union européenne a déjà mise en place une série de mesures pour encadrer les plateformes ci-dessus en vue notamment de sauvegarder les règles et principes relatifs à la libre circulation, de protéger la libre concurrence, d’assurer la fiscalité convenable et la protection des données personnelles[8], de moderniser la législation européenne sur les services et les marchés numériques[9], d’améliorer les conditions de travail des personnes travaillant via des plateformes en ligne[10] et même de promouvoir une déclaration générale sur les droits et principes numériques au bénéfice de tous dans l’Union[11]. Toutefois, il y lieu de s’inquiéter de l’efficacité de tout cet arsenal juridique, étant donné que la constitutionalisation de l’Union reste encore incomplète. Certes, le constitutionnalisme européen est public, car il est produit par les états membres de l’Union. Mais il reste tout de même non étatique, car il ne repose pas sur un État européen souverain. Il s’agit d’un constitutionnalisme atypique, qui flotte dans les vagues infinies des crises qui émanent de la déréglementation constitutionnelle qui marque l’Europe actuelle[12]. Cela étant, réglementer les plateformes en ligne devient un défi existentiel pour l’Union et son constitutionnalisme. À cet égard, il n’est pas sans importance que l’Union a avoué qu’en essayant de protéger ses valeurs et préserver les droits fondamentaux et la sécurité des citoyens, elle cherche surtout à renforcer sa souveraineté numérique[13].

L’objectif de ma conférence est de mettre en évidence le bras de fer qui s’installe, pour la réglementation des plateformes en ligne privées, entre ces deux formes de constitutionalisme non étatique, à savoir le constitutionnalisme sociétal et le constitutionalisme européen. Ce bras de fer résume le plus grand enjeu juridico-politique actuel à l’échelle aussi bien européenne que mondiale : la redistribution de la souveraineté entre le pouvoir privé et le pouvoir public, une redistribution qui conditionne l’avenir de l’État de droit et de la démocratie elle-même. Pour arriver à mettre en avant cet enjeu, je vais aborder, d’une part, le dynamisme du constitutionalisme sociétal (I) et, d’autre part, les vicissitudes du constitutionalisme européen (II) en matière de numérique.

Ι. Le dynamisme du constitutionnalisme sociétal

Le constitutionnalisme sociétal est la dernière étape de l’escalade de la privatisation des standards constitutionnels. Certains centres de pouvoir privés hyperpuissants, ayant des ressources financières énormes et maitrisant la technologie de pointe, vont jusqu’à revendiquer le pouvoir constituant, c’est-à-dire la souveraineté elle-même. Le Conseil de surveillance de l’entreprise Facebook (Meta) est un exemple éloquent de deux faces opposées de ce dynamisme du constitutionnalisme sociétal, lequel imite (A) et érode (B) à la fois les standards constitutionnels modernes.

Α. L’imitation des standards constitutionnels modernes

Après un long processus ressemblant aux travaux préparatoires de l’institution des normes constitutionnelles[14], le Conseil de surveillance de l’entreprise Facebook (Meta), une fois institué, a acquis ses 20 premiers membres, dont un ancien Premier ministre, un prix Nobel de la paix, des constitutionnalistes et des experts des droits qui ont vécu dans 27 pays et parlent au moins 29 langues, bien qu’un quart de ces membres viennent des États-Unis d’Amérique.

Il est à noter que ce Conseil est régi par des règles de procédure assimilables aux règles de procédure applicables dans les ordres juridictionnels nationaux et supranationaux, ce qui contribue à renforcer sa crédibilité en tant qu’organe de contrôle quasi-juridictionnel. D’autant plus que, outre le pluralisme des spécialisations de ses membres allant au-delà de la formation d’habitude exclusivement ou principalement juridique des membres des juridictions nationales et supranationales traditionnelles, le Conseil de Surveillance de l’entreprise Facebook (Meta) est doté de procédures spécifiques, qui renforcent considérablement la légitimité de ses décisions et, à ce jour, pourraient difficilement être garanties par l’écrasante majorité des tribunaux nationaux ou internationaux. Plus précisément, afin de justifier dûment ses jugements, le Conseil ci-dessus est en mesure d’externaliser une recherche indépendante à un institut de recherche qui, avec une équipe de plus de 50 chercheurs en sciences sociales sur six continents et plus de 3.200 experts nationaux dans le monde entier, peut garantir que ledit Conseil dispose de connaissances spécialisées sur le contexte socio-politique et culturel de chaque affaire. Parallèlement, une autre entreprise dont les experts parleraient couramment plus de 350 langues et travailleraient dans 5.000 villes dans le monde lui assure de compétences linguistiques diverses et spécialisées[15].

Mais le plus important est que, dans les premières décisions du Conseil de Surveillance de l’entreprise Facebook (Meta), qui ont commencé à être publiées le 28 janvier 2021, un phénomène similaire à celui de l’institutionnalisation du contrôle de constitutionnalité des lois par la Cour suprême des États-Unis d’Amérique a été identifié. Plus particulièrement, la compétence -en principe limitée- qui avait été accordée à ce Conseil, au sujet des suppressions controversées de publications ou de commentaires individuels, lui permettait d’appliquer, mais pas de remettre en cause les normes et les valeurs de la politique (« Voix, Authenticité, Sécurité, Vie privée, Confidentialité ») découlant des règles de gouvernance de l’entreprise en cause (lex Facebook). Toutefois, le Conseil semble, dès ses premières décisions, invoquer le droit international des droits de l’homme non seulement en complément de la lex Facebook, mais en tant que base fondamentale de contrôle de celle-ci. D’un point de vue fonctionnel, le Conseil de Surveillance a d’emblée donné l’impression que, suivant le modèle de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, il a vraiment l’intention de devenir une sorte de cour suprême qui promeut le contrôle de la « constitutionnalité » et, par conséquent, la « constitutionnalisation » de la lex Facebook[16].

Dans ce contexte, l’invocation des règles du droit international et, en particulier, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, permet au Conseil de Surveillance d’appliquer systématiquement le principe de proportionnalité aux restrictions à la liberté d’expression[17]. L’application de ce principe compense l’arbitraire de l’automatisation que reproduisent les standards de police de l’entreprise Facebook (Meta) et/ou l’utilisation d’algorithmes connexes[18] dans le cadre de la gestion des plateformes Facebook et Instagram. En tout cas, le principe de proportionnalité permet au Conseil de Surveillance de combiner l’interprétation globale uniforme des règles de protection des droits fondamentaux avec le contexte spécifique de leur application dans chaque cas spécifique[19]. D’ailleurs, c’est principalement sur la base de l’analyse de ce contexte que ledit Conseil a donné un message fort de renforcement de la liberté d’expression dans ses cinq premières décisions, considérant dans quatre d’entre elles que la suppression de contenu devrait être révoquée[20].

Sur la base des règles du droit international, le Conseil de Surveillance fonde également ses recommandations non contraignantes sur les standards de police de la communauté numérique en question, telles que la recommandation de fournir des informations supplémentaires aux utilisateurs des plateformes sur la portée et l’application de ces standards, afin d’assurer que ces utilisateurs aient une idée claire du contenu non autorisé[21], la recommandation que les utilisateurs soient toujours informés des raisons pour lesquelles les standards leur sont imposées, y compris la règle spécifique applicable dans chaque cas par l’entreprise Facebook (Meta)[22], ou la recommandation que les standards soient rendus accessibles à la majorité des langues parlées par ses utilisateurs[23]. En favorisant l’adaptation de l’application des standards de police aux exigences du droit international, le Conseil de Surveillance semble favoriser la clarté, l’accessibilité et la prévisibilité de la lex Facebook, ainsi que la motivation plus complète des décisions de l’entreprise sur le contenu des posts. De cette manière, ledit Conseil semble contribuer à l’intégration d’éléments de bonne législation et de bonne gouvernance dans le comportement de l’entreprise en cause.

Il convient de noter que, dans la fameuse affaire des restrictions imposées au compte de l’ancien président américain D. Trump[24], le Conseil de surveillance a même donné un exemple de sa volonté de manœuvre, à l’instar de juges constitutionnels expérimentés qui, dans des affaires d’une importance politique et économique particulière, alternent des éléments d’autolimitation légitimant les décisions contrôlées prises et des éléments d’activisme tentant de surdéterminer et de rationaliser des décisions similaires à l’avenir. Ainsi, dans son verdict, il a finalement opté pour une voie médiane, en validant la fermeture des comptes de D. Trump tout en remettant en cause son caractère indéterminé dans le temps[25].

De ce qui précède on pourrait déduire que, plus que toute autre manifestation de constitutionalisme sociétal, l’entreprise Facebook (Meta), en créant sa propre cour suprême virtuelle, donne l’impression qu’elle s’apprête vraiment à devenir un véritable « État numérique » capable de rivaliser avec les États politiques traditionnels[26]. Effectivement, il semble présenter certains des éléments qui pourraient soutenir sa qualification de système juridique analogue et concurrent des ordres juridiques nationaux ou supranationaux modernes créés par les États traditionnels[27].

Il s’agit d’abord d’une formation sociale avec une organisation et un fonctionnement sensiblement stables -quoique relativement précaires et néanmoins pas suffisamment pérennes- d’envergure mondiale. Son objet d’activité semble typiquement non pas universel, mais sectoriel, limité à la communication. Cependant, il contribue substantiellement à la formation globale d’une partie importante de la soi-disant « Société de l’Information », qui est perçue comme « une forme de développement socio-économique dans laquelle l’acquisition, le stockage, le traitement, la valorisation, le transfert et la diffusion d’ informations conduisent à la création de connaissance et à la satisfaction des besoins des individus et des entreprises, jouant ainsi un rôle central dans l’activité économique, la production de richesse et la formation de la qualité de vie des citoyens»[28].

Par ailleurs, l’organisation et l’activité des membres de l’entreprise Facebook (Meta) et de ses utilisateurs semblent reposer sur des règles et des procédures de contrôle qui montrent une tendance de procéder à une certaine constitutionnalisation et à l’établissement de certains éléments d’État de droit. C’est le cas notamment de la distinction entre les organes de gouvernance de l’entreprise et le Conseil de surveillance, ainsi que de l’incorporation dans la soi-disant « jurisprudence » de ce dernier des standards de protection des droits individuels fondamentaux qui sont consacrés par le droit international en vigueur.

Or, tout enthousiasme suscité par les premières décisions du Conseil de surveillance s’est heurté à un fort scepticisme qui fait voler en éclat l’impression selon laquelle il s’agirait bien d’une institution constitutionnelle moderne.

B. L’érosion des standards constitutionnels modernes

Il a été très tôt souligné que le Conseil de surveillance, bien qu’il puisse accroître la transparence en rendant l’entreprisse Facebook (Meta) plus responsable de ses choix, est une institution privée dont la légitimité et les ressources dépendent de son fondateur privé. Cette institution promeut une forme d’administration privée de la justice qui marginalise et hybride les valeurs constitutionnelles et les garanties démocratiques. La logique du Conseil de surveillance, tout en semblant être fondée sur le droit international des droits de l’homme, continue d’être inévitablement influencée par les standards privés énoncées dans les directives de l’entreprise Facebook (Meta).

Le scepticisme ci-dessus semble largement justifié, car, de nos jours, même les pouvoirs les plus arbitraires cherchent à se légitimer en invoquant les standards constitutionnels modernes et le Conseil de surveillance semble être « d’abord et avant tout un exercice de relations publiques au nom de Facebook »[29]. De plus, l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise Facebook (Meta) sont loin du principe démocratique et du principe de l’État de droit, d’autant plus que cette entreprise a elle-même construit la communauté numérique qu’elle régit, ce qui n’est pas conforme à la distinction moderne entre l’État et la Société.

Cependant, dans une approche plus cynique, il pourrait bien être souligné qu’un scepticisme similaire existe aujourd’hui même pour le constitutionnalisme étatique et ses dérivés supranationaux, qui ont été altérés par le dogme de la souveraineté partagée, par la privatisation des pouvoirs publics et par l’instrumentalisation des règles constitutionnelles. En effet, pour nombre des aspects de ce pluralisme constitutionnel désordonné, on pourrait dire, comme pour l’entreprise Facebook (Meta), qu’ils imitent les standards de la modernité pour servir des visées antimodernes.

En dernière analyse, ce qui semble surtout manquer au constitutionalisme éclos de l’entreprise Facebook (Meta), c’est la croyance en son autonomie et à l’application hétérogène des règles et des décisions qui en découlent. À cet égard, il ne suffit pas que les utilisateurs des plateformes privées concernées soient contraints, au vu de la réalité économique, sociale et politique, de les utiliser pour répondre à leurs besoins quotidiens. Il ne suffit pas non plus que la pandémie de Covid-19 ait fait que Facebook, ainsi que d’autres plateformes numériques mondiales (Uber, Amazon, Airbnb etc.), soient plus que jamais traités comme des services d’intérêt général ou des éléments essentiels d’une infrastructure sociale, ce qui permet désormais à leurs propriétaires d’affirmer leur souveraineté sur leurs milliards d’utilisateurs, arguant qu’ils ne poursuivent pas leurs intérêts commerciaux, mais qu’ils servent un bien collectif et objectif. Ce qu’il faut, en outre, c’est la reconnaissance de l’entreprise Facebook (Meta) en tant qu’institution autonome et juridiquement capable, par les États eux-mêmes et les instances supranationales avec lesquelles elle est en concurrence. Certes, on ne doit pas attendre une reconnaissance similaire à celle faite par la communauté internationale lorsqu’un État déclare son indépendance. Or, il pourrait bien s’agir d’une reconnaissance analogue à celle de la suprématie du droit de l’Union européenne par les cours suprêmes ou constitutionnelles de ses États membres, même si cette suprématie n’était, en principe, reflétée explicitement ni dans les constitutions nationales ni dans les traités européens, mais a découlé de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui l’a promue dans le cadre de son dialogue avec les juges nationaux[30]. En l’occurrence, une telle reconnaissance pourrait résulter de la réglementation publique des pouvoirs privés sujets du constitutionalisme sociétal, c’est-à-dire -pour ce qui concerne l’Europe- de la réglementation que les organes du constitutionalisme européen sont appelés à imposer sur les plateformes en ligne privées.

I. Les vicissitudes du constitutionnalisme européen

La montée et la consolidation des entreprises privées ayant promu le constitutionalisme sociétal par le biais de plateformes numériques mondiales n’était pas une simple coïncidence due à la dynamique du marché. C’était avant tout le résultat d’une approche hyper-libérale des démocraties constitutionnelles d’outre-Atlantique face aux technologies numériques à la fin du siècle dernier. En particulier, la décharge des prédécesseurs des entreprises ci-dessus de leur responsabilité a contribué à transformer l’exercice de leurs libertés en une activité qui n’est pas seulement de nature économique, mais constitue un exercice de puissance quasi-publique. Plus précisément, il a été reconnu que les entreprises susmentionnées opèrent en vertu d’un droit subjectif, mais celles-ci ont été laissées particulièrement libres d’exercer ce droit. Cela étant, à l’aide d’une technologie de pointe dont elles détiennent le quasi-monopole, ces entreprises ont constitué l’espace public de la Société de l’Ιnformation, en fixant des standards de conduite et des procédures algorithmiques pour leur mise en œuvre et leur contrôle, d’une manière analogue à ce que les autorités publiques exercent leur pouvoir sur le territoire d’un État ou d’un ordre juridique supranational[31]. Cette activité des entreprises susmentionnées est un défi pour les acteurs européens, qui sont désormais appelés à les apprivoiser en leur imposant les obligations constitutionnelles appropriées. Dans l’hypothèse où ces acteurs ne parviendraient pas à répondre pleinement à cette mission objectivement difficile, le constitutionalisme numérique privé promu par lesdites entreprises aura consolidé davantage sa position de porteur d’une part importante de souveraineté numérique partagée. À cet égard, on a du mal à être très optimiste, car la réglementation européenne, voire toute réglementation publique des plateformes en ligne présente actuellement des ambitions réduites (A) et une efficacité contestable (B).

Α. Les ambitions réduites de la réglementation publique du numérique

Un grand débat est en train d’évoluer sur le changement de paradigme en matière de réglementation publique des services numériques et, notamment, en matière de reconnaissance de certains devoirs proprement dits, liés à l’intérêt général et concernant aussi bien les usagers que les fournisseurs de ces services. Aux adeptes de la liberté la plus étendue possible quant à l’accès et à l’utilisation des réseaux électroniques, qui doivent en principe être neutres et échapper au contrôle des pouvoirs publics, s’opposent ceux qui mettent en avant la nécessité d’intensifier un tel contrôle pour faire face aux grands risques émanant de la révolution numérique et, surtout, du renforcement démesuré de certaines plateformes gérant les réseaux sociaux, de la prolifération de la criminalité électronique et de la diffusion de discours intolérants et d’informations fausses ou falsifiées[32].

Sur ce plan, puisque, dans le cadre de l’Internet participatif (Web 2.0), il suffit de s’abonner à quiconque des médias sociaux existants ou de créer un site Internet ou un blog pour que chaque internaute devienne un journaliste potentiel, la sécurité numérique est recherchée même à la perspective de la suppression de l’anonymat des blogueurs[33]. Derrière ce choix se profile sans doute la tendance à reconnaître un devoir général de véracité et d’honnêteté des internautes, lorsque ceux-ci s’expriment publiquement sur des faits objectifs[34]. De plus, il a été signalé que les plateformes numériques ne sont plus de simples infrastructures techniques neutres qui facilitent simplement la circulation des contenus produits par leurs usagers. Ce sont de nouveaux médias qui complètent ou remplacent l’activité de la presse et de la radiotélévision et fonctionnent, au même titre que les médias traditionnels, comme les gardiens de l’information du grand public. Ainsi, en ce qui concerne la réglementation des contenus circulant sur les plateformes numériques, il a été considéré que le modèle le plus pertinent serait la réglementation de la diffusion radiotélévisée[35], qui instaure à la diffusion radiotélévisée des restrictions beaucoup plus intenses que celles prévues pour la presse et impose aux médias même d’obligations de service public[36].

Certes, un tel encadrement ambitieux des plateformes numériques pourrait effectivement se justifier par le pouvoir de ces dernières d’influencer l’opinion publique et par les répercussions larges et durables que peuvent avoir les publications de leurs usagers sur les droits de ceux qui sont concernés[37]. Or, un tel encadrement, qui pourrait conduire même à la soumission des plateformes numériques à un régime de responsabilité civile objective[38], semble actuellement dépasser de loin non seulement le régime juridique applicable aux États-Unis d’Amérique, mais aussi le régime juridique européen. Dans le cadre de celui-ci, personne -ni même le législateur de l’Union européenne, à juger de la proposition de Règlement sur les services numériques (Digital Services Act) réformant la réglementation applicable aux plateformes numériques- ne semble avoir l’intention d’harmoniser le régime de responsabilité civile des médias traditionnels de radiotélévision avec le régime des plateformes gérant les médias sociaux[39].

Β. L’efficacité contestable de la réglementation publique du numérique 

Au niveau européen, la réglementation publique du constitutionalisme sociétal en matière de numérique présente plusieurs difficultés[40], parmi lesquels figurent, par exemple, les avis partagés entre ceux qui préfèrent la mise en place des règles régissant les services publics et ceux qui optent pour le recours au droit de la concurrence traditionnel[41]. Or, nonobstant lesdites difficultés spécifiques, cette réglementation publique ressemble généralement plutôt à un vœu, car, même si l’Union européenne répond au mieux à sa charge, le cadre juridique qui en résultera pourrait finalement ne pas être efficace. Ce doute est lié à une série de problèmes qui n’ont pas trouvé de solutions satisfaisantes[42], comme le montre la réflexion théorique sur le soi-disant droit global ou, plus généralement, le droit au-delà de l’État[43].

Comme, globalement, il n’existe pas encore de société mondiale politiquement organisée, mais plutôt une société d’individus ou de coalitions individuelles, il est particulièrement difficile d’imaginer la réalisation, dans un futur proche, d’un gouvernement mondial proprement dit qui serve, en plus, un état de droit démocratique. Cela étant, du moins dans un avenir proche, les entreprises privées exploitant des plateformes numériques mondiales essayeront sans doute de ne violer directement aucune nouvelle règle de droit national, régional ou international dans l’objectif d’éviter les conflits directs avec les grands États et les organisations périphériques, telles que l’Union européenne. Toutefois, elles conserveront quand même un potentiel important de manœuvre et d’échappement aux contrôles efficaces, en poursuivant leurs relations sélectives avec les gouvernements nationaux et en exploitant, entre autres, les grandes lacunes organisationnelles de l’ordre constitutionnel déréglementé aux niveaux national, régional et international. En ce qui concerne ces lacunes organisationnelles, il suffit de noter que l’absence de mécanismes de contrôle uniformes au niveau mondial et européen conduira très probablement à l’expansion des dispositions d’autorégulation des entreprises ci-dessus ou à leur régulation par un réseau d’autorités régionales indépendantes[44], dont la fiabilité pour contribuer à la pleine constitutionnalisation des plateformes numériques suscite à juste titre de nombreux doutes. Quant aux contradictions du pluralisme constitutionnel désordonné qui existe notamment en Europe, il suffit d’invoquer le développement asymétrique du dialogue des juges[45]. Ce développement confirme les remarques de S. Cassese selon lesquelles, s’agissant du droit au-delà de l’État, « le processus de juridicisation est compliqué par la concurrence qui se pose entre les systèmes judiciaires […] et par l’interaction entre les systèmes juridictionnels nationaux et mondiaux (qui peuvent être complémentaires, concurrents ou hiérarchisés) »[46].

Après tout, même si les instances les plus compétentes et les procédures les plus appropriées sont trouvées, il y a lieu de se demander quel doit être le contenu des règles européennes fondamentales pour assurer une protection uniforme des droits de l’homme dans le monde entier concerné par les plateformes en ligne. La soi-disant « universalité de la perception du monde occidental » pour cette protection reproduit plutôt une surestimation tant de l’acceptation -voire de la supériorité- de cette perception sur le reste du monde que de sa propre unité et cohérence[47].

L’absence d’une telle unité et cohérence caractérise, tout particulièrement, la liberté d’expression elle-même. Il suffit de tenir compte que le libellé et, par conséquent, l’interprétation du premier amendement à la Constitution américaine, qui stipule, entre autres, que « le Congrès n’adoptera pas une loi qui […] restreint la liberté d’expression» s’écartent substantiellement de la formulation et de l’interprétation du deuxième paragraphe de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit explicitement un certain nombre de restrictions à la déclaration de la même liberté dans le premier paragraphe du même article[48]. Si l’on tient aussi compte qu’il existe une divergence importante même en matière de protection des données personnelles entre les deux côtés de l’Atlantique[49], on peut comprendre que toute tentative d’harmonisation de l’encadrement juridique du numérique, en vue d’empêcher sa colonisation notamment par le droit nord-américain, est confrontée aux limites territoriales de l’État de droit et à la probabilité incertaine de conclure un traité universel et d’établir la compétence d’une autorité internationale pour la gouvernance globale du numérique, entendu comme patrimoine commun de l’humanité[50].

En tout état de cause, dans les circonstances actuelles, même si les instances et les procédures les plus appropriées sont dotées des règles de fond les plus poussées, aucune réglementation publique ne semble capable de suivre le rythme et l’ampleur de la performativité du secteur privé en matière de numérique. Le temps que les pouvoirs publics parviennent à lui imposer des obligations constitutionnelles suffisantes, les pouvoirs privés auront sans doute mis en place le metaverse, c’est-à-dire un espace commun virtuel collectif, un avatar universel de la Société, où les gens peuvent jouer, travailler et communiquer, en utilisant des dispositifs de réception en réalité virtuelle et/ou augmentée[51]. Ainsi, par l’avance constante de ses stupéfiantes performances, le pouvoir et le constitutionalisme privés semblent gagner du terrain dans leur confrontation avec le pouvoir et le constitutionalisme publics déréglementés. Et l’évolution constante de la technologie permet aux premiers d’espérer que, si le handicap de leur réglementation publique n’est pas rattrapé, la foi en leur souveraineté sera peu à peu consolidée dans l’imaginaire collectif.

Conclusions

En dévoilant, le 15 décembre 2020, les deux propositions de Règlement de la Commission sur les services et les marchés numériques, le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, avait dit qu’il ne veut plus qu’« Internet soit un Far West » en Europe[52]. Dans le même esprit, lorsque le Parlement européen a adopté, le 20 janvier 2022, le projet amendé de Règlement sur les services numériques à une large majorité avec 530 voix pour sur les 688 députés européens, M. Breton a déclaré qu’« il y a un nouveau shérif en ville»[53]. Sans doute des belles paroles politiques, exprimées comme d’habitude pour promouvoir une initiative législative. Or, pour l’Union européenne et ses États membres, la réglementation des plateformes en ligne privées n’est pas qu’une simple initiative politique.

Étant donné qu’un petit nombre de grandes entreprises technologiques -la plupart d’elles (GAFAM[54]) siégeant aux États-Unis d’Amérique- contrôlent aujourd’hui la matière première de l’ère numérique qu’est le Big Data, réglementer l’activité de ces entreprises devient un élément inévitable de souveraineté et de compétition géopolitique. Pour l’Union européenne et ses états membres, les défis y afférants ne concernent pas seulement leur rivalité avec d’autres entités étatiques tels États-Unis d’Amérique, dont le Gouvernement a droit d’accès aux données des plateformes numériques américaines en vertu du Cloud Act de 2018, ayant rendu, dans certaines circonstances, obligatoire pour les entreprises technologiques américaines la transmission de leurs données au Gouvernement américain. Les défis existentiels du constitutionnalisme européen concerne aussi son bras de fer direct avec la performativité dynamique du constitutionnalisme sociétal lui-même. On en a bien pris conscience encore une fois, ces dernières semaines, même à l’occasion de la guerre en Ukraine, durant laquelle l’action des centres de pouvoir privés hyperpuissants et des plateformes en ligne privés rivalisent celle de l’Union européenne et de ses états membres[55].

 

[1] Voir D. Rousseau, La Constitution a-t-elle un avenir ? Contributo pubblicato previa accettazione del Comitato scientifico del Convegno «Passato, presente, futuro del costituzionalismo e dell’Europa», che si terrà a Roma l’11-12 maggio 2018 [https://www.nomos-leattualitaneldiritto.it/wp-content/uploads/2018/05/Rousseau-Passato-Presente-Futuro.pdf]: «Traditionnellement, il est admis que l’objet de la constitution est l’Etat. Or, non, l’objet de la constitution c’est la société. …Car, au regard de la Déclaration de 1789, cette conception “sociétale” de la constitution est moins une rupture qu’une continuité. En effet, selon l’article 16 de cette Déclaration, l’objet de la constitution n’est pas l’État mais la société: “ toute société, énonce l’article 16, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution”. “Toute société”, donc, et non pas “tout État” ! ».

[2] Sur le constitutionnalisme sociétal, voir, entre autres, D. Sciulli, Foundations of Societal Constitutionalism : Principles from the Concepts of Communicative Action and Procedural Legality, The British Journal of Sociology, n° 39, 1988, p. 377 s. ; du même auteur, Theory of Societal Constitutionalism : Foundations of a Non-Marxist Critical Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; du même auteur, Corporate Power in Civil Society. An Application of Societal Constitutionalism, New York, New York University Press, 2001; G. Teubner, Fragments constitutionnels. Le constitutionnalisme sociétal à l’ère de la globalisation, traduction et prologue: I. Aubert, Classiques Garnier, 2016 ; du même auteur, Constitutionnalisme sociétal: neuf variations sur un thème de David Sciulli, traduction : I. Aubert, Jus Politicum 19, Janvier 2018 (Collectif: Constitutionnalisme global), p. 71 s. ; du même auteur, La question constitutionnelle au-delà de l’État-nation : pour une approche sociologique du phénomène constitutionnel, Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger 2017, p. 1603 s. ; J. De Munck, Le défi du constitutionnalisme sociétal, in P. D’Argent – M. Verdussen – D. Renders (sld), Les visages de l’État. Liber Amicorum Yves Lejeune, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 293 s. ; D. Grimm, L’acquis du constitutionnalisme et ses perspectives dans un monde changé, Trivium 30/2019, 18.12.2019 [http://journals.openedition.org/trivium/6956], n° 60 s..

[3] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, Sakkoulas Publications, Athènes-Salonique, 2019, n° 75.

[4] Voir C. Yannakopoulos, Le charme discret du constitutionnalisme numérique privé. Réflexions à propos de l’institution et du fonctionnement de la « Cour suprême » de Facebook (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 1/2021, p. 27 s..

[5] Voir son site internet : https://oversightboard.com/.

[6] Βλ. Ο. Pollicino – G. De Gregorio, Shedding Light on the Darkness of Content Moderation: The First Decisions of the Facebook Oversight Board, Verfassungsblog, 5.2.2021 [https://verfassungsblog.de/fob-constitutionalism/].

[7] Voir P. Pavlopoulos, De nouvelles règles pour contrôler les médias sociaux. Un phénomène d’intervention régulatrice de la Société civil dans le contexte de la Mondialisation (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 1/2021, p. 9 s..

[8] Voir P. Van Cleynenbreugel, Plateformes en ligne et droit de l’Union européenne. Un cadre juridique aux multiples visages, Bruylant, 2020.

[9] Voir European Commission, The Digital Services Act package [https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/digital-services-act-package].

[10]  Voir Commission européenne, Propositions de la Commission pour améliorer les conditions de travail des personnes travaillant via une plateforme de travail numérique [https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_6605].

[11] Voir Commission européenne, La Commission présente une déclaration sur les droits et principes numériques au bénéfice de tous dans l’Union [https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_22_452].

[12] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit..

[13] Voir Conseil européen / Conseil de l’Union européen, Un avenir numérique pour l’Europe [https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/a-digital-future-for-europe/].

[14] Voir K. Klonick, Inside the Making of Facebook’s Supreme Court, The New Yorker, 12.2.2021 [https://www.newyorker.com/tech/annals-of-technology/inside-the-making-of-facebooks-supreme-court].

[15] Voir la note sur la procédure dans le cadre de la décision sur l’affaire 2020-007-FB-FBR.

[16] Voir L. Gradoni, Constitutional Review via Facebook’s Oversight Board: How platform governance had its Marbury v Madison, Verfassungsblog, 10.2.2021 [https://verfassungsblog.de/fob-marbury-v-madison/].

[17] Voir, à titre indicatif, les décisions sur les affaires 2020-003-FB-UA et 2021-002-FB-UA.

[18] Sur les risques posés par l’utilisation d’algorithmes pour la protection des droits fondamentaux et la transformation du contrôle juridictionnel y afférant, voir Droit algorithmique (dossier spécial), 2020 25-3 Lex-electronica, pp. 1 – 185 [https://www.lex-electronica.org/articles/volume-25-2020-vol25-n3/droit-algorithmique-version-integrale/]. Voir aussi C. Yannakopoulos, Constitution, libertés et numérique. Les droits et libertés fondamentaux à l’heure numérique: évolution ou révolution ? (texte provisoire), Rapport national (Grèce) à la XXXVIIe Table ronde internationale de justice constitutionnelle comparée, 10-11.09.2021 [https://cyannakopoulos.gr/wp-content/uploads/2021/09/CY_82.pdf], n° 18 et 35.

[19] Voir, par exemple, la décision sur l’affaire 2020-007-FB-FBR, par laquelle le Conseil de surveillance a annulé la décision de Facebook de supprimer, en vertu de son standard de la communauté relatif à la violence et à la provocation, une publication dans un groupe public décrit comme un forum destiné aux musulmans indiens. Dans le cadre de cette décision une majorité des membres du Conseil « a estimé que la suppression de la publication n’était pas nécessaire, soulignant l’importance de son évaluation dans son contexte particulier. Elle a considéré que, de la même manière que les individus ont le droit de critiquer les religions et les figures religieuses, les adhérents aux religions ont également le droit d’exprimer leur indignation face à de tels propos. Le Conseil a reconnu la nature sérieuse de la discrimination et de la violence subies par les musulmans en Inde. La majorité de ses membres a également considéré les références au Président Macron et le boycott des produits d’origine française comme des appels aux actions non violentes. À cet égard, même si la publication incluait une épée, la majorité du Conseil a interprété la publication comme une critique à l’égard de la réaction de Macron aux violences à caractère religieux plutôt que comme une menace crédible de violence. Au moment de déterminer si des préjudices étaient possibles, le Conseil a pris en considération un certain nombre de facteurs. Le sens large du terme utilisé pour définir la cible (« kafirs ») et le manque de clarté quant à la violence ou aux dommages physiques potentiels, qui n’ont pas semblé imminents, ont contribué à la conclusion de la majorité. Selon toute vraisemblance, l’utilisateur n’était pas une personnalité politique ni publique et n’avait pas d’influence particulière sur le comportement d’autres personnes, ce qui était également significatif. En outre, la publication ne comportait aucune référence voilée à un moment ou un lieu prévu pour une action de menace ou d’incitation à la menace. Les recherches du Conseil ont indiqué que les protestations provoquées en Inde par les déclarations de Macron n’avaient pas été violentes, d’après les rapports qui en ont été faits. Dès lors, certains membres du Conseil ont noté que le groupe Facebook ciblait des individus en Inde, notamment par des propos tenus en hindi, ce qui laisse penser que la portée de son influence a peut-être été limitée à une zone qui n’a pas connu de réactions violentes. En outre, certains membres ont considéré que les exemples cités par Facebook étaient en grande partie liés à de la violence exercée envers la minorité musulmane d’Inde, ce qui est un problème urgent, selon le Conseil, mais qui ne constituaient pas des exemples de violence exercées par les musulmans en guise de vengeance. Ainsi, la majorité du Conseil a conclu que la violence physique, en plus de ne pas être imminente, était peu susceptible de découler de cette publication. Une minorité des membres a interprété la publication comme étant menaçante ou comme légitimant des représailles violentes au blasphème. Bien que le mot « épée » fasse référence à une forme non spécifique de violence, la minorité a estimé que les meurtres chez Charlie Hebdo et les décapitations commises récemment en France, tous liés au blasphème, signifiaient que cette menace ne pouvait pas être considérée comme irréaliste et être écartée. Les hashtags, qui font référence aux événements en France, soutiennent cette interprétation. Dans ce cas-ci, la minorité estime que Facebook ne devrait pas attendre que les actes de violence soient imminents avant de supprimer le contenu qui menace ou intimide les personnes qui exercent leur droit à la liberté d’expression, c’est pourquoi elle a exprimé son soutien à la décision de Facebook. La majorité, toutefois, a estimé que Facebook n’avait pas évalué correctement toutes les informations contextuelles. Le Conseil a souligné que la restauration de la publication n’impliquait pas qu’il était d’accord avec son contenu et a pris note des difficultés rencontrées lors de l’évaluation des menaces codées ou voilées. Néanmoins, pour cette publication spécifique, les normes internationales relatives aux droits de l’homme sur la liberté d’expression justifient la décision du Conseil de restaurer le contenu.» [https://www.oversightboard.com/decision/FB-R9K87402].

[20] Voir J. Montero Regules, The Facebook Oversight Board and “Context”: Analyzing the first decisions on hate speech, Verfassungsblog, 16.2.2021 [https://verfassungsblog.de/fob-context/].

[21] Voir la décision sur l’affaire 2020-007-FB-FBR.

[22] Voir la décision sur l’affaire 2020-003-FB-UA et sur l’affaire 2021-002-FB-UA.

[23] Voir la décision sur l’affaire 2021-003-FB-UA. Pour une présentation de l’ensemble des recommandations que le Conseil de surveillance a adressées à l’entreprise Facebook (Meta) et le degré de leur mise en œuvre, voir Oversight Board recommendations [https://transparency.fb.com/oversight/oversight-board-recommendations/].

[24] Voir, entre autres, Après la fermeture du compte de Donald Trump, Facebook et son « Conseil de surveillance » en quête de légitimité, Le Journal du Dimanche, 24.2.2021 [https://www.lejdd.fr/International/apres-la-fermeture-du-compte-de-donald-trump-facebook-et-son-conseil-de-surveillance-en-quete-de-legitimite-4027385] ; D. Ghosh – J. Hendrix, Facebook’s Oversight Board Takes on the Curious Case of Donald J. Trump, Verfassungsblog, 29.1.2021 [https://verfassungsblog.de/fob-trump/].

[25] Dans la décision sur l’affaire 2021-001-FB-FBR, le Conseil de surveillance a estimé que les restrictions imposées au compte de D. Trump étaient justifiées car, au moment des publications en question, il existait un risque clair et immédiat de préjudice, car, en tant que président, M. Trump exerçait une forte influence et ses paroles de soutien aux personnes impliquées dans les émeutes ont légitimé leurs actions violentes. Cependant, le Conseil de surveillance a également jugé qu’une suspension indéfinie du compte de D. Trump était inappropriée, considérant que Facebook n’est pas autorisé à garder un utilisateur hors de la plate-forme indéfiniment, sans critère pour savoir quand ou si son compte sera restauré. Pour cette raison, le Conseil de surveillance a demandé à Facebook de reconsidérer, dans un délai de six mois, la peine arbitraire prononcée et de décider de la peine appropriée qui devrait, d’une part, être fondée sur la gravité de la violation et la perspective de dommages futurs et, d’autre part, être conforme aux règles de Facebook pour les violations graves. Dans le même temps, le Conseil de surveillance a fourni à l’entreprise des recommandations détaillées sur la manière d’évaluer les messages des utilisateurs influents et, en particulier, des dirigeants politiques, cherchant à développer des politiques claires, nécessaires et proportionnées qui favorisent la sécurité publique et le respect de la liberté d’expression. Voir aussi Κ. Ajji, La décision du Conseil de surveillance de Facebook relative à l’exclusion de Donald Trump : la solution timide d’une juridiction imaginaire, Jus Politicum Blog, 10.5.2021 [https://blog.juspoliticum.com/2021/05/10/la-decision-du-conseil-de-surveillance-de-facebook-relative-a-lexclusion-de-donald-trump-la-solution-timide-dune-juridiction-imaginaire-par-kamel-ajji/].

[26] Voir P. Terraz, Le désir mimétique de Mark Zuckerberg, Philosophie magazine, avril 2021 [https://www.philomag.com/articles/le-desir-mimetique-de-mark-zuckerberg].

[27]Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 81.

[28] Voir La Grèce dans la société de l’information. Stratégie et actions (en grec), 2002 [http://broadband.cti.gr/el/download/strathgikh.pdf], p. 10.

[29] Voir J. Montero Regules, The Facebook Oversight Board and “Context”: Analyzing the first decisions on hate speech, op. cit..

[30] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 21.

[31] Voir G. De Gregorio – O. Pollicino, The European Constitutional Road to Address Platform Power, op. cit..

[32] Voir Ch. Anthopoulos, Plateformes numériques et contrôle des contenus de l’information en ligne (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 1/2021, p. 19 s..

[33] Voir, entre autres, Ι. D. Igglezakis, « Liberté d’expression et anonymat sur Internet : le paradigme des blogs » (en grec), Droit de technologie et de communication (revue juridique grecque) 2011, p. 317 s..

[34] Sur la question de savoir s’il existe un droit au mensonge, voir Ph. Jougleux, « La désinformation à l’ère numérique » (en grec), Droit de technologie et de communication (revue juridique grecque) 2016, p. 504 s.. Voir aussi M. Lequan, « Existe-t-il un droit de mentir ? Actualité de la controverse Kant/Constant », Études, vol. 400, no 2, 2004, p. 189 s.. Voir aussi la décision n° 582/2016 du Tribunal correctionnel de Veria (Grèce), qui a condamné pour diffusion de fausses nouvelles un journaliste qui a posté sur Internet un article dans lequel il affirmait que les laboratoires pharmaceutiques propageaient le cancer, le sida, la leucémie etc. par le biais de vaccins, en racontant l’histoire d’une petite fille, mais sans citer nulle part les faits de l’identité de celle-ci ou les coordonnées des médecins qui l’ont soignée et en général sans citer un élément qui prouve ce qu’il a dit.

[35] Voir Ch. Anthopoulos, « Plateformes numériques et contrôle des contenus de l’information en ligne » (en grec), op. cit., p. 20 s., not. p. 21.

[36] Cf. l’article 15, paragraphe 2, de la Constitution grecque, tel que révisé en 2001 : « [l]a radiophonie et la télévision sont placées sous le contrôle direct de l’État. Le contrôle et l’imposition des sanctions administratives relèvent de la compétence exclusive du Conseil National de la Radiotélévision, qui est une autorité indépendante, comme en dispose la loi. Le contrôle direct de l’État, qui prend aussi la forme du régime de l’autorisation préalable, a pour but la diffusion, de façon objective et égale, d’informations et de nouvelles ainsi que d’œuvres de littérature et d’art, la garantie du niveau qualitatif des émissions imposé par la mission sociale de la radiophonie et de la télévision et par le développement culturel du Pays, ainsi que le respect de la dignité de l’individu et la protection de l’enfance et de la jeunesse. La loi prend les mesures relatives à la retransmission obligatoire et gratuite des travaux de la Chambre des députés et de ses commissions ainsi que des messages électoraux des partis politiques par les moyens radiotélévisés ».

[37] Cf. la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, du 5 mai 2011, Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, requête n° 33014/05, point 63 : « L’Internet est certes un outil d’information et de communication qui se distingue particulièrement de la presse écrite, notamment quant à sa capacité à emmagasiner et diffuser l’information. Ce réseau électronique, desservant des milliards d’usagers partout dans le monde, n’est pas et ne sera peut-être jamais soumis aux mêmes règles ni au même contrôle. Assurément, les communications en ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de la vie privée. Aussi, la reproduction de matériaux tirés de la presse écrite et celle de matériaux tirés de l’Internet peuvent être soumises à un régime différent. Les règles régissant la reproduction des seconds doivent manifestement être ajustées en fonction des caractéristiques particulières de la technologie de manière à pouvoir assurer la protection et la promotion des droits et libertés en cause ».

[38] Voir A. Tasikas, Suppression de l’insulte personnelle par un tiers (concernant la responsabilité pour la publication de contenu offensant sur Internet) (en grec), Droit de technologie et de communication (revue juridique grecque) 2019, p. 309 s..

[39] Voir Ch. Anthopoulos, Plateformes numériques et contrôle des contenus de l’information en ligne (en grec), op. cit., p. 25.

[40] Voir, à titre indicatif, sur les difficiles enjeux de la responsabilité des gestionnaires de réseaux sociaux qu’est appelé à réglementer en Europe le Digital Services Act, J. Barata, The Digital Services Act and the Reproduction of Old Confusions: Obligations, Liabilities and Safeguards in Content Moderation, Verfassungsblog, 2.3.2021 [https://verfassungsblog.de/dsa-confusions/]. Voir aussi G. De Gregorio – O. Pollicino, The European Constitutional Road to Address Platform Power, op. cit..

[41] Sur la protection de la libre concurrence en matière de plateformes en ligne voir, entre autres, F. Lancieri – P. M. Sakowski, Competition in Digital Markets. A Review of Expert Reports, 26 Stan. J. L. Bus. & Fin. 65 (2021) ; H. Schweitzer, The art to make gatekeeper positions contestable and the challenge to know what is fair: A discussion of the Digital Markets Act Proposal, ZEuP 2021, Issue 3, p. 503 s. ; N. Petit, The Proposed Digital Markets Act (DMA): A Legal And Policy Review, Journal of European Competition Law & Practice 2021, Volume 12, Issue 7, p. 529 s.; P. Ibáñez Colomo, The Draft Digital Markets Act: A legal and institutional analysis, Journal of European Competition Law & Practice 2021, Volume 12, Issue 7, p. 561 s..

[42] Sur les difficultés de la réglementation du constitutionnalisme sociétal, voir aussi D. Grimm, L’acquis du constitutionnalisme et ses perspectives dans un monde changé, op. cit., n° 63.

[43] Voir, entre autres, L. Cohen-Tanugi, Le droit sans l’État : Sur la démocratie en France et en Amérique, PUF, 1985, S. Cassese, Au-delà de l’État (traduit en grec par G. I. Dellis – M. P. Andrikopoulos – A. S. Chassapopoulos, éditions Ant. N. Sakkoula, Athènes-Komotini, 2009 ; J.-Y. Chérot – B. Frydman (επιμ.), La science du droit dans la globalisation, Bruylant, 2012, M. Delmas-Marty, De la grande accélération à la grande métamorphose. Vers un ordre juridique planétaire, Lormont, Le Bord de l’eau, 2017.

[44] Voir Ch. Anthopoulos, Plateformes numériques et contrôle des contenus de l’information en ligne, op. cit., p. 25.

[45] Βλ. C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, ό. π., σ. 180 επ..

[46] Βλ. S. Cassese, Au-delà de l’État, op. cit., pp. 32 – 33.

[47] Voir, entre autres, Mathieu B., Constitution: rien ne bouge et tout change, Collection Forum, Lextenso, 2013, pp. 28 s. et 31 s. ; L. Burgorgue-Larsen, Le basculement de l’Histoire ? Les attaques contre l’universalisme des droits de l’homme, Revue des droits et libertés fondamentaux 2021, chronique n° 06, [http://www.revuedlf.com/droit-international/le-basculement-de-lhistoire-les-attaques-contre-luniversalisme-des-droits-de-lhomme/].

[48] « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

[49] Voir, entre autres, la décision CJUE, 16.7.2020, C-311/18, Facebook Ireland και Schrems, par lequel la Cour de justice a considéré comme invalide le système « Privacy Shield » qui permettait le transfert de données personnelles vers les États-Unis et obligeait les responsables du traitement à reconsidérer le transfert de données personnelles et leur supervision. Voir aussi S. Tewari, Schrems II – A brief history, an analysis and the way forward, Verfassungsblog, 25.7.2020 [https://verfassungsblog.de/schrems-ii-a-brief-history-an-analysis-and-the-way-forward/]; F. Bignami, Schrems II: The Right to Privacy and the New Illiberalism, Verfassungsblog, 29.7.2020 [https://verfassungsblog.de/schrems-ii-the-right-to-privacy-and-the-new-illiberalism/]; Ch. Kuner, Schrems II Re-Examined, Verfassungsblog, 25.8.2020 [https://verfassungsblog.de/schrems-ii-re-examined/].

[50] Voir J.-J. Lavenue, Internationalisation ou américanisation du droit public: l’exemple paradoxal du droit du cyberespace confronté à la notion d’ordre public, Lex Electronica, vol. 11, n° 2 (Automne/Fall 2006) [https://www.lex-electronica.org/articles/vol11/num2/internationalisation-ou-americanisation-du-droit-public-lexemple-paradoxal-du-droit-du-cyberespace-confronte-a-la-notion-dordre-public/].

[51] Voir J.M. Smart – J. Cascio – J. Paffendorf, Metaverse Roadmap Overview, 2007 [https://metaverseroadmap.org/inputs4.html#glossary]. Voir aussi sur les declarations de Mark Zuckerberg, Metaverse: Qu’est-ce que la réalité virtuelle qui ronge l’espace-temps (en grec), CNN Greece, 30.10.2021 [https://www.cnn.gr/tech/story/287429/metaverse-ti-einai-i-eikoniki-pragmatikotita-poy-rokanizei-ton-xoroxrono].

[52] Voir « Bruxelles ne veut plus qu’Internet « reste un Far West » », Le Point, 15.12.2020 [https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/bruxelles-ne-veut-plus-qu-internet-reste-un-far-west-15-12-2020-2405843_47.php].

[53] Voir Th. Labro, L’UE met le holà au Far West en ligne, Paperjam – Business zü Letzebuerg, 20.1.2022 [https://paperjam.lu/article/ue-met-hola-sur-far-west-en-li].

[54] L’acronyme GAFAM fait référence aux cinq grandes entreprises technologiques, toutes américaines : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft.

[55] À titre indicatif, le milliardaire Elon Musk a répondu immédiatement à l’appel du vice-Premier ministre ukrainien Mykhailo Fedorov d’activer le service internet en Ukraine par satellite Starlink de son groupe SpaceX et d’envoyer des équipements dans le pays (voir Les Echos, Ukraine : des terminaux du service internet Starlink d’Elon Musk sont arrivés sur place, 1.2.2022 [https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/ukraine-des-terminaux-du-service-internet-starlink-delon-musk-sont-arrives-sur-place-1390352]), tandis que l’Union européenne et ses états membres n’avaient pas une réponse aussi efficace et immédiate à donner aux différents appels du gouvernement et du peuple ukrainiens. En même temps, le réseau social Twitter a bloqué les comptes des médias russes RT et Sputnik dans l’Union européenne (voir Le Figaro avec AFP, Twitter bloque à son tour les médias russes RT et Sputnik en Europe, 3.3.2022 [https://www.lefigaro.fr/medias/twitter-bloque-a-son-tour-les-medias-russes-rt-et-sputnik-en-europe-20220303]) à la suite de la décision du Conseil de l’Union du 1er mars 2022 les ayant accusés d’être des instruments de « désinformation » de Moscou dans sa guerre contre l’Ukraine (voir la Décision 2022/351 du Conseil du 1er mars 2022 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, JOUE, 2.3.2022, L 65/5 [https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:L:2022:065:FULL&from=FR]) mais le même réseau social se reconnaît le droit de considérer que la disponibilité des messages de l’armée ukrainienne peut toujours présenter un intérêt pour le public, même lorsque ces messages enfreignent ses règles relatives aux conduites haineuses (voir A. Horn, CheckNews. Que sait-on de la vidéo où des membres du régiment Azov trempent leurs balles dans de la graisse de porc ?, Libération, 4.3.2022 [https://www.liberation.fr/checknews/que-sait-on-de-la-video-ou-des-membres-du-regiment-azov-trempent-leurs-balles-dans-de-la-graisse-de-porc-20220304_LU6UMR7JEBG27LF5ITMBLDBXQA/]).

Les plateformes en ligne privées et le droit de l’Union européenne : deux constitutionnalismes non étatiques à la recherche de la souveraineté numérique

Introduction

Dans la société dite post-westphalienne, marquée par la globalisation, il y a plusieurs domaines d’activités qui dénotent la crise de la souveraineté et du constitutionnalisme étatiques. Ces dernières années, le numérique constitue, sans doute, le plus emblématique de ces domaines. Son encadrement est désormais insaisissable quasiment par tout ordre constitutionnel national agissant seul. Il est pourtant revendiqué par deux formes de constitutionnalisme non étatique, à savoir le constitutionnalisme sociétal et le constitutionnalisme européen.

L’appréciation, assez rependue de nos jours, que l’État n’est pas la forme « naturelle » de l’organisation politique des sociétés conduit d’aucuns à prétendre que l’objet de la Constitution n’est pas l’État, mais la Société[1]  et, en particulier, certains centres de gouvernement collectifs privés ayant une envergure internationale  et revendiquant une forme de constitutionnalisation autonome (communautés commerciales, entreprises multinationales, associations sportives, universités internationales, etc.). C’est le phénomène de constitutionnalisme sociétal[2], qui promeut une conception simpliste, voire réductionniste du constitutionnalisme et une privatisation des standards constitutionnels. Il identifie la Constitution non pas avec l’ensemble de la Société, mais avec des sous-secteurs sociaux distincts. Pour chacun d’entre eux, il peut y avoir une constitution sectorielle autonome (lex mercatoria, lex sportiva, lex digitalis, etc.), ce qui renverse la conception traditionnelle selon laquelle la Constitution est destinée à régir, en compétence générale, la société politique tout entière et n’est pas soumis au principe de spécialité[3]. De cette manière, le constitutionnalisme sociétal, qui présuppose l’acceptation du dogme de la souveraineté partagée, contribue à la fragmentation du constitutionalisme en sous-systèmes organisationnels concurrents de pouvoir public ou privé et pousse les citoyens à mépriser davantage l’État et rechercher l’aide de tout substitut privé des institutions étatiques. En même temps, en contournant toute autonomie juridique de l’État par rapport à la Société, sur laquelle repose le concept moderne d’État de droit, le constitutionalisme sociétal met en péril la protection des droits des faibles à l’égard des membres les plus forts de la collectivité concernée, car il n’est pas évident que toutes les garanties offertes par le constitutionalisme étatique classique (la protection inconditionnelle des droits fondamentaux, la subordination de la limitation des droits fondamentaux au service de l’intérêt général et au principe de proportionnalité, le contrôle indépendant de constitutionnalité et de légalité, etc.) puissent être identifiés dans une constitution sectorielle privée.

Récemment, grâce aux évolutions de l’organisation et du fonctionnement des plateformes en ligne privées et, en particulier, des plateformes gérées par l’entreprise Facebook (devenu Meta), le constitutionalisme sociétal a fait des avancées significatives dans le domaine du numérique. L’événement le plus spectaculaire a été l’institution du Conseil de surveillance (Oversight Board) de l’entreprise Facebook (Meta)[4]. Alors que sa communauté d’utilisateurs franchissait le seuil de deux milliards de personnes, cette entreprise a décidé de créer ce Conseil pour l’aider à répondre à certaines des questions les plus complexes en matière de liberté d’expression en ligne : quels contenus supprimer, quels contenus laisser en ligne et pourquoi[5].Les décisions dudit Conseil de confirmer ou d’infirmer les décisions relatives au contenu prises par l’entreprise Facebook (Meta) sont contraignantes, ce qui signifie que ladite entreprise doit les mettre en œuvre, à moins que cela ne contrevienne à la loi.

Le Conseil de surveillance, depuis l’origine appelé la « Cour suprême » de l’entreprise Facebook (Meta), est le fruit d’un effort d’autorégulation d’un grand opérateur de médias sociaux, médias qui, en pleine pandémie, ont été tantôt salués comme la « Terre promise » pour l’humanité, car ils ont assuré dans des conditions extrêmement difficiles l’exercice de la liberté d’expression et des autres libertés fondamentales, tantôt diabolisés, en raison du pouvoir alarmant qu’ils ont acquis et du fait qu’ils sont devenus une source d’informations fallacieuses (fake news) et de risques très sérieux d’atteintes à la personnalité, aux libertés civiles et à la sécurité des gens. Le Conseil de surveillance constitue un premier projet global de protection des droits fondamentaux et, notamment, de la liberté d’expression. Il apparaît comme la superstructure privée la plus impressionnante de la mondialisation et sa conception cosmopolite se présente comme rivalisant avec le prestige des cours constitutionnelles nationales et des juridictions supranationales qui garantissaient, jusqu’aujourd’hui, le respect des droits de l’homme. Or, ce Conseil, bien qu’il semble renforcer la transparence et respecter les exigences du droit international des droits fondamentaux, reste inévitablement influencé par les intérêts privés et les standards de police de l’entreprise Facebook (Meta). À cet égard, il existe un risque que le charme dudit Conseil rassure les organismes publics sur les vertus de l’autorégulation, tout en érodant les valeurs juridictionnelles et en consolidant des formes de pouvoir qui échappent au contrôle démocratique[6]. Et, en dernière analyse, l’incontournable question qui se pose est évidemment la suivante : quis custodiet ipsos custodes ?[7]. Quelle est l’entité politique qui pourrait instituer des règles et des procédures juridiques propres à délimiter et contrôler adéquatement l’action globale des plateformes privées en ligne et ses organes d’autorégulation tel le Conseil de surveillance de l’entreprise Facebook (Meta) ?

Comme aucun état européen n’est apte à assumer tout seul cette charge, le fardeau de la réglementation publique en Europe des plateformes privées en ligne semble peser sur l’Union européenne elle-même, qui apparaît comme la seule entité publique capable de tenter de faire face aussi bien au développement global du constitutionnalisme sociétal en matière de numérique qu’à la concurrence des états hyperpuissants tels que les États-Unis d’Amérique, la Russie ou la Chine. D’ailleurs, l’Union européenne a déjà mise en place une série de mesures pour encadrer les plateformes ci-dessus en vue notamment de sauvegarder les règles et principes relatifs à la libre circulation, de protéger la libre concurrence, d’assurer la fiscalité convenable et la protection des données personnelles[8], de moderniser la législation européenne sur les services et les marchés numériques[9], d’améliorer les conditions de travail des personnes travaillant via des plateformes en ligne[10] et même de promouvoir une déclaration générale sur les droits et principes numériques au bénéfice de tous dans l’Union[11]. Toutefois, il y lieu de s’inquiéter de l’efficacité de tout cet arsenal juridique, étant donné que la constitutionalisation de l’Union reste encore incomplète. Certes, le constitutionnalisme européen est public, car il est produit par les états membres de l’Union. Mais il reste tout de même non étatique, car il ne repose pas sur un État européen souverain. Il s’agit d’un constitutionnalisme atypique, qui flotte dans les vagues infinies des crises qui émanent de la déréglementation constitutionnelle qui marque l’Europe actuelle[12]. Cela étant, réglementer les plateformes en ligne devient un défi existentiel pour l’Union et son constitutionnalisme. À cet égard, il n’est pas sans importance que l’Union a avoué qu’en essayant de protéger ses valeurs et préserver les droits fondamentaux et la sécurité des citoyens, elle cherche surtout à renforcer sa souveraineté numérique[13].

L’objectif de ma conférence est de mettre en évidence le bras de fer qui s’installe, pour la réglementation des plateformes en ligne privées, entre ces deux formes de constitutionalisme non étatique, à savoir le constitutionnalisme sociétal et le constitutionalisme européen. Ce bras de fer résume le plus grand enjeu juridico-politique actuel à l’échelle aussi bien européenne que mondiale : la redistribution de la souveraineté entre le pouvoir privé et le pouvoir public, une redistribution qui conditionne l’avenir de l’État de droit et de la démocratie elle-même. Pour arriver à mettre en avant cet enjeu, je vais aborder, d’une part, le dynamisme du constitutionalisme sociétal (I) et, d’autre part, les vicissitudes du constitutionalisme européen (II) en matière de numérique.

Ι. Le dynamisme du constitutionnalisme sociétal

Le constitutionnalisme sociétal est la dernière étape de l’escalade de la privatisation des standards constitutionnels. Certains centres de pouvoir privés hyperpuissants, ayant des ressources financières énormes et maitrisant la technologie de pointe, vont jusqu’à revendiquer le pouvoir constituant, c’est-à-dire la souveraineté elle-même. Le Conseil de surveillance de l’entreprise Facebook (Meta) est un exemple éloquent de deux faces opposées de ce dynamisme du constitutionnalisme sociétal, lequel imite (A) et érode (B) à la fois les standards constitutionnels modernes.

Α. L’imitation des standards constitutionnels modernes

Après un long processus ressemblant aux travaux préparatoires de l’institution des normes constitutionnelles[14], le Conseil de surveillance de l’entreprise Facebook (Meta), une fois institué, a acquis ses 20 premiers membres, dont un ancien Premier ministre, un prix Nobel de la paix, des constitutionnalistes et des experts des droits qui ont vécu dans 27 pays et parlent au moins 29 langues, bien qu’un quart de ces membres viennent des États-Unis d’Amérique.

Il est à noter que ce Conseil est régi par des règles de procédure assimilables aux règles de procédure applicables dans les ordres juridictionnels nationaux et supranationaux, ce qui contribue à renforcer sa crédibilité en tant qu’organe de contrôle quasi-juridictionnel. D’autant plus que, outre le pluralisme des spécialisations de ses membres allant au-delà de la formation d’habitude exclusivement ou principalement juridique des membres des juridictions nationales et supranationales traditionnelles, le Conseil de Surveillance de l’entreprise Facebook (Meta) est doté de procédures spécifiques, qui renforcent considérablement la légitimité de ses décisions et, à ce jour, pourraient difficilement être garanties par l’écrasante majorité des tribunaux nationaux ou internationaux. Plus précisément, afin de justifier dûment ses jugements, le Conseil ci-dessus est en mesure d’externaliser une recherche indépendante à un institut de recherche qui, avec une équipe de plus de 50 chercheurs en sciences sociales sur six continents et plus de 3.200 experts nationaux dans le monde entier, peut garantir que ledit Conseil dispose de connaissances spécialisées sur le contexte socio-politique et culturel de chaque affaire. Parallèlement, une autre entreprise dont les experts parleraient couramment plus de 350 langues et travailleraient dans 5.000 villes dans le monde lui assure de compétences linguistiques diverses et spécialisées[15].

Mais le plus important est que, dans les premières décisions du Conseil de Surveillance de l’entreprise Facebook (Meta), qui ont commencé à être publiées le 28 janvier 2021, un phénomène similaire à celui de l’institutionnalisation du contrôle de constitutionnalité des lois par la Cour suprême des États-Unis d’Amérique a été identifié. Plus particulièrement, la compétence -en principe limitée- qui avait été accordée à ce Conseil, au sujet des suppressions controversées de publications ou de commentaires individuels, lui permettait d’appliquer, mais pas de remettre en cause les normes et les valeurs de la politique (« Voix, Authenticité, Sécurité, Vie privée, Confidentialité ») découlant des règles de gouvernance de l’entreprise en cause (lex Facebook). Toutefois, le Conseil semble, dès ses premières décisions, invoquer le droit international des droits de l’homme non seulement en complément de la lex Facebook, mais en tant que base fondamentale de contrôle de celle-ci. D’un point de vue fonctionnel, le Conseil de Surveillance a d’emblée donné l’impression que, suivant le modèle de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, il a vraiment l’intention de devenir une sorte de cour suprême qui promeut le contrôle de la « constitutionnalité » et, par conséquent, la « constitutionnalisation » de la lex Facebook[16].

Dans ce contexte, l’invocation des règles du droit international et, en particulier, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, permet au Conseil de Surveillance d’appliquer systématiquement le principe de proportionnalité aux restrictions à la liberté d’expression[17]. L’application de ce principe compense l’arbitraire de l’automatisation que reproduisent les standards de police de l’entreprise Facebook (Meta) et/ou l’utilisation d’algorithmes connexes[18] dans le cadre de la gestion des plateformes Facebook et Instagram. En tout cas, le principe de proportionnalité permet au Conseil de Surveillance de combiner l’interprétation globale uniforme des règles de protection des droits fondamentaux avec le contexte spécifique de leur application dans chaque cas spécifique[19]. D’ailleurs, c’est principalement sur la base de l’analyse de ce contexte que ledit Conseil a donné un message fort de renforcement de la liberté d’expression dans ses cinq premières décisions, considérant dans quatre d’entre elles que la suppression de contenu devrait être révoquée[20].

Sur la base des règles du droit international, le Conseil de Surveillance fonde également ses recommandations non contraignantes sur les standards de police de la communauté numérique en question, telles que la recommandation de fournir des informations supplémentaires aux utilisateurs des plateformes sur la portée et l’application de ces standards, afin d’assurer que ces utilisateurs aient une idée claire du contenu non autorisé[21], la recommandation que les utilisateurs soient toujours informés des raisons pour lesquelles les standards leur sont imposées, y compris la règle spécifique applicable dans chaque cas par l’entreprise Facebook (Meta)[22], ou la recommandation que les standards soient rendus accessibles à la majorité des langues parlées par ses utilisateurs[23]. En favorisant l’adaptation de l’application des standards de police aux exigences du droit international, le Conseil de Surveillance semble favoriser la clarté, l’accessibilité et la prévisibilité de la lex Facebook, ainsi que la motivation plus complète des décisions de l’entreprise sur le contenu des posts. De cette manière, ledit Conseil semble contribuer à l’intégration d’éléments de bonne législation et de bonne gouvernance dans le comportement de l’entreprise en cause.

Il convient de noter que, dans la fameuse affaire des restrictions imposées au compte de l’ancien président américain D. Trump[24], le Conseil de surveillance a même donné un exemple de sa volonté de manœuvre, à l’instar de juges constitutionnels expérimentés qui, dans des affaires d’une importance politique et économique particulière, alternent des éléments d’autolimitation légitimant les décisions contrôlées prises et des éléments d’activisme tentant de surdéterminer et de rationaliser des décisions similaires à l’avenir. Ainsi, dans son verdict, il a finalement opté pour une voie médiane, en validant la fermeture des comptes de D. Trump tout en remettant en cause son caractère indéterminé dans le temps[25].

De ce qui précède on pourrait déduire que, plus que toute autre manifestation de constitutionalisme sociétal, l’entreprise Facebook (Meta), en créant sa propre cour suprême virtuelle, donne l’impression qu’elle s’apprête vraiment à devenir un véritable « État numérique » capable de rivaliser avec les États politiques traditionnels[26]. Effectivement, il semble présenter certains des éléments qui pourraient soutenir sa qualification de système juridique analogue et concurrent des ordres juridiques nationaux ou supranationaux modernes créés par les États traditionnels[27].

Il s’agit d’abord d’une formation sociale avec une organisation et un fonctionnement sensiblement stables -quoique relativement précaires et néanmoins pas suffisamment pérennes- d’envergure mondiale. Son objet d’activité semble typiquement non pas universel, mais sectoriel, limité à la communication. Cependant, il contribue substantiellement à la formation globale d’une partie importante de la soi-disant « Société de l’Information », qui est perçue comme « une forme de développement socio-économique dans laquelle l’acquisition, le stockage, le traitement, la valorisation, le transfert et la diffusion d’ informations conduisent à la création de connaissance et à la satisfaction des besoins des individus et des entreprises, jouant ainsi un rôle central dans l’activité économique, la production de richesse et la formation de la qualité de vie des citoyens»[28].

Par ailleurs, l’organisation et l’activité des membres de l’entreprise Facebook (Meta) et de ses utilisateurs semblent reposer sur des règles et des procédures de contrôle qui montrent une tendance de procéder à une certaine constitutionnalisation et à l’établissement de certains éléments d’État de droit. C’est le cas notamment de la distinction entre les organes de gouvernance de l’entreprise et le Conseil de surveillance, ainsi que de l’incorporation dans la soi-disant « jurisprudence » de ce dernier des standards de protection des droits individuels fondamentaux qui sont consacrés par le droit international en vigueur.

Or, tout enthousiasme suscité par les premières décisions du Conseil de surveillance s’est heurté à un fort scepticisme qui fait voler en éclat l’impression selon laquelle il s’agirait bien d’une institution constitutionnelle moderne.

B. L’érosion des standards constitutionnels modernes

Il a été très tôt souligné que le Conseil de surveillance, bien qu’il puisse accroître la transparence en rendant l’entreprisse Facebook (Meta) plus responsable de ses choix, est une institution privée dont la légitimité et les ressources dépendent de son fondateur privé. Cette institution promeut une forme d’administration privée de la justice qui marginalise et hybride les valeurs constitutionnelles et les garanties démocratiques. La logique du Conseil de surveillance, tout en semblant être fondée sur le droit international des droits de l’homme, continue d’être inévitablement influencée par les standards privés énoncées dans les directives de l’entreprise Facebook (Meta).

Le scepticisme ci-dessus semble largement justifié, car, de nos jours, même les pouvoirs les plus arbitraires cherchent à se légitimer en invoquant les standards constitutionnels modernes et le Conseil de surveillance semble être « d’abord et avant tout un exercice de relations publiques au nom de Facebook »[29]. De plus, l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise Facebook (Meta) sont loin du principe démocratique et du principe de l’État de droit, d’autant plus que cette entreprise a elle-même construit la communauté numérique qu’elle régit, ce qui n’est pas conforme à la distinction moderne entre l’État et la Société.

Cependant, dans une approche plus cynique, il pourrait bien être souligné qu’un scepticisme similaire existe aujourd’hui même pour le constitutionnalisme étatique et ses dérivés supranationaux, qui ont été altérés par le dogme de la souveraineté partagée, par la privatisation des pouvoirs publics et par l’instrumentalisation des règles constitutionnelles. En effet, pour nombre des aspects de ce pluralisme constitutionnel désordonné, on pourrait dire, comme pour l’entreprise Facebook (Meta), qu’ils imitent les standards de la modernité pour servir des visées antimodernes.

En dernière analyse, ce qui semble surtout manquer au constitutionalisme éclos de l’entreprise Facebook (Meta), c’est la croyance en son autonomie et à l’application hétérogène des règles et des décisions qui en découlent. À cet égard, il ne suffit pas que les utilisateurs des plateformes privées concernées soient contraints, au vu de la réalité économique, sociale et politique, de les utiliser pour répondre à leurs besoins quotidiens. Il ne suffit pas non plus que la pandémie de Covid-19 ait fait que Facebook, ainsi que d’autres plateformes numériques mondiales (Uber, Amazon, Airbnb etc.), soient plus que jamais traités comme des services d’intérêt général ou des éléments essentiels d’une infrastructure sociale, ce qui permet désormais à leurs propriétaires d’affirmer leur souveraineté sur leurs milliards d’utilisateurs, arguant qu’ils ne poursuivent pas leurs intérêts commerciaux, mais qu’ils servent un bien collectif et objectif. Ce qu’il faut, en outre, c’est la reconnaissance de l’entreprise Facebook (Meta) en tant qu’institution autonome et juridiquement capable, par les États eux-mêmes et les instances supranationales avec lesquelles elle est en concurrence. Certes, on ne doit pas attendre une reconnaissance similaire à celle faite par la communauté internationale lorsqu’un État déclare son indépendance. Or, il pourrait bien s’agir d’une reconnaissance analogue à celle de la suprématie du droit de l’Union européenne par les cours suprêmes ou constitutionnelles de ses États membres, même si cette suprématie n’était, en principe, reflétée explicitement ni dans les constitutions nationales ni dans les traités européens, mais a découlé de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui l’a promue dans le cadre de son dialogue avec les juges nationaux[30]. En l’occurrence, une telle reconnaissance pourrait résulter de la réglementation publique des pouvoirs privés sujets du constitutionalisme sociétal, c’est-à-dire -pour ce qui concerne l’Europe- de la réglementation que les organes du constitutionalisme européen sont appelés à imposer sur les plateformes en ligne privées.

I. Les vicissitudes du constitutionnalisme européen

La montée et la consolidation des entreprises privées ayant promu le constitutionalisme sociétal par le biais de plateformes numériques mondiales n’était pas une simple coïncidence due à la dynamique du marché. C’était avant tout le résultat d’une approche hyper-libérale des démocraties constitutionnelles d’outre-Atlantique face aux technologies numériques à la fin du siècle dernier. En particulier, la décharge des prédécesseurs des entreprises ci-dessus de leur responsabilité a contribué à transformer l’exercice de leurs libertés en une activité qui n’est pas seulement de nature économique, mais constitue un exercice de puissance quasi-publique. Plus précisément, il a été reconnu que les entreprises susmentionnées opèrent en vertu d’un droit subjectif, mais celles-ci ont été laissées particulièrement libres d’exercer ce droit. Cela étant, à l’aide d’une technologie de pointe dont elles détiennent le quasi-monopole, ces entreprises ont constitué l’espace public de la Société de l’Ιnformation, en fixant des standards de conduite et des procédures algorithmiques pour leur mise en œuvre et leur contrôle, d’une manière analogue à ce que les autorités publiques exercent leur pouvoir sur le territoire d’un État ou d’un ordre juridique supranational[31]. Cette activité des entreprises susmentionnées est un défi pour les acteurs européens, qui sont désormais appelés à les apprivoiser en leur imposant les obligations constitutionnelles appropriées. Dans l’hypothèse où ces acteurs ne parviendraient pas à répondre pleinement à cette mission objectivement difficile, le constitutionalisme numérique privé promu par lesdites entreprises aura consolidé davantage sa position de porteur d’une part importante de souveraineté numérique partagée. À cet égard, on a du mal à être très optimiste, car la réglementation européenne, voire toute réglementation publique des plateformes en ligne présente actuellement des ambitions réduites (A) et une efficacité contestable (B).

Α. Les ambitions réduites de la réglementation publique du numérique

Un grand débat est en train d’évoluer sur le changement de paradigme en matière de réglementation publique des services numériques et, notamment, en matière de reconnaissance de certains devoirs proprement dits, liés à l’intérêt général et concernant aussi bien les usagers que les fournisseurs de ces services. Aux adeptes de la liberté la plus étendue possible quant à l’accès et à l’utilisation des réseaux électroniques, qui doivent en principe être neutres et échapper au contrôle des pouvoirs publics, s’opposent ceux qui mettent en avant la nécessité d’intensifier un tel contrôle pour faire face aux grands risques émanant de la révolution numérique et, surtout, du renforcement démesuré de certaines plateformes gérant les réseaux sociaux, de la prolifération de la criminalité électronique et de la diffusion de discours intolérants et d’informations fausses ou falsifiées[32].

Sur ce plan, puisque, dans le cadre de l’Internet participatif (Web 2.0), il suffit de s’abonner à quiconque des médias sociaux existants ou de créer un site Internet ou un blog pour que chaque internaute devienne un journaliste potentiel, la sécurité numérique est recherchée même à la perspective de la suppression de l’anonymat des blogueurs[33]. Derrière ce choix se profile sans doute la tendance à reconnaître un devoir général de véracité et d’honnêteté des internautes, lorsque ceux-ci s’expriment publiquement sur des faits objectifs[34]. De plus, il a été signalé que les plateformes numériques ne sont plus de simples infrastructures techniques neutres qui facilitent simplement la circulation des contenus produits par leurs usagers. Ce sont de nouveaux médias qui complètent ou remplacent l’activité de la presse et de la radiotélévision et fonctionnent, au même titre que les médias traditionnels, comme les gardiens de l’information du grand public. Ainsi, en ce qui concerne la réglementation des contenus circulant sur les plateformes numériques, il a été considéré que le modèle le plus pertinent serait la réglementation de la diffusion radiotélévisée[35], qui instaure à la diffusion radiotélévisée des restrictions beaucoup plus intenses que celles prévues pour la presse et impose aux médias même d’obligations de service public[36].

Certes, un tel encadrement ambitieux des plateformes numériques pourrait effectivement se justifier par le pouvoir de ces dernières d’influencer l’opinion publique et par les répercussions larges et durables que peuvent avoir les publications de leurs usagers sur les droits de ceux qui sont concernés[37]. Or, un tel encadrement, qui pourrait conduire même à la soumission des plateformes numériques à un régime de responsabilité civile objective[38], semble actuellement dépasser de loin non seulement le régime juridique applicable aux États-Unis d’Amérique, mais aussi le régime juridique européen. Dans le cadre de celui-ci, personne -ni même le législateur de l’Union européenne, à juger de la proposition de Règlement sur les services numériques (Digital Services Act) réformant la réglementation applicable aux plateformes numériques- ne semble avoir l’intention d’harmoniser le régime de responsabilité civile des médias traditionnels de radiotélévision avec le régime des plateformes gérant les médias sociaux[39].

Β. L’efficacité contestable de la réglementation publique du numérique 

Au niveau européen, la réglementation publique du constitutionalisme sociétal en matière de numérique présente plusieurs difficultés[40], parmi lesquels figurent, par exemple, les avis partagés entre ceux qui préfèrent la mise en place des règles régissant les services publics et ceux qui optent pour le recours au droit de la concurrence traditionnel[41]. Or, nonobstant lesdites difficultés spécifiques, cette réglementation publique ressemble généralement plutôt à un vœu, car, même si l’Union européenne répond au mieux à sa charge, le cadre juridique qui en résultera pourrait finalement ne pas être efficace. Ce doute est lié à une série de problèmes qui n’ont pas trouvé de solutions satisfaisantes[42], comme le montre la réflexion théorique sur le soi-disant droit global ou, plus généralement, le droit au-delà de l’État[43].

Comme, globalement, il n’existe pas encore de société mondiale politiquement organisée, mais plutôt une société d’individus ou de coalitions individuelles, il est particulièrement difficile d’imaginer la réalisation, dans un futur proche, d’un gouvernement mondial proprement dit qui serve, en plus, un état de droit démocratique. Cela étant, du moins dans un avenir proche, les entreprises privées exploitant des plateformes numériques mondiales essayeront sans doute de ne violer directement aucune nouvelle règle de droit national, régional ou international dans l’objectif d’éviter les conflits directs avec les grands États et les organisations périphériques, telles que l’Union européenne. Toutefois, elles conserveront quand même un potentiel important de manœuvre et d’échappement aux contrôles efficaces, en poursuivant leurs relations sélectives avec les gouvernements nationaux et en exploitant, entre autres, les grandes lacunes organisationnelles de l’ordre constitutionnel déréglementé aux niveaux national, régional et international. En ce qui concerne ces lacunes organisationnelles, il suffit de noter que l’absence de mécanismes de contrôle uniformes au niveau mondial et européen conduira très probablement à l’expansion des dispositions d’autorégulation des entreprises ci-dessus ou à leur régulation par un réseau d’autorités régionales indépendantes[44], dont la fiabilité pour contribuer à la pleine constitutionnalisation des plateformes numériques suscite à juste titre de nombreux doutes. Quant aux contradictions du pluralisme constitutionnel désordonné qui existe notamment en Europe, il suffit d’invoquer le développement asymétrique du dialogue des juges[45]. Ce développement confirme les remarques de S. Cassese selon lesquelles, s’agissant du droit au-delà de l’État, « le processus de juridicisation est compliqué par la concurrence qui se pose entre les systèmes judiciaires […] et par l’interaction entre les systèmes juridictionnels nationaux et mondiaux (qui peuvent être complémentaires, concurrents ou hiérarchisés) »[46].

Après tout, même si les instances les plus compétentes et les procédures les plus appropriées sont trouvées, il y a lieu de se demander quel doit être le contenu des règles européennes fondamentales pour assurer une protection uniforme des droits de l’homme dans le monde entier concerné par les plateformes en ligne. La soi-disant « universalité de la perception du monde occidental » pour cette protection reproduit plutôt une surestimation tant de l’acceptation -voire de la supériorité- de cette perception sur le reste du monde que de sa propre unité et cohérence[47].

L’absence d’une telle unité et cohérence caractérise, tout particulièrement, la liberté d’expression elle-même. Il suffit de tenir compte que le libellé et, par conséquent, l’interprétation du premier amendement à la Constitution américaine, qui stipule, entre autres, que « le Congrès n’adoptera pas une loi qui […] restreint la liberté d’expression» s’écartent substantiellement de la formulation et de l’interprétation du deuxième paragraphe de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit explicitement un certain nombre de restrictions à la déclaration de la même liberté dans le premier paragraphe du même article[48]. Si l’on tient aussi compte qu’il existe une divergence importante même en matière de protection des données personnelles entre les deux côtés de l’Atlantique[49], on peut comprendre que toute tentative d’harmonisation de l’encadrement juridique du numérique, en vue d’empêcher sa colonisation notamment par le droit nord-américain, est confrontée aux limites territoriales de l’État de droit et à la probabilité incertaine de conclure un traité universel et d’établir la compétence d’une autorité internationale pour la gouvernance globale du numérique, entendu comme patrimoine commun de l’humanité[50].

En tout état de cause, dans les circonstances actuelles, même si les instances et les procédures les plus appropriées sont dotées des règles de fond les plus poussées, aucune réglementation publique ne semble capable de suivre le rythme et l’ampleur de la performativité du secteur privé en matière de numérique. Le temps que les pouvoirs publics parviennent à lui imposer des obligations constitutionnelles suffisantes, les pouvoirs privés auront sans doute mis en place le metaverse, c’est-à-dire un espace commun virtuel collectif, un avatar universel de la Société, où les gens peuvent jouer, travailler et communiquer, en utilisant des dispositifs de réception en réalité virtuelle et/ou augmentée[51]. Ainsi, par l’avance constante de ses stupéfiantes performances, le pouvoir et le constitutionalisme privés semblent gagner du terrain dans leur confrontation avec le pouvoir et le constitutionalisme publics déréglementés. Et l’évolution constante de la technologie permet aux premiers d’espérer que, si le handicap de leur réglementation publique n’est pas rattrapé, la foi en leur souveraineté sera peu à peu consolidée dans l’imaginaire collectif.

Conclusions

En dévoilant, le 15 décembre 2020, les deux propositions de Règlement de la Commission sur les services et les marchés numériques, le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, avait dit qu’il ne veut plus qu’« Internet soit un Far West » en Europe[52]. Dans le même esprit, lorsque le Parlement européen a adopté, le 20 janvier 2022, le projet amendé de Règlement sur les services numériques à une large majorité avec 530 voix pour sur les 688 députés européens, M. Breton a déclaré qu’« il y a un nouveau shérif en ville»[53]. Sans doute des belles paroles politiques, exprimées comme d’habitude pour promouvoir une initiative législative. Or, pour l’Union européenne et ses États membres, la réglementation des plateformes en ligne privées n’est pas qu’une simple initiative politique.

Étant donné qu’un petit nombre de grandes entreprises technologiques -la plupart d’elles (GAFAM[54]) siégeant aux États-Unis d’Amérique- contrôlent aujourd’hui la matière première de l’ère numérique qu’est le Big Data, réglementer l’activité de ces entreprises devient un élément inévitable de souveraineté et de compétition géopolitique. Pour l’Union européenne et ses états membres, les défis y afférants ne concernent pas seulement leur rivalité avec d’autres entités étatiques tels États-Unis d’Amérique, dont le Gouvernement a droit d’accès aux données des plateformes numériques américaines en vertu du Cloud Act de 2018, ayant rendu, dans certaines circonstances, obligatoire pour les entreprises technologiques américaines la transmission de leurs données au Gouvernement américain. Les défis existentiels du constitutionnalisme européen concerne aussi son bras de fer direct avec la performativité dynamique du constitutionnalisme sociétal lui-même. On en a bien pris conscience encore une fois, ces dernières semaines, même à l’occasion de la guerre en Ukraine, durant laquelle l’action des centres de pouvoir privés hyperpuissants et des plateformes en ligne privés rivalisent celle de l’Union européenne et de ses états membres[55].

 

[1] Voir D. Rousseau, La Constitution a-t-elle un avenir ? Contributo pubblicato previa accettazione del Comitato scientifico del Convegno «Passato, presente, futuro del costituzionalismo e dell’Europa», che si terrà a Roma l’11-12 maggio 2018 [https://www.nomos-leattualitaneldiritto.it/wp-content/uploads/2018/05/Rousseau-Passato-Presente-Futuro.pdf]: «Traditionnellement, il est admis que l’objet de la constitution est l’Etat. Or, non, l’objet de la constitution c’est la société. …Car, au regard de la Déclaration de 1789, cette conception “sociétale” de la constitution est moins une rupture qu’une continuité. En effet, selon l’article 16 de cette Déclaration, l’objet de la constitution n’est pas l’État mais la société: “ toute société, énonce l’article 16, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution”. “Toute société”, donc, et non pas “tout État” ! ».

[2] Sur le constitutionnalisme sociétal, voir, entre autres, D. Sciulli, Foundations of Societal Constitutionalism : Principles from the Concepts of Communicative Action and Procedural Legality, The British Journal of Sociology, n° 39, 1988, p. 377 s. ; du même auteur, Theory of Societal Constitutionalism : Foundations of a Non-Marxist Critical Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; du même auteur, Corporate Power in Civil Society. An Application of Societal Constitutionalism, New York, New York University Press, 2001; G. Teubner, Fragments constitutionnels. Le constitutionnalisme sociétal à l’ère de la globalisation, traduction et prologue: I. Aubert, Classiques Garnier, 2016 ; du même auteur, Constitutionnalisme sociétal: neuf variations sur un thème de David Sciulli, traduction : I. Aubert, Jus Politicum 19, Janvier 2018 (Collectif: Constitutionnalisme global), p. 71 s. ; du même auteur, La question constitutionnelle au-delà de l’État-nation : pour une approche sociologique du phénomène constitutionnel, Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger 2017, p. 1603 s. ; J. De Munck, Le défi du constitutionnalisme sociétal, in P. D’Argent – M. Verdussen – D. Renders (sld), Les visages de l’État. Liber Amicorum Yves Lejeune, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 293 s. ; D. Grimm, L’acquis du constitutionnalisme et ses perspectives dans un monde changé, Trivium 30/2019, 18.12.2019 [http://journals.openedition.org/trivium/6956], n° 60 s..

[3] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, Sakkoulas Publications, Athènes-Salonique, 2019, n° 75.

[4] Voir C. Yannakopoulos, Le charme discret du constitutionnalisme numérique privé. Réflexions à propos de l’institution et du fonctionnement de la « Cour suprême » de Facebook (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 1/2021, p. 27 s..

[5] Voir son site internet : https://oversightboard.com/.

[6] Βλ. Ο. Pollicino – G. De Gregorio, Shedding Light on the Darkness of Content Moderation: The First Decisions of the Facebook Oversight Board, Verfassungsblog, 5.2.2021 [https://verfassungsblog.de/fob-constitutionalism/].

[7] Voir P. Pavlopoulos, De nouvelles règles pour contrôler les médias sociaux. Un phénomène d’intervention régulatrice de la Société civil dans le contexte de la Mondialisation (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 1/2021, p. 9 s..

[8] Voir P. Van Cleynenbreugel, Plateformes en ligne et droit de l’Union européenne. Un cadre juridique aux multiples visages, Bruylant, 2020.

[9] Voir European Commission, The Digital Services Act package [https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/digital-services-act-package].

[10]  Voir Commission européenne, Propositions de la Commission pour améliorer les conditions de travail des personnes travaillant via une plateforme de travail numérique [https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_6605].

[11] Voir Commission européenne, La Commission présente une déclaration sur les droits et principes numériques au bénéfice de tous dans l’Union [https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_22_452].

[12] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit..

[13] Voir Conseil européen / Conseil de l’Union européen, Un avenir numérique pour l’Europe [https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/a-digital-future-for-europe/].

[14] Voir K. Klonick, Inside the Making of Facebook’s Supreme Court, The New Yorker, 12.2.2021 [https://www.newyorker.com/tech/annals-of-technology/inside-the-making-of-facebooks-supreme-court].

[15] Voir la note sur la procédure dans le cadre de la décision sur l’affaire 2020-007-FB-FBR.

[16] Voir L. Gradoni, Constitutional Review via Facebook’s Oversight Board: How platform governance had its Marbury v Madison, Verfassungsblog, 10.2.2021 [https://verfassungsblog.de/fob-marbury-v-madison/].

[17] Voir, à titre indicatif, les décisions sur les affaires 2020-003-FB-UA et 2021-002-FB-UA.

[18] Sur les risques posés par l’utilisation d’algorithmes pour la protection des droits fondamentaux et la transformation du contrôle juridictionnel y afférant, voir Droit algorithmique (dossier spécial), 2020 25-3 Lex-electronica, pp. 1 – 185 [https://www.lex-electronica.org/articles/volume-25-2020-vol25-n3/droit-algorithmique-version-integrale/]. Voir aussi C. Yannakopoulos, Constitution, libertés et numérique. Les droits et libertés fondamentaux à l’heure numérique: évolution ou révolution ? (texte provisoire), Rapport national (Grèce) à la XXXVIIe Table ronde internationale de justice constitutionnelle comparée, 10-11.09.2021 [https://cyannakopoulos.gr/wp-content/uploads/2021/09/CY_82.pdf], n° 18 et 35.

[19] Voir, par exemple, la décision sur l’affaire 2020-007-FB-FBR, par laquelle le Conseil de surveillance a annulé la décision de Facebook de supprimer, en vertu de son standard de la communauté relatif à la violence et à la provocation, une publication dans un groupe public décrit comme un forum destiné aux musulmans indiens. Dans le cadre de cette décision une majorité des membres du Conseil « a estimé que la suppression de la publication n’était pas nécessaire, soulignant l’importance de son évaluation dans son contexte particulier. Elle a considéré que, de la même manière que les individus ont le droit de critiquer les religions et les figures religieuses, les adhérents aux religions ont également le droit d’exprimer leur indignation face à de tels propos. Le Conseil a reconnu la nature sérieuse de la discrimination et de la violence subies par les musulmans en Inde. La majorité de ses membres a également considéré les références au Président Macron et le boycott des produits d’origine française comme des appels aux actions non violentes. À cet égard, même si la publication incluait une épée, la majorité du Conseil a interprété la publication comme une critique à l’égard de la réaction de Macron aux violences à caractère religieux plutôt que comme une menace crédible de violence. Au moment de déterminer si des préjudices étaient possibles, le Conseil a pris en considération un certain nombre de facteurs. Le sens large du terme utilisé pour définir la cible (« kafirs ») et le manque de clarté quant à la violence ou aux dommages physiques potentiels, qui n’ont pas semblé imminents, ont contribué à la conclusion de la majorité. Selon toute vraisemblance, l’utilisateur n’était pas une personnalité politique ni publique et n’avait pas d’influence particulière sur le comportement d’autres personnes, ce qui était également significatif. En outre, la publication ne comportait aucune référence voilée à un moment ou un lieu prévu pour une action de menace ou d’incitation à la menace. Les recherches du Conseil ont indiqué que les protestations provoquées en Inde par les déclarations de Macron n’avaient pas été violentes, d’après les rapports qui en ont été faits. Dès lors, certains membres du Conseil ont noté que le groupe Facebook ciblait des individus en Inde, notamment par des propos tenus en hindi, ce qui laisse penser que la portée de son influence a peut-être été limitée à une zone qui n’a pas connu de réactions violentes. En outre, certains membres ont considéré que les exemples cités par Facebook étaient en grande partie liés à de la violence exercée envers la minorité musulmane d’Inde, ce qui est un problème urgent, selon le Conseil, mais qui ne constituaient pas des exemples de violence exercées par les musulmans en guise de vengeance. Ainsi, la majorité du Conseil a conclu que la violence physique, en plus de ne pas être imminente, était peu susceptible de découler de cette publication. Une minorité des membres a interprété la publication comme étant menaçante ou comme légitimant des représailles violentes au blasphème. Bien que le mot « épée » fasse référence à une forme non spécifique de violence, la minorité a estimé que les meurtres chez Charlie Hebdo et les décapitations commises récemment en France, tous liés au blasphème, signifiaient que cette menace ne pouvait pas être considérée comme irréaliste et être écartée. Les hashtags, qui font référence aux événements en France, soutiennent cette interprétation. Dans ce cas-ci, la minorité estime que Facebook ne devrait pas attendre que les actes de violence soient imminents avant de supprimer le contenu qui menace ou intimide les personnes qui exercent leur droit à la liberté d’expression, c’est pourquoi elle a exprimé son soutien à la décision de Facebook. La majorité, toutefois, a estimé que Facebook n’avait pas évalué correctement toutes les informations contextuelles. Le Conseil a souligné que la restauration de la publication n’impliquait pas qu’il était d’accord avec son contenu et a pris note des difficultés rencontrées lors de l’évaluation des menaces codées ou voilées. Néanmoins, pour cette publication spécifique, les normes internationales relatives aux droits de l’homme sur la liberté d’expression justifient la décision du Conseil de restaurer le contenu.» [https://www.oversightboard.com/decision/FB-R9K87402].

[20] Voir J. Montero Regules, The Facebook Oversight Board and “Context”: Analyzing the first decisions on hate speech, Verfassungsblog, 16.2.2021 [https://verfassungsblog.de/fob-context/].

[21] Voir la décision sur l’affaire 2020-007-FB-FBR.

[22] Voir la décision sur l’affaire 2020-003-FB-UA et sur l’affaire 2021-002-FB-UA.

[23] Voir la décision sur l’affaire 2021-003-FB-UA. Pour une présentation de l’ensemble des recommandations que le Conseil de surveillance a adressées à l’entreprise Facebook (Meta) et le degré de leur mise en œuvre, voir Oversight Board recommendations [https://transparency.fb.com/oversight/oversight-board-recommendations/].

[24] Voir, entre autres, Après la fermeture du compte de Donald Trump, Facebook et son « Conseil de surveillance » en quête de légitimité, Le Journal du Dimanche, 24.2.2021 [https://www.lejdd.fr/International/apres-la-fermeture-du-compte-de-donald-trump-facebook-et-son-conseil-de-surveillance-en-quete-de-legitimite-4027385] ; D. Ghosh – J. Hendrix, Facebook’s Oversight Board Takes on the Curious Case of Donald J. Trump, Verfassungsblog, 29.1.2021 [https://verfassungsblog.de/fob-trump/].

[25] Dans la décision sur l’affaire 2021-001-FB-FBR, le Conseil de surveillance a estimé que les restrictions imposées au compte de D. Trump étaient justifiées car, au moment des publications en question, il existait un risque clair et immédiat de préjudice, car, en tant que président, M. Trump exerçait une forte influence et ses paroles de soutien aux personnes impliquées dans les émeutes ont légitimé leurs actions violentes. Cependant, le Conseil de surveillance a également jugé qu’une suspension indéfinie du compte de D. Trump était inappropriée, considérant que Facebook n’est pas autorisé à garder un utilisateur hors de la plate-forme indéfiniment, sans critère pour savoir quand ou si son compte sera restauré. Pour cette raison, le Conseil de surveillance a demandé à Facebook de reconsidérer, dans un délai de six mois, la peine arbitraire prononcée et de décider de la peine appropriée qui devrait, d’une part, être fondée sur la gravité de la violation et la perspective de dommages futurs et, d’autre part, être conforme aux règles de Facebook pour les violations graves. Dans le même temps, le Conseil de surveillance a fourni à l’entreprise des recommandations détaillées sur la manière d’évaluer les messages des utilisateurs influents et, en particulier, des dirigeants politiques, cherchant à développer des politiques claires, nécessaires et proportionnées qui favorisent la sécurité publique et le respect de la liberté d’expression. Voir aussi Κ. Ajji, La décision du Conseil de surveillance de Facebook relative à l’exclusion de Donald Trump : la solution timide d’une juridiction imaginaire, Jus Politicum Blog, 10.5.2021 [https://blog.juspoliticum.com/2021/05/10/la-decision-du-conseil-de-surveillance-de-facebook-relative-a-lexclusion-de-donald-trump-la-solution-timide-dune-juridiction-imaginaire-par-kamel-ajji/].

[26] Voir P. Terraz, Le désir mimétique de Mark Zuckerberg, Philosophie magazine, avril 2021 [https://www.philomag.com/articles/le-desir-mimetique-de-mark-zuckerberg].

[27]Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 81.

[28] Voir La Grèce dans la société de l’information. Stratégie et actions (en grec), 2002 [http://broadband.cti.gr/el/download/strathgikh.pdf], p. 10.

[29] Voir J. Montero Regules, The Facebook Oversight Board and “Context”: Analyzing the first decisions on hate speech, op. cit..

[30] Voir C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, op. cit., n° 21.

[31] Voir G. De Gregorio – O. Pollicino, The European Constitutional Road to Address Platform Power, op. cit..

[32] Voir Ch. Anthopoulos, Plateformes numériques et contrôle des contenus de l’information en ligne (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 1/2021, p. 19 s..

[33] Voir, entre autres, Ι. D. Igglezakis, « Liberté d’expression et anonymat sur Internet : le paradigme des blogs » (en grec), Droit de technologie et de communication (revue juridique grecque) 2011, p. 317 s..

[34] Sur la question de savoir s’il existe un droit au mensonge, voir Ph. Jougleux, « La désinformation à l’ère numérique » (en grec), Droit de technologie et de communication (revue juridique grecque) 2016, p. 504 s.. Voir aussi M. Lequan, « Existe-t-il un droit de mentir ? Actualité de la controverse Kant/Constant », Études, vol. 400, no 2, 2004, p. 189 s.. Voir aussi la décision n° 582/2016 du Tribunal correctionnel de Veria (Grèce), qui a condamné pour diffusion de fausses nouvelles un journaliste qui a posté sur Internet un article dans lequel il affirmait que les laboratoires pharmaceutiques propageaient le cancer, le sida, la leucémie etc. par le biais de vaccins, en racontant l’histoire d’une petite fille, mais sans citer nulle part les faits de l’identité de celle-ci ou les coordonnées des médecins qui l’ont soignée et en général sans citer un élément qui prouve ce qu’il a dit.

[35] Voir Ch. Anthopoulos, « Plateformes numériques et contrôle des contenus de l’information en ligne » (en grec), op. cit., p. 20 s., not. p. 21.

[36] Cf. l’article 15, paragraphe 2, de la Constitution grecque, tel que révisé en 2001 : « [l]a radiophonie et la télévision sont placées sous le contrôle direct de l’État. Le contrôle et l’imposition des sanctions administratives relèvent de la compétence exclusive du Conseil National de la Radiotélévision, qui est une autorité indépendante, comme en dispose la loi. Le contrôle direct de l’État, qui prend aussi la forme du régime de l’autorisation préalable, a pour but la diffusion, de façon objective et égale, d’informations et de nouvelles ainsi que d’œuvres de littérature et d’art, la garantie du niveau qualitatif des émissions imposé par la mission sociale de la radiophonie et de la télévision et par le développement culturel du Pays, ainsi que le respect de la dignité de l’individu et la protection de l’enfance et de la jeunesse. La loi prend les mesures relatives à la retransmission obligatoire et gratuite des travaux de la Chambre des députés et de ses commissions ainsi que des messages électoraux des partis politiques par les moyens radiotélévisés ».

[37] Cf. la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, du 5 mai 2011, Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, requête n° 33014/05, point 63 : « L’Internet est certes un outil d’information et de communication qui se distingue particulièrement de la presse écrite, notamment quant à sa capacité à emmagasiner et diffuser l’information. Ce réseau électronique, desservant des milliards d’usagers partout dans le monde, n’est pas et ne sera peut-être jamais soumis aux mêmes règles ni au même contrôle. Assurément, les communications en ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de la vie privée. Aussi, la reproduction de matériaux tirés de la presse écrite et celle de matériaux tirés de l’Internet peuvent être soumises à un régime différent. Les règles régissant la reproduction des seconds doivent manifestement être ajustées en fonction des caractéristiques particulières de la technologie de manière à pouvoir assurer la protection et la promotion des droits et libertés en cause ».

[38] Voir A. Tasikas, Suppression de l’insulte personnelle par un tiers (concernant la responsabilité pour la publication de contenu offensant sur Internet) (en grec), Droit de technologie et de communication (revue juridique grecque) 2019, p. 309 s..

[39] Voir Ch. Anthopoulos, Plateformes numériques et contrôle des contenus de l’information en ligne (en grec), op. cit., p. 25.

[40] Voir, à titre indicatif, sur les difficiles enjeux de la responsabilité des gestionnaires de réseaux sociaux qu’est appelé à réglementer en Europe le Digital Services Act, J. Barata, The Digital Services Act and the Reproduction of Old Confusions: Obligations, Liabilities and Safeguards in Content Moderation, Verfassungsblog, 2.3.2021 [https://verfassungsblog.de/dsa-confusions/]. Voir aussi G. De Gregorio – O. Pollicino, The European Constitutional Road to Address Platform Power, op. cit..

[41] Sur la protection de la libre concurrence en matière de plateformes en ligne voir, entre autres, F. Lancieri – P. M. Sakowski, Competition in Digital Markets. A Review of Expert Reports, 26 Stan. J. L. Bus. & Fin. 65 (2021) ; H. Schweitzer, The art to make gatekeeper positions contestable and the challenge to know what is fair: A discussion of the Digital Markets Act Proposal, ZEuP 2021, Issue 3, p. 503 s. ; N. Petit, The Proposed Digital Markets Act (DMA): A Legal And Policy Review, Journal of European Competition Law & Practice 2021, Volume 12, Issue 7, p. 529 s.; P. Ibáñez Colomo, The Draft Digital Markets Act: A legal and institutional analysis, Journal of European Competition Law & Practice 2021, Volume 12, Issue 7, p. 561 s..

[42] Sur les difficultés de la réglementation du constitutionnalisme sociétal, voir aussi D. Grimm, L’acquis du constitutionnalisme et ses perspectives dans un monde changé, op. cit., n° 63.

[43] Voir, entre autres, L. Cohen-Tanugi, Le droit sans l’État : Sur la démocratie en France et en Amérique, PUF, 1985, S. Cassese, Au-delà de l’État (traduit en grec par G. I. Dellis – M. P. Andrikopoulos – A. S. Chassapopoulos, éditions Ant. N. Sakkoula, Athènes-Komotini, 2009 ; J.-Y. Chérot – B. Frydman (επιμ.), La science du droit dans la globalisation, Bruylant, 2012, M. Delmas-Marty, De la grande accélération à la grande métamorphose. Vers un ordre juridique planétaire, Lormont, Le Bord de l’eau, 2017.

[44] Voir Ch. Anthopoulos, Plateformes numériques et contrôle des contenus de l’information en ligne, op. cit., p. 25.

[45] Βλ. C. Yannakopoulos, La déréglementation constitutionnelle en Europe, ό. π., σ. 180 επ..

[46] Βλ. S. Cassese, Au-delà de l’État, op. cit., pp. 32 – 33.

[47] Voir, entre autres, Mathieu B., Constitution: rien ne bouge et tout change, Collection Forum, Lextenso, 2013, pp. 28 s. et 31 s. ; L. Burgorgue-Larsen, Le basculement de l’Histoire ? Les attaques contre l’universalisme des droits de l’homme, Revue des droits et libertés fondamentaux 2021, chronique n° 06, [http://www.revuedlf.com/droit-international/le-basculement-de-lhistoire-les-attaques-contre-luniversalisme-des-droits-de-lhomme/].

[48] « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

[49] Voir, entre autres, la décision CJUE, 16.7.2020, C-311/18, Facebook Ireland και Schrems, par lequel la Cour de justice a considéré comme invalide le système « Privacy Shield » qui permettait le transfert de données personnelles vers les États-Unis et obligeait les responsables du traitement à reconsidérer le transfert de données personnelles et leur supervision. Voir aussi S. Tewari, Schrems II – A brief history, an analysis and the way forward, Verfassungsblog, 25.7.2020 [https://verfassungsblog.de/schrems-ii-a-brief-history-an-analysis-and-the-way-forward/]; F. Bignami, Schrems II: The Right to Privacy and the New Illiberalism, Verfassungsblog, 29.7.2020 [https://verfassungsblog.de/schrems-ii-the-right-to-privacy-and-the-new-illiberalism/]; Ch. Kuner, Schrems II Re-Examined, Verfassungsblog, 25.8.2020 [https://verfassungsblog.de/schrems-ii-re-examined/].

[50] Voir J.-J. Lavenue, Internationalisation ou américanisation du droit public: l’exemple paradoxal du droit du cyberespace confronté à la notion d’ordre public, Lex Electronica, vol. 11, n° 2 (Automne/Fall 2006) [https://www.lex-electronica.org/articles/vol11/num2/internationalisation-ou-americanisation-du-droit-public-lexemple-paradoxal-du-droit-du-cyberespace-confronte-a-la-notion-dordre-public/].

[51] Voir J.M. Smart – J. Cascio – J. Paffendorf, Metaverse Roadmap Overview, 2007 [https://metaverseroadmap.org/inputs4.html#glossary]. Voir aussi sur les declarations de Mark Zuckerberg, Metaverse: Qu’est-ce que la réalité virtuelle qui ronge l’espace-temps (en grec), CNN Greece, 30.10.2021 [https://www.cnn.gr/tech/story/287429/metaverse-ti-einai-i-eikoniki-pragmatikotita-poy-rokanizei-ton-xoroxrono].

[52] Voir « Bruxelles ne veut plus qu’Internet « reste un Far West » », Le Point, 15.12.2020 [https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/bruxelles-ne-veut-plus-qu-internet-reste-un-far-west-15-12-2020-2405843_47.php].

[53] Voir Th. Labro, L’UE met le holà au Far West en ligne, Paperjam – Business zü Letzebuerg, 20.1.2022 [https://paperjam.lu/article/ue-met-hola-sur-far-west-en-li].

[54] L’acronyme GAFAM fait référence aux cinq grandes entreprises technologiques, toutes américaines : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft.

[55] À titre indicatif, le milliardaire Elon Musk a répondu immédiatement à l’appel du vice-Premier ministre ukrainien Mykhailo Fedorov d’activer le service internet en Ukraine par satellite Starlink de son groupe SpaceX et d’envoyer des équipements dans le pays (voir Les Echos, Ukraine : des terminaux du service internet Starlink d’Elon Musk sont arrivés sur place, 1.2.2022 [https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/ukraine-des-terminaux-du-service-internet-starlink-delon-musk-sont-arrives-sur-place-1390352]), tandis que l’Union européenne et ses états membres n’avaient pas une réponse aussi efficace et immédiate à donner aux différents appels du gouvernement et du peuple ukrainiens. En même temps, le réseau social Twitter a bloqué les comptes des médias russes RT et Sputnik dans l’Union européenne (voir Le Figaro avec AFP, Twitter bloque à son tour les médias russes RT et Sputnik en Europe, 3.3.2022 [https://www.lefigaro.fr/medias/twitter-bloque-a-son-tour-les-medias-russes-rt-et-sputnik-en-europe-20220303]) à la suite de la décision du Conseil de l’Union du 1er mars 2022 les ayant accusés d’être des instruments de « désinformation » de Moscou dans sa guerre contre l’Ukraine (voir la Décision 2022/351 du Conseil du 1er mars 2022 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, JOUE, 2.3.2022, L 65/5 [https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:L:2022:065:FULL&from=FR]) mais le même réseau social se reconnaît le droit de considérer que la disponibilité des messages de l’armée ukrainienne peut toujours présenter un intérêt pour le public, même lorsque ces messages enfreignent ses règles relatives aux conduites haineuses (voir A. Horn, CheckNews. Que sait-on de la vidéo où des membres du régiment Azov trempent leurs balles dans de la graisse de porc ?, Libération, 4.3.2022 [https://www.liberation.fr/checknews/que-sait-on-de-la-video-ou-des-membres-du-regiment-azov-trempent-leurs-balles-dans-de-la-graisse-de-porc-20220304_LU6UMR7JEBG27LF5ITMBLDBXQA/]).