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La crise de dette souveraine et le droit. Réflexions à l’occasion de la crise grecque.

Introduction

Un État devant la faillite fait face à une crise qui engendre des conséquences redoutables, financières, politiques et sociales. Ces conséquences peuvent aller au-delà de l’État directement concerné et ainsi toucher l’ensemble du système bancaire et financier mondial. Comme il a été par ailleurs confirmé dans le cas de la crise de la zone Euro suite à la boule de neige de la dette grecque, le cyclone de la crise souveraine déstabilise également les différents ordres juridiques concernés. Pour ce qui est de l’ordre juridique national, force est de constater que les constitutions des États débiteurs n’ont pas su résister aux perturbations résultant inéluctablement des exigences des créanciers Quant au droit de l’Union européenne, l’arrêt Pringle de la Cour de justice n’a pas su effacer l’impression, franchement exprimée par Christine Lagarde en décembre 2010 : pour sauver la zone euro «nous avons enfreint toutes les règles».

Pour essayer d’identifier le rapport entre la crise de dette souveraine et le droit, il serait utile, tout d’abord, d’invoquer deux remarques que J. Carbonnier a formulées dans son fameux article «L’hypothèse du non-droit» : primo, quand nous parlons du non-droit, il est loisible d’entendre, non pas le vide absolu de droit, mais une baisse plus ou moins considérable de la pression juridique ; secundo, l’essentiel, dans l’hypothèse du non-droit, c’est le retrait du droit, autrement dit l’abandon, par le droit, d’un terrain qu’il occupait traditionnellement ou qu’il aurait été de sa compétence d’occuper. Au vu de ces remarques, il paraît évident qu’en mettant en doute la souveraineté de l’État débiteur, la crise de dette souveraine abaisse considérablement la pression du droit national. Par ailleurs, dans le cadre de la globalisation, le risque systémique d’une faillite souveraine d’un État membre de la zone Euro –même du moins fort– entraîne également un abaissement important de la pression, à savoir le retrait, tant du droit international que du droit de l’Union. La jungle de la finance globalisée se laisse plus facilement gouvernée par les agences de notation financière que par le droit.

Or, le retrait du droit n’est pas irréversible. Le mouvement de passage du droit au non-droit est de principe suivi d’un mouvement inverse, qui va du non-droit au droit. Même dans l’ère post westphalienne, les États –du moins les États créanciers– tiennent toujours le rôle des auteurs principaux du droit. De la sorte, ces dernières années, la zone Euro est devenue un laboratoire mondial en matière de fabrication des mécanismes juridiques conçus dans le but de remédier à l’insolvabilité des États. Par ailleurs, le droit national est de retour au sein des États débiteurs afin de mettre en place les mesures prescrites par les programmes de sauvetage financier.

On pourrait donc dire que, dans le cadre de la crise de dette souveraine, on oscille entre droit et non-droit. Le cyclone de cette crise installe un état d’exception qui provoque, de manière brutale, aussi bien le retrait que la montée du droit, à savoir une sorte de marée juridique.

En contemplant cette marée, on ne peut pas passer outre les transformations que le droit subit du fait de son mouvement alternatif. Dans tous les ordres juridiques touchés par la crise, on fait état d’une réduction dramatique des garanties aussi bien de l’État providence que de l’État de droit. En effet, il paraît que de l’hypothèse de la mise à l’écart, voire de la fin, du droit on bascule vers l’hypothèse de son évolution, voire de sa mutation.

L’objectif de cette conférence est de montrer que, derrière la transformation du droit provoquée par la crise de dette souveraine, se profile le spectre d’un darwinisme normatif. Celui-ci préconise non pas la fin du droit, mais la fin de certaines règles ou institutions juridiques, considérées désormais inaptes à s’adapter à l’évolution de l’économie mondiale. Au fond, il s’agit de l’emprise des acceptations économiques dominantes sur une conception évolutive du droit naturel qui fait, dès nos jours, son apparition à travers l’idée du droit global.

L’analyse sera structurée en deux parties, qui correspondent aux deux phases du phénomène de la marée juridique, du va-et-vient du droit face à la crise. Dans la première partie concernant le retrait du droit, sera présenté comment l’incapacité du droit de saisir la faillite souveraine débouche sur la faillite sélective du droit lui-même (I). Dans la deuxième partie, qui décrit le retour du droit, sera montré que les efforts d’un encadrement juridique de la crise souveraine engendrent une transformation du droit, qui met à mal les acquis les plus significatifs du constitutionnalisme moderne (II).

I. La faillite selective du droit

Incapable de saisir la crise de dette souveraine, le droit est concurrencé, voire dépassé, par d’autres normes, non juridiques. La faillite souveraine semble évoluer dans une zone de non-droit où l’amollissement normatif des règles du droit est suivi par la consolidation normative des notations financières.

Il n’existe pas encore de corpus juridique établi en matière d’insolvabilité des États. Au niveau national, la décision d’un État de continuer ou non de servir sa dette est essentiellement une décision politique. Au niveau de l’Union européenne, depuis 2008, on a remis en cause l’efficacité du credo selon lequel le risque d’insolvabilité pourrait être effectivement évité grâce au respect par chaque État membre de la zone Euro des règles de discipline budgétaire. Au niveau international, le plus souvent la dette souveraine est contractuellement privatisée et atomisée à une myriade de contrats ;  la gestion de la crise souveraine demeure ainsi fragmentée. Il en résulte que le droit et ses auteurs traditionnels ne peuvent pas accomplir leur mission d’encadrement de la dette souveraine dans un contexte globalisé.

Dans l’horreur du vide créé par le démantèlement du système juridique, les agences de notation financière ont accaparé la fonction de régulation de l’allocation mondiale du crédit. Leurs notes sont devenues non plus seulement un moyen d’évaluation de la solvabilité, mais également et inévitablement la mesure du respect d’une norme globale de comportement influençant la conduite des entreprises,  de l’industrie financière ou même des États. La montée en puissance des agences de notation se traduit ainsi en un processus de consolidation normative des notations financières. Cela semble émaner du credo que, par le biais de ses interprétateurs privilégiés, le marché décrète la vérité. Cette théologie du marché attribue à la soi-disant réalité économique une force normative et met le droit en faillite.

La faillite du droit consiste en son instrumentalisation (A), dans le cadre de laquelle les deux objectifs qui lui sont traditionnellement assignés, la justice et la sécurité, sont délaissés et remplacés par les objectifs de l’idéologie économique dominante. Or, il s’agit plutôt d’une faillite sélective, qui touche principalement la fondamentalité du droit (B).

A. L’instrumentalisation du droit

On a déjà signalé la faillite du droit financier, en évoquant son instrumentalisation par les théories économiques dominantes, à savoir les théories de l’efficience et de l’autorégulation des marchés, prônées par la doctrine néoclassique de l’école de Chicago. Il en va a fortiori de même en cas de crise de dette souveraine. Les règles juridiques, impuissantes à maîtriser les marchés dans le but d’assurer la justice et la sécurité, se voient assigner une nouvelle fonction: contraindre l’État insolvable à produire la situation de fait économique exigée par la volonté des marchés.

Dans cet esprit, on fait tout pour attirer de l’argent. La mondialisation a amené les États à rendre leur législation plus attractive que stricte dans le but de faire venir les entreprises sur leur territoire. Cette tendance a été développée même au sein de l’Union européenne, la Cour de justice n’ayant pas exclu la compétition des règles de droit entre les États membres. La même tendance caractérise a fortiori les États qui se trouvent au précipice de la faillite ou, du moins, en difficulté financière avérée. La surveillance établie par leurs créanciers pousse ces États à rendre leur législation plus attractive aux investissements qui pourraient relancer leur économie.

Ainsi, en Grèce, on a prévu la délivrance d’autorisation de résidence aux investisseurs étrangers, ainsi que d’autorisations environnementales tacites en faveur des investisseurs stratégiques. Dans le même esprit, la «Troïka» a incité le législateur grec à continuer la politique d’augmentation des recettes publiques par le biais de la légalisation des constructions arbitraires, bien que la jurisprudence constante du Conseil d’État de Grèce ait jugé cette politique incompatible avec les dispositions de la Constitution nationale garantissant la protection de l’environnement (art. 24), l’égalité devant la loi (art. 4) et la dignité humaine (art. 2). Qui plus est,  les rumeurs veulent que, sous la pression de la crise financière, la Haute juridiction administrative va bientôt édicter un arrêt par lequel il abandonnera cette jurisprudence emblématique quant à la sauvegarde de l’État de droit.

Ce revirement jurisprudentiel ne sera pourtant pas surprenant, étant donné qu’aux temps de crise le juge grec a déjà intériorisé, à plusieurs reprises, l’instrumentalisation du droit national par les exigences de la «Troïka», en invoquant le besoin de satisfaction de l’intérêt financier de l’État. Cet aspect de l’intérêt général n’est plus un intérêt purement pécuniaire. D’après la jurisprudence, il est lié à la discipline budgétaire qui conditionne le sauvetage financier du pays. C’est pourquoi, en invoquant l’intérêt de satisfaire aux exigences de la discipline budgétaire, le juge grec a pu justifier la plupart des mesures adoptées pour juguler la crise, telle l’imposition rétroactive d’une contribution extraordinaire, la diminution des retraites et des salaires dans le secteur public, le traitement préférentiel réservé à l’État quant au versement d’intérêts moratoires ou aux délais de prescription, l’obligation de payer un montant de consignation particulièrement élevé pour pouvoir déposer un référé précontractuel, ainsi que la réduction de 53,5 % de la valeur des créances de la Grèce au détriment de ses créanciers privés.

Dans le même esprit d’instrumentalisation du droit, il arrive même que le contenu de la règle juridique échappe aux organes normalement compétents. Ces derniers sont désormais appelés à simplement entériner les décisions prises lors des négociations faites entre les représentants de l’État débiteur, des ses créanciers et des multiples entités internationales et infranationales qui jouent le rôle de l’intermédiaire. Un exemple caractéristique de cette externalisation de l’édiction des règles régissant la crise de dette souveraine offrent les négociations, en 2011 et 2012, en vue de la réduction de la valeur des créances de la Grèce (PSI). Ces négociations se sont déroulées entre des banques, des gouvernements nationaux, l’Union européenne, la Banque Centrale Européenne (BCE), l’Institut de la Finance Internationale et le Fonds Monétaire International (FMI). Les résultats de ces négociations se sont imposés au législateur grec qui a voté la loi n° 4050/2012 mettant en place la restructuration de la dette privée grecque.

Il en résulte que tant le fond que le processus de production du droit est largement saisi par les exigences et les mécanismes des marchés, ce qui met le droit en faillite.

B. L’insolvabilité de la fondamentalité du droit

La faillite du droit due à la crise de dette souveraine ne signifie pas que le droit disparaît. Au contraire, on essaie de faire face à la crise par une abondante production de règles juridiques (fiscales, pénales etc.). La faillite consiste plutôt dans le fait que les exigences financières surdéterminent les règles juridiques fondamentales, en revendiquant la place de la Norme Fondamentale au sens kelsénien du terme.

D’un coté, au niveau des États débiteurs, la surdétermination de l’ordre juridique national par la nécessité de servir la dette souveraine provoque la déchéance des fonctions essentielles des règles constitutionnelles.

Sur le plan formel, la déchéance se manifeste par des limitations imposées au pluralisme politique, conséquence d’un discours économique qui s’instaure comme l’unique voie possible. Ces limitations empêchent que la Constitution nationale accomplisse sa fonction  essentielle, celle de canaliser les conflits sociaux et les politiques fondamentales. Les exigences économiques déterminent des conditions objectives préalables au processus démocratique menant à leur tour à la négation du conflit.

Sur le plan matériel, la nécessité de servir la dette souveraine conduit à la restriction systématique des droits constitutionnels, notamment des droits sociaux.

Ceci étant, il n’est pas surprenant que la «Τroïka», en exigeant continuellement l’adoption de nouvelles mesures équivalentes, ait facilement passé outre les arrêts du Tribunal constitutionnel du Portugal ou du Conseil d’État grec qui avaient déclaré anticonstitutionnelles certaines mesures d’austérité.

De même, il n’est pas non plus surprenant que les analystes de la banque internationale JP Morgan (Europe Economic Research) sont arrivés même à suggérer la révision des constitutions des pays de la périphérie européenne, car, d’après eux, ces constituions sont trop socialistes pour pouvoir faire face à la crise.

De l’autre côté, l’insolvabilité de la fondamentalité du droit concerne également et surtout le droit de l’Union européenne. Cette insolvabilité tient principalement à l’omission de contrôle de conventionnalité des mesures prises pour juguler la crise.

En effet, les décisions du Conseil européen adoptées sur la base des articles 126 et 136 TFUE, du Règlement n° 407/2010 ou de l’art. 7, par. 2, du Règlement 472/2013 et mises en œuvre par les gouvernements des États membres débiteurs, devraient systématiquement faire l’objet d’un contrôle en temps utile de leur compatibilité avec le droit primaire de l’Union. On devrait notamment contrôler la compatibilité du contenu des mesures d’austérité imposées par ces décisions avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union.

Toutefois, le Conseil d’État grec a contrôlé et confirmé la constitutionnalité de la loi mettant en œuvre les mesures du premier paquet d’aide financière à la Grèce de mai 2010, sans oser renvoyer devant la Cour de justice la question de la validité de la décision (n°2010/320/UE) du Conseil européen dictant ces mesures. La préoccupation majeure du juge national de ne mettre aucunement en question la validité du mécanisme d’aide financier au pays l’a emporté sur ses obligations découlant du droit de l’Union. Plus récemment, dans le cadre de l’affaire de la restructuration de la dette privée grecque en 2012, le Conseil d’État grec n’a pas non plus osé renvoyer devant la Cour de justice la question de savoir si la conversion «obligatoirement  volontaire» des obligations par lesquelles l’État grec avait payé certains de ses fournisseurs est compatible avec la directive 2000/35/CE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales

En général, les mesures d’austérité conditionnant la mise en place des mécanismes de sauvetage des pays membres de la zone Euro et portant atteinte aux droits des citoyens de l’Union n’ont pas fait l’objet d’un contrôle d’unionité à temps utile, par le biais notamment d’une question préjudicielle posée auprès de la Cour de justice. A l’instar du Conseil d’État grec et du Tribunal constitutionnel du Portugal, les juges nationaux semblent avoir voulu se fonder principalement sur l’invocation de leurs propres règles constitutionnelles. Les exceptions à cette introversion sont peu nombreuses et confirment le constat initial : mise à part les questions irrecevables posée par le tribunal de travail de Porto (Tribunal do Trabalho do Porto) et la cour social (Juzgado de lo Social) n° 23 de Madrid, les renvois préjudiciels introduits par la Cour Suprême d’Irlande dans l’affaire Pringle et par la Cour constitutionnelle fédérale dans l’affaire Gauweiler ne concernaient pas de mesures d’austérité concrètes. D’ailleurs, la question préjudicielle de la Cour constitutionnelle fédérale ne visait pas à provoquer un contrôle d’unionité proprement dit, mais s’inscrivait sur le plan de la jurisprudence Honeywell de cette Cour, qui prévoit le contrôle de constitutionnalité de l’action des organes de l’Union ayant transgressé les traités européens (ultra vires) ou porté atteinte à l’identité constitutionnelle allemande.

Or, à la suite du recul des constitutions nationales à l’égard de la primauté du droit de l’Union, tout contrôle de constitutionnalité des mesures législatives votées en vue du redressement économique et financier des États membres en difficulté reste superflu. En tous cas, il reste essentiellement borné dans les étroites marges laissées aux autorités nationales par les décisions susmentionnées du Conseil européen. Ceci étant, du moment où le juge national passe outre son rôle de juge de droit commun du droit de l’Union et se contente d’un contrôle indolore de constitutionnalité des mesures prises pour juguler la crise financière, n’est suffisamment garantie ni la rigidité de la Constitution nationale ni celle du droit primaire de l’Union. En revanche, se propage une déréglementation constitutionnelle qui touche non seulement l’ordre juridique national mais aussi l’ordre juridique de l’Union.

Du fait de cette déréglementation, les règles et décisions adoptées par le pouvoir politique ne sont plus légitimées par le droit Ainsi, lors de la crise de dette souveraine, qui évoque les conditions de la théologie politique de Carl Schmitt, l’activité du pouvoir politique est auto-légitimée.

À cet égard, dans le premier semestre de 2010, l’activité des organes de l’Union européenne et des représentants des États membres de la zone Euro, qui visait à faire face à la crise grecque et sauver l’euro à tout prix, en est paradigmatique. Cette activité était auto-légitimée, en s’inscrivant au-delà de l’architecture de l’Union, sur un plan intergouvernemental, et en passant outre la clause de non-renflouement. Cette mise à l’écart du droit primaire de l’Union a duré jusqu’à ce que la Cour de justice ait procédé, dans son arrêt Pringle précité, à une interprétation créative du Traité conformément compromis politiques déjà effectués. Cette interprétation a offert auxdites solutions une légitimité juridique ex post et a ainsi signé le retour du droit primaire de l’Union jusque là absent

Aussi longtemps que la crise souveraine continue, ce va-et-vient du droit ne cesse pas. On l’a bien constaté, une fois encore, lorsque Mario Draghi, pour faire face à la spéculation qui se développa au printemps 2012 contre l’Espagne et l’Italie, a annoncé la mise en œuvre de la politique de la Banque centrale européenne (BCE) sur les opérations monétaires sur titres (OMT) qui succéderait à son programme pour les Marchés de Titres. Alors que les «néokeynésiens» ont reproché à la BCE de ne pas jouer efficacement le rôle de « prêteur en dernier ressort », le juge constitutionnel allemand a jugé que l’OMT contournait irrégulièrement tant le mandat de politique monétaire de la BCE que l’interdiction du financement des budgets des États établie par l’art. 123 TFUE. Ainsi, son premier renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice a déclenché de nouveau le dialogue –voire la «guerre»– des juges,  au nom du respect du droit primaire de l’Union et de la protection des droits démocratiques nationaux des citoyens allemands. À cet égard, les conclusions de l’avocat général Pedro Cruz Villalón, du 14 janvier 2015, semblent avoir ouvert une fenêtre pour légitimer ex post la politique non conventionnelle de Mario Draghi et signer, une fois encore, le retour du droit.

Il convient cependant de noter que ces retours jurisprudentiels du droit primaire de l’Union, réels ou virtuels, sont tout de même partiels. Ils n’ont, plus spécifiquement, pas légitimé tous les aspects des mesures adoptées pour faire face à la crise au sein de la zone Euro. En effet, alors que dans l’arrêt Pringle précité il est jugé que la compatibilité d’une assistance financière avec la clause de non-renflouement de l’art. 125 TFUE présuppose la subordination de cette assistance à des conditions strictes, la Cour de justice ne s’est pas toujours prononcée sur la compatibilité avec le droit primaire de l’Union des conditionnalités concrètes qui accompagnent l’application des nouveaux mécanismes d’équilibre budgétaire au sein de la zone Euro. Le droit revient, mais il y a de quoi craindre que ce ne soit plus le même droit, le droit attendu. C’est un nouveau droit, sans doute lacunaire, transformé.

II. La transformation du droit

Le droit est mort, vive le droit! Devant le cyclone de la crise le droit se retire, mais, dans un deuxième temps, il revient, en essayant de saisir la faillite souveraine. Les États résistent; du moins les États créditeurs, qui tiennent à défendre leur souveraineté nationale relative. De la sorte, les instances étatiques, européennes et internationales essaient d’encadrer juridiquement tant la crise souveraine que les notations financières.

Sur le plan international, on a depuis longtemps cherché, sans succès, à instituer un mécanisme de règlement de l’insolvabilité des États. À cet égard, il convient de mentionner, à titre d’exemple,  les échecs, en 1939 du projet de la Société des Nations sur la création d’un Tribunal international des emprunts et en 2003 du projet de Anne Krueger, ancienne Première directrice générale adjointe du FMI, sur la mise en œuvre d’un Mécanisme de restructuration de la dette souveraine.

L’esprit de tous ces projets ratés a connu un renouveau avec la crise dans la zone Euro. Après s’être engagés en 2002 à insérer les clauses d’actions collectives dans leurs propres émissions d’obligations souveraines et suite à la crise grecque, les États membres de l’Union européenne se sont successivement dotés non seulement d’autres mesures financières (p.ex. en 2011 le Pacte pour l’euro plus et le Six-pack modifiant le Pacte de Stabilité et de Croissance, ainsi qu’en 2013 le Two-pack établissant un contrôle a priori des budgets des États par la Commission européenne), mais aussi de nouveaux instruments pour sauver l’euro et les banques européennes qui avaient prêté à la Grèce. Comme le «concours mutuel», prévu par l’art. 143 TFUE et mis en œuvre en faveur de la Hongrie, de la Lettonie et de la Roumanie, ne concernait que les États membres qui n’avaient pas adopté l’euro, il fallait trouver un mécanisme apte à remédier à l’insolvabilité d’un État membre de la zone Euro. Un tel mécanisme a été, tout d’abord,  inventé pour le cas grec le 25 mars 2010 et mis en œuvre le 10 mai 2010. Puis, on a créé le Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) et le Fonds européen de stabilité financière (FSEF), utilisés dans les cas de l’Irlande (en novembre 2010), du Portugal (en avril 2011), de la Grèce (deuxième paquet de sauvetage, en juillet 2011) et de l’Espagne (en juin 2012). Ces instruments étaient façonnés dans un rapport de force entre la réalité économique et le pragmatisme politique, au détriment parfois de la rigueur juridique. Ils ont finalement conduit au déclenchement, les 16 et 17 décembre 2010, de la procédure de révision simplifiée prévue à l’art. 48, par. 6, TUE aux fins d’ajouter un troisième paragraphe à l’art. 136 TFUE. Sur la base de ce nouveau paragraphe a été décidée, lors du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011, la conclusion du traité établissant le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui avait une nature intergouvernementale –à l’instar de son prédécesseur FSEF– et qui était accompagnée du pacte budgétaire compris dans le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance. Sur ce Mécanisme a reposé, par la suite, le plan de sauvetage de Chypre (mars 2013).

Les efforts d’encadrer juridiquement la dette souveraine ont été suivis des mesures qui visent à réglementer les notations financières. Les États ont riposté au niveau tant international que national. On pourrait citer, au niveau international, le code de conduite de l’Organisation internationale des commissions de valeurs de 2004, les Principes du Conseil de stabilité financière de 2010, aux États-Unis le Wall Street Reform and Consumer Protection Act et en Europe les règlements du Parlement européen et du Conseil n° 1060/2009, 513/2011 et 462/2013. Toutes ces mesures visent à déconstruire, pièce par pièce, certains des éléments ayant favorisé la montée en puissance des agences de notation financière. Or, la victoire finale des États n’est guère assurée. Il paraît que, pour survivre, les États ont essayé, au lieu de rétablir pleinement, du moins adapter le droit dans le contexte financier globalisé. Or, cette adaptation engendre la transformation du droit.

Toutes les mesures susmentionnées sont imprégnées de la logique du marché et semblent se conformer à une certaine idéologie ultralibérale, dans la mesure où elles sont fondées sur une vision qui favorise l’emprise de l’économie sur le droit. Cela fait apparaître une conception flexible de l’État de droit (Α) et fait planer le spectre d’un certain darwinisme normatif (Β).

Α. Le flexible État de droit

Dans le cadre du constitutionalisme moderne, la conception de l’État de droit est intimement liée au pluralisme et à la normativité de la Constitution. En effet, la démocratie pluraliste exige, et rend en même temps possible, que la Constitution porte la résolution des conflits fondamentaux de la société à travers le droit. Par ailleurs, dans la plupart des sociétés européennes de l’après-guerre, ces conflits se sont articulés sur le fondement d’un grand pacte social (l’État social de droit) qui fut simultanément un grand pacte démocratique (l’État constitutionnel de droit). Il s’en suit qu’une crise de l’Etat social impliquerait aussi celle de l’État démocratique et, globalement, celle de l’État de droit.

C’est cette crise par ricochet qui semble survenir du fait de la crise de dette souveraine. Elle concerne principalement les États débiteurs, mais les États créanciers n’en sortent pas indemnes. En effet, la crise révèle une série d’antagonismes actuels ou éventuels, notamment entre les citoyens des pays aidés et ceux des pays aidant, entre les droits politiques et les droits économiques et sociaux, ainsi qu’entre diverses autorités nationales et européennes, juridictionnelles et autres.

Dans les État débiteurs, parce qu’il fallait réduire le déficit public et donner un signal fort aux marchés et donc aux spéculateurs financiers, on a opté, entre autres, pour un coup d’arrêt au constitutionnalisme «social». En Grèce, ce coup a compris la forte baisse des retraites et des salaires dans le domaine public, ainsi que la flexibilisation accrue et la réduction du coût du travail dans le domaine privé. Ces mesures ont été suivies de la diminution du nombre des fonctionnaires, de l’augmentation énorme du chômage dans le secteur privé, d’une pression fiscale dure et d’une réduction dramatique des dépenses des services publics. Le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe, en identifiant plusieurs motifs de violations de la Charte sociale européenne, a critiqué notamment « l’effet cumulé » de l’instauration de ces mesures restrictives. Par ailleurs, le Parlement européen  a déploré que les mesures mises en œuvre aient entraîné une hausse de la pauvreté.

Cette remise en cause de l’État social débouche sur une conception flexible de l’État démocratique et de l’État de droit.

Comme la crise se vit comme une nouvelle normalité, dans les États débiteurs le pluralisme et le principe électif reculent. La démocratie s’évalue en termes économiques. Les élections législatives se retrouvent dénaturées et discréditées. On l’a bien constaté, en 2011 (cet annus horribilis pour le droit constitutionnel), à l’occasion de l’anéantissement du combat politique lors des élections législatives au Portugal du fait de la déclaration des leaders européens que «peu importe qui gouverne», à l’occasion de la révision de l’art. 135 de la constitution espagnole sans référendum, à l’occasion de la substitution du gouvernement de Silvio Berlusconi par un «gouvernement technique» dirigé par Mario Monti, ainsi que Mario Monti de l’avortement du référendum grec sous la pression très forte des leaders européens. On l’a aussi bien réaffirmé, avant les élections du 25 janvier 2015 en Grèce, lorsque l’agence Moody’s a déclaré que l’annonce d’élections nationales précipitées serait considérée comme un « événement de crédit négatif ».

En outre, dans les États débiteurs on met systématiquement à l’écart les procédures parlementaires normales. Tout d’abord, on assiste à une marginalisation des Parlements nationaux, puisque les gouvernements des temps de crise font souvent recours à la procédure extraordinaire d’édiction des décrets-lois, en transformant la situation d’exception en situation normale. Par ailleurs, le parlement national paraît avoir été relégué dans une fonction subalterne, tenu notamment à entériner les choix intergouvernementaux, ou placé en quelque sorte « sous tutelle », du fait des nouvelles règles budgétaires (règle d’or ; semestre européen, two-pack etc.). Dans ce contexte, le processus législatif s’est profondément transformé. De la sorte, alors qu’en Allemagne la Cour constitutionnelle fédérale exige que le parlement national dispose d’une information écrite et du temps nécessaire pour réfléchir sur les mesures prises par les instances européennes pour juguler la crise de dette souveraine, s’agissant des mêmes questions, en Grèce, le parlement national est d’habitude appelé à statuer de toute urgence sur des projets de lois à annexes énormes, joint à un seul article.

Ceci étant, la revalorisation des parlements nationaux proclamée dans le Traité de Lisbonne paraît pour le moins inégalitaire, sinon illusoire. En même temps, le Parlement européen a été aussi marginalisé, comme l’illustre l’exemple de l’adoption, hors du cadre institutionnel de l’Union européenne, du Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance. Bien qu’on ait essayé de réduire cette marginalisation du Parlement européen et des parlements nationaux par le Règlement n° 472/2013, on n’a pas su assurer leur implication essentielle dans le processus de prise de décisions.

D’ailleurs, même dans les États créanciers, le sauvetage de l’Euro a mis à l’épreuve les droits démocratiques. La Cour constitutionnelle fédérale allemande a déjà eu à examiner plusieurs mécanismes d’aide dans ses décisions du 7 septembre 2011 (sur l’aide à la Grèce), du 12 septembre 2012 (à propos du MES) et du 18 mars 2014 (sur l’aide octroyé à travers le MES). La Cour de Karlsruhe a fait état du risque d’atteinte à l’autonomie budgétaire de l’Allemagne, ainsi qu’à son identité constitutionnelle et au principe de l’État démocratique tel que garantie notamment dans la clause d’éternité de l’article 79 III de la Loi fondamentale. Mais, par ses décisions précitées, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas atteinte aux droits fondamentaux nationaux, sous réserve que certaines conditions soient remplies : il s’agit de la limitation du montant des engagements financiers de l’Allemagne, ainsi que de la préservation des compétences budgétaires du parlement allemand.

En même temps, aux niveaux européen et international, la véritable gestion de la crise s’appuie sur une hétérogénéité de textes nationaux, européens ou internationaux, de droit dur ou de droit mou (soft law), occasionnant un vrai magma institutionnel, illisible dans son ensemble, ce qui ne peut que mettre à mal le principe de sécurité juridique. Il s’agit désormais d’une fléxisécurité juridique. Et l’« ambigüité constructive » de la déclaration finale de l’Eurogroupe 0 février 2015 sur le sort de la Grèce en est un exemple éloquent.

A tout ça, il convient d’ajouter la réduction considérable des garanties acquises de protection juridictionnelle aussi bien en droit national qu’en droit européen.

Tout d’abord, cette réduction découle des réformes législatives nationales, telle la loi grecque n° 3900/2010, qui mettent en exergue la nécessité d’accélération de la justice, paradoxalement en rendant l’accès à celle-ci plus difficile.

Ensuite, la même réduction émane de l’embarras du juge national, qui oscille entre l’autolimitation et l’activisme. Ainsi, pour ne pas remettre en cause la programmation des finances publiques, le Conseil d’État grec a souvent évité de censurer la non observation des exigences de « bonne législation » : il a restreint le contrôle de la justification des mesures d’austérité, en passant outre l’absence d’une étude d’impact, en renversant le fardeau de preuve de la nécessité des mesures au détriment des requérants ou en justifiant cette nécessité par le biais de l’invocation de la politique générale du législateur. Qui plus est, la prise en considération des conséquences financières de certains de ses arrêts ayant exceptionnellement déclaré anticonstitutionnelles les mesures adoptées a conduit le Conseil d’État grec, à l’instar des cours constitutionnelles étrangères, même à différer leurs effets dans le temps. De l’autre côté, le juge grec a parfois éprouvé un activisme significatif, soit pour soutenir soit pour censurer les choix du législateur. D’une part, en rompant avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, il a admis que l’application d’une législation datée du XIXe siècle en matière d’intérêts moratoires de l’État pourrait contribuer actuellement à la protection de l’équilibre financière de l’État, ce qui témoigne d’une sorte d’activisme financier à rebours. D’autre part, il a déclaré contraire à la Constitution la diminution des salaires des militaires en invoquant un principe constitutionnel d’obligation de traitement privilégié de ceux-ci assimilable au traitement des magistrats ; il a dénié la constitutionnalité de la privatisation de la propriété de l’entreprise publique gérant l’eau à la région d’Athènes ; il a bloqué en référé l’ouverture les magasins le dimanche en invoquant, entre autres, l’atteinte portée au droit au culte.  Il s’agit des cas d’un activisme contesté, qui est fondé sur une interprétation volontariste de la Constitution nationale. Ce volontarisme n’a pourtant pas été démontré dans d’autres cas où le juge a également freiné la politique législative, en déclarant, par exemple, contraires à la Constitution la coupure d’électricité en cas de nonpaiement d’une taxe spéciale d’habitation facturée avec la consommation électrique, le licenciement automatique suite à la mise en disponibilité de pré-retraite et la restriction de l’autonomie collective. En effet, de la jurisprudence nationale susmentionnée résulte, avant tout, un empirisme excessif qui, en tout état de cause, remet en question la sécurité juridique et, par conséquent, la certitude d’une protection juridictionnelle effective des administrés.

En même temps, l’effectivité de cette protection est également mise en question par l’autolimitation des juridictions européennes supranationales, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme.

La Cour de justice a eu l’occasion de prendre en considération la crise financière, à plusieurs reprises, notamment pour apprécier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun, pour réduire les sanctions pécuniaires en cas d’inexécution d’un arrêt au titre de l’article 260, par. 2, TFUE, pour contrôler l’adaptation annuelle des rémunérations et des pensions des fonctionnaires et des autres agents de l’Union, pour justifier le refus d’accès à des documents confidentiels de la BCE concernant la crise grecque (Thesing) ou même  pour affirmer – pourtant, dans le cadre de la suivie d’une politique jurisprudentielle de restriction générale de la responsabilité sociale des entreprises– que « la situation économique d’un État membre ne constitue pas une circonstance exceptionnelle susceptible de justifier un niveau de protection réduit des intérêts des travailleurs » (Hogan). Or, dans les affaires les plus importantes concernant les mécanismes institutionnels mis en place et les mesures spécifiques adoptées pour juguler la crise dans la zone Euro, l’intervention des juges de Luxembourg est loin de l’activisme des années soixante qui a posé les pierres angulaires de l’État de droit dans l’ordre juridique de l’Union. Ainsi, dans l’arrêt Pringle, la Cour de justice a approuvé l’intention des États à échapper au contrôle juridictionnel pour certaines de leurs actions ; en effet, elle a affirmé l’inapplication de la Charte des droits fondamentaux de l’Union lorsque les États prévoient un mécanisme de stabilité tel que le MES. Dans le même esprit, les juges du plateau de Kirchberg ne se sont montrée aucunement disposée à surpasser les questions d’irrecevabilité des questions préjudicielles posées par des tribunaux portugais et espagnoles pour encadrer les mesures d’austérité conditionnant l’assistance financière par rapport aux exigences de la Charte.

Parallèlement, le Tribunal, tout en prenant en considération la crise afin d’apprécier les circonstances atténuantes en cas de décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, a rejeté une requête ayant pour objet une demande d’annulation de la déclaration de l’Eurogroupe, du 25 mars 2013, concernant, notamment, la restructuration du secteur bancaire à Chypre, au motif que la déclaration attaquée est de nature purement informative. Par ailleurs, le Tribunal a aussi déclaré irrecevable pour défaut d’affectation directe deux recours en annulation à l’encontre de deux décisions du Conseil adressées à la Grèce en vue de remédier à une situation de déficit excessif, un recours en annulation du règlement n° 407/2010 du Conseil établissant le Mécanisme Européen de Stabilisation Financière, ainsi qu’un recours en annulation à l’encontre de la décision BCE relative à la restructuration de la dette privée grecque en 2012. En outre, le Tribunal, à propos du protocole d’accord sur la politique de conditionnalité économique spécifique, conclu entre la République de Chypre et le mécanisme européen de stabilité (MES) le 26 avril 2013, a admis qu’il n’est pas possible de considérer que la Commission ou la BCE soient à l’origine de l’adoption dudit protocole d’accord, que les fonctions confiées à la Commission et à la BCE dans le cadre du traité sur le MES ne comportent aucun pouvoir décisionnel propre et que les activités exercées par ces deux institutions dans le cadre du même traité n’engagent que le MES. En effet, le Tribunal a admis que le comportement qui serait à l’origine du préjudice subi ne peut pas être imputé à une institution de l’Union.

Il s’ensuit qu’il n’est guère garanti que les mécanismes financiers construits, ces dernières années, au-delà de l’architecture de l’Union, soient encadrés par l’acquis communautaire. Ainsi, si certaines règles protectrices ont été récemment affichées au niveau de l’Union dans les Règlements n° 472/2013 et 473/2013 du two-pack, les institutions européennes, chargées de la gestion de la crise de la zone Euro, ne paraissent pas toujours s’être suffisamment préoccupées –ni effectivement contrôlées à ce propos– de la sauvegarde procédurale et substantielle des droits fondamentaux. Or, ces institutions, qui sont vraiment devenues «un parangon d’autocratie post-démocratique», devraient ne pas pouvoir échapper au respect de la Charte. À cet égard, la Cour de justice aurait du être davantage préoccupée de la protection effective des droits des individus qui étaient atteints par les mesures d’austérité ou, revers de la médaille, de ceux qui avaient été victimes d’un « hair-cut » ou d’un « bail-in ». Son omission de jouer, à titre effectif, son rôle en tant que garant de l’Union de droit facilite le contournement du droit de l’Union par la Commission européenne qui fait partie de la «Troïka» et doit normalement veiller aux différents programmes d’assistance financière, tels les protocoles d’accord conclus par le MES. Autre conséquence de cette « prise de distance » des juges de Luxembourg, la Cour n’a pas su jouer la carte de la dissuasion du juge national, qui a été ainsi amené à contourner en pratique le droit de l’Union, en procédant souvent à l’interprétation et à l’application de celui-ci conformément au droit national. C’est donc regrettable sur le plan juridique, bien que l’on doive reconnaitre, sur le plan politique, que, si la Cour de justice s’était reconnue compétente pour faire respecter la Charte dans toutes les espèces susmentionnées, les conséquences auraient pu être dévastatrices pour les institutions européennes. Car implicitement, cela conduirait aussi à rechercher l’imputabilité des violations, voire des préjudices qui auraient, le cas échéant, été causés. Et d’ailleurs, sont encore pendants plusieurs recours en responsabilité à l’encontre de l’Union et /ou de ses organes pour avoir, par exemple, imposé l’utilisation des dépôts bancaires à des fins de renflouement interne (bail-in) dans le cadre de la conditionnalité assortie à l’assistance financière fournie à Chypre le 26 avril 2013.

Qui plus est, on constate, en la matière, la même inertie en ce qui concerne la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg insiste à reconnaître une ample latitude aux États pour prendre des mesures d’ordre général en matière économique. Ainsi, dans l’arrêt Koufaki et Adedy c. Grèce du 7 mai 2013, elle a admis « que l’adoption des mesures litigieuses a été justifiée par l’existence d’une crise exceptionnelle et sans précédent dans l’histoire récente de la Grèce ». Dans cet arrêt, les juges de Strasbourg ont développé un raisonnement qui anéantit, en pratique, le contrôle de proportionnalité, puisqu’il rend superflu la recherche de la nécessité des mesures litigieuses. Dans le cadre de ce raisonnement, la Cour a, tout d’abord, invoqué le critère imprécis de l’exposition à des difficultés de subsistance incompatibles avec l’article 1 du Protocole no 1, pour juger que le législateur national n’avait pas dépassé les limites de sa marge d’appréciation quant à la diminution du salaire de la première requérante. Ensuite, sur la base de son jugement précédent, la Cour a estimé qu’elle n’avait pas à dire si le législateur avait choisi la meilleure façon de traiter le problème ou s’il aurait dû exercer son pouvoir différemment. Il n’est pas sans importance que le juge grec ait invoqué, à plusieurs reprises, ce raisonnement de l’arrêt Koufaki et Adedy c. Grèce pour fonder le rejet d’arguments tirés de l’incompatibilité avec la Convention ou même de l’inconstitutionnalité des mesures d’austérité.

Il convient d’ajouter que dans le but de satisfaire l’intérêt financier du pays le juge national est souvent allée jusqu’à passer outre la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Or, comme il découle de l’arrêt Viaropoulos et autres c. Grèce du 29.9.2014, au lieu d’insister sur cette jurisprudence, la Cour a, paradoxalement, opté pour son interprétation conformément à l’évolution de la jurisprudence nationale. D’ailleurs, il est même arrivé que la Cour de Strasbourg ait jugé qu’il n’y avait pas de violation de la Convention, tandis que, s’agissant des mesures analogues, les juges nationaux, portugais et letton, avait jugé qu’il y avait une violation de la Constitution nationale.

Il en résulte qu’aux temps de crise le dialogue entre le juge national et les juges européens en matière de protection des droits fondamentaux s’oriente vers le plus petit dénominateur commun, tandis qu’il y a peu de temps c’est la recherche du plus grand dénominateur commun qui semblait être l’objectif  du constitutionnalisme européen en la matière.

B. Le spectre du darwinisme normatif

Du fait de l’instrumentalisation du droit des États débiteurs, les investisseurs, qu’ils contrôlent ou pas une partie du marché de la dette souveraine de ces États, deviennent, dans une certaine mesure, la source du droit qui les régit. Cela entraîne l’abandon par le droit une partie de l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers. Au bout du compte, un law shopping s’opère à l’échelle mondiale, qui conduit le droit à un alignement vers le bas, du fait de la concurrence accrue développé entre tous les États –débiteurs ou créanciers– qui essaient d’attirer –chacun vers lui– l’intérêt des investisseurs. Sur ce plan, la «survie» de plusieurs règles juridiques non compétitives, telles les règles concernant la protection des droits sociaux ou la protection juridictionnelle effective, est largement compromise.

Le nouveau constitutionalisme financier, sur la base duquel on essaie d’encadrer la crise de dette souveraine aux niveaux européen et international, confirme donc la constatation d’Alain Supiot qu’un darwinisme normatif est à l’œuvre, dont sortiront gagnantes les règles les plus permissives et les moins respectueuses de la justice sociale.  «Le Droit […] est considéré comme un produit en compétition à l’échelle du monde, où s’opèrerait la sélection naturelle des ordres juridiques les mieux adaptés à l’exigence de rendement financier».

Le spectre de ce darwinisme normatif constitue actuellement le plus grand défi existentiel du droit. Certes, dans le cadre du processus de l’intégration européenne et de la mondialisation, la réduction du juridique à l’économique avait déjà accéléré la course au «moins-disant» social et avait mis en question le pacte sur lequel avaient reposé une grande partie des constitutions européennes de l’après-guerre reflétant l’imaginaire universel du constitutionnalisme moderne. Or, la réduction de l’économique au financier dans le cadre de la crise de dette souveraine dans la zone Euro a déstabilisé même cet acquis communautaire, qui, bien que dépourvu d’une grande sensibilité sociale, résumait pourtant l’attachement traditionnel des pays de l’Europe aux principaux valeurs de l’État constitutionnel de droit. En devenant l’objectif fondamental de l’Union, le monétarisme qui ne se préoccupe guère des droits fondamentaux signe le passage de celle-ci de la phase de constitutionnalisation de l’Europe, qui constituait une sorte d’âge d’or pour les partisans du constitutionnalisme européen en tant que paradigme universel, à une phase de déconstitutionnalisation, derrière laquelle se profile l’autoritarisme émanant d’une Europe institutionnellement et historiquement affaiblie et dépassée, qui recherche désormais son identité dans les rapports des agences de notation financière et dans l’assistance technique provenant du FMI. Dans le cadre de cette déconstitutionnalisation, la solidarité semble être remplacée par la punition et la démocratie paraît être en danger. En Chypre, pour punir la présence présumée d’argent blanchi dans les dépôts bancaires, l’Union européenne n’a pas hésité de méconnaître non seulement le principe universel d’individualisation de sanctions, mais aussi son principe-symbole de libre circulation de capitaux. En Grèce, les mesures imposées notamment en matière de droit du travail ont été vécues par les citoyens comme des humiliations qui leurs auraient été infligées par leurs partenaires européens, compte tenu d’ailleurs du fait que rien ne prouve pour l’instant que leurs sacrifices auront un impact réel sur la baisse du chômage et la reprise de l’économie grecque.

En effet, le darwinisme normatif prôné par le droit dit global met en cause le noyau des acquis du constitutionnalisme moderne, à savoir la démocratie pluraliste, et nourrit les différents visages de l’anti-politique. Il ne suffit donc pas de rechercher, comme suggère H. Muir Watt, une re-constitutionnalisation de la réalité normative fragmentée à travers des principes neutres empruntés aux doctrines du «droit administratif global» tels la transparence (en cas de conflits d’intérêts des agences de notation financière et des établissements bancaires) ou l’internalisation des dommages (en cas de faute de notation). Comme le souligne Alain Supiot, il faut ne pas accepter le darwinisme normatif et essayer de renverser la direction de l’évolution du droit global. «[L]e problème n’est pas de ‘réguler’ les marchés [mais] de les réglementer, ce qui oblige à revenir sur le terrain politique et juridique afin d’y rétablir l’ordre des fins et des moyens entre les besoins des hommes et l’organisation économique et financière.». Dans cet esprit, le droit et l’intérêt général qui lui est associé, retrouveraient toute leur place dans la société.

Conclusions

L’étude des crises souveraines met en exergue la faillite et la transformation du droit, derrières lesquelles se cache la question, bien moins théorique, de savoir qui est compétent, en dernier ressort, pour décider à partir de quand on doit obliger un pays à vivre dans la misère. Est-ce que ce sont les marchés sur la base des rapports des agences de notation financière ou les États démocratiques sur la base des droits fondamentaux individuels et sociaux?

L’Union européenne doit désormais trancher et garantir l’autonomie du pouvoir européen vis-à-vis des agents de l’économie mondiale en adoptant un nouvelle «structure constitutionnelle» (pour reprendre le terme utilisé dans l’avis 2/13 de la Cour de justice sur le projet d’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme qui garantisse. On a besoin d’une constitutionnalisation réelle et effective qui assure que les politiques européennes ne sont pas dictées par les règles « naturelles et inaliénables » des marchés, mais déduites d’un débat public pluraliste, dans et par l’antagonisme des projets politiques différents.

Or, il paraît que l’Union ne veut pas encore ou n’est pas encore prête à trancher, du moins dans ce sens. Elle flotte sur l’« ambigüité constructive » des déclarations de cet organe aussi bien informel qu’hyperpuissant que constitue l’Eurogroupe, ce qui nous mène à  affirmer,  une fois de plus, que le processus de l’unification européenne continue à être un « voyage vers une destination inconnue ».

La crise de dette souveraine et le droit. Réflexions à l’occasion de la crise grecque.

Introduction

Un État devant la faillite fait face à une crise qui engendre des conséquences redoutables, financières, politiques et sociales. Ces conséquences peuvent aller au-delà de l’État directement concerné et ainsi toucher l’ensemble du système bancaire et financier mondial. Comme il a été par ailleurs confirmé dans le cas de la crise de la zone Euro suite à la boule de neige de la dette grecque, le cyclone de la crise souveraine déstabilise également les différents ordres juridiques concernés. Pour ce qui est de l’ordre juridique national, force est de constater que les constitutions des États débiteurs n’ont pas su résister aux perturbations résultant inéluctablement des exigences des créanciers Quant au droit de l’Union européenne, l’arrêt Pringle de la Cour de justice n’a pas su effacer l’impression, franchement exprimée par Christine Lagarde en décembre 2010 : pour sauver la zone euro «nous avons enfreint toutes les règles».

Pour essayer d’identifier le rapport entre la crise de dette souveraine et le droit, il serait utile, tout d’abord, d’invoquer deux remarques que J. Carbonnier a formulées dans son fameux article «L’hypothèse du non-droit» : primo, quand nous parlons du non-droit, il est loisible d’entendre, non pas le vide absolu de droit, mais une baisse plus ou moins considérable de la pression juridique ; secundo, l’essentiel, dans l’hypothèse du non-droit, c’est le retrait du droit, autrement dit l’abandon, par le droit, d’un terrain qu’il occupait traditionnellement ou qu’il aurait été de sa compétence d’occuper. Au vu de ces remarques, il paraît évident qu’en mettant en doute la souveraineté de l’État débiteur, la crise de dette souveraine abaisse considérablement la pression du droit national. Par ailleurs, dans le cadre de la globalisation, le risque systémique d’une faillite souveraine d’un État membre de la zone Euro –même du moins fort– entraîne également un abaissement important de la pression, à savoir le retrait, tant du droit international que du droit de l’Union. La jungle de la finance globalisée se laisse plus facilement gouvernée par les agences de notation financière que par le droit.

Or, le retrait du droit n’est pas irréversible. Le mouvement de passage du droit au non-droit est de principe suivi d’un mouvement inverse, qui va du non-droit au droit. Même dans l’ère post westphalienne, les États –du moins les États créanciers– tiennent toujours le rôle des auteurs principaux du droit. De la sorte, ces dernières années, la zone Euro est devenue un laboratoire mondial en matière de fabrication des mécanismes juridiques conçus dans le but de remédier à l’insolvabilité des États. Par ailleurs, le droit national est de retour au sein des États débiteurs afin de mettre en place les mesures prescrites par les programmes de sauvetage financier.

On pourrait donc dire que, dans le cadre de la crise de dette souveraine, on oscille entre droit et non-droit. Le cyclone de cette crise installe un état d’exception qui provoque, de manière brutale, aussi bien le retrait que la montée du droit, à savoir une sorte de marée juridique.

En contemplant cette marée, on ne peut pas passer outre les transformations que le droit subit du fait de son mouvement alternatif. Dans tous les ordres juridiques touchés par la crise, on fait état d’une réduction dramatique des garanties aussi bien de l’État providence que de l’État de droit. En effet, il paraît que de l’hypothèse de la mise à l’écart, voire de la fin, du droit on bascule vers l’hypothèse de son évolution, voire de sa mutation.

L’objectif de cette conférence est de montrer que, derrière la transformation du droit provoquée par la crise de dette souveraine, se profile le spectre d’un darwinisme normatif. Celui-ci préconise non pas la fin du droit, mais la fin de certaines règles ou institutions juridiques, considérées désormais inaptes à s’adapter à l’évolution de l’économie mondiale. Au fond, il s’agit de l’emprise des acceptations économiques dominantes sur une conception évolutive du droit naturel qui fait, dès nos jours, son apparition à travers l’idée du droit global.

L’analyse sera structurée en deux parties, qui correspondent aux deux phases du phénomène de la marée juridique, du va-et-vient du droit face à la crise. Dans la première partie concernant le retrait du droit, sera présenté comment l’incapacité du droit de saisir la faillite souveraine débouche sur la faillite sélective du droit lui-même (I). Dans la deuxième partie, qui décrit le retour du droit, sera montré que les efforts d’un encadrement juridique de la crise souveraine engendrent une transformation du droit, qui met à mal les acquis les plus significatifs du constitutionnalisme moderne (II).

I. La faillite selective du droit

Incapable de saisir la crise de dette souveraine, le droit est concurrencé, voire dépassé, par d’autres normes, non juridiques. La faillite souveraine semble évoluer dans une zone de non-droit où l’amollissement normatif des règles du droit est suivi par la consolidation normative des notations financières.

Il n’existe pas encore de corpus juridique établi en matière d’insolvabilité des États. Au niveau national, la décision d’un État de continuer ou non de servir sa dette est essentiellement une décision politique. Au niveau de l’Union européenne, depuis 2008, on a remis en cause l’efficacité du credo selon lequel le risque d’insolvabilité pourrait être effectivement évité grâce au respect par chaque État membre de la zone Euro des règles de discipline budgétaire. Au niveau international, le plus souvent la dette souveraine est contractuellement privatisée et atomisée à une myriade de contrats ;  la gestion de la crise souveraine demeure ainsi fragmentée. Il en résulte que le droit et ses auteurs traditionnels ne peuvent pas accomplir leur mission d’encadrement de la dette souveraine dans un contexte globalisé.

Dans l’horreur du vide créé par le démantèlement du système juridique, les agences de notation financière ont accaparé la fonction de régulation de l’allocation mondiale du crédit. Leurs notes sont devenues non plus seulement un moyen d’évaluation de la solvabilité, mais également et inévitablement la mesure du respect d’une norme globale de comportement influençant la conduite des entreprises,  de l’industrie financière ou même des États. La montée en puissance des agences de notation se traduit ainsi en un processus de consolidation normative des notations financières. Cela semble émaner du credo que, par le biais de ses interprétateurs privilégiés, le marché décrète la vérité. Cette théologie du marché attribue à la soi-disant réalité économique une force normative et met le droit en faillite.

La faillite du droit consiste en son instrumentalisation (A), dans le cadre de laquelle les deux objectifs qui lui sont traditionnellement assignés, la justice et la sécurité, sont délaissés et remplacés par les objectifs de l’idéologie économique dominante. Or, il s’agit plutôt d’une faillite sélective, qui touche principalement la fondamentalité du droit (B).

A. L’instrumentalisation du droit

On a déjà signalé la faillite du droit financier, en évoquant son instrumentalisation par les théories économiques dominantes, à savoir les théories de l’efficience et de l’autorégulation des marchés, prônées par la doctrine néoclassique de l’école de Chicago. Il en va a fortiori de même en cas de crise de dette souveraine. Les règles juridiques, impuissantes à maîtriser les marchés dans le but d’assurer la justice et la sécurité, se voient assigner une nouvelle fonction: contraindre l’État insolvable à produire la situation de fait économique exigée par la volonté des marchés.

Dans cet esprit, on fait tout pour attirer de l’argent. La mondialisation a amené les États à rendre leur législation plus attractive que stricte dans le but de faire venir les entreprises sur leur territoire. Cette tendance a été développée même au sein de l’Union européenne, la Cour de justice n’ayant pas exclu la compétition des règles de droit entre les États membres. La même tendance caractérise a fortiori les États qui se trouvent au précipice de la faillite ou, du moins, en difficulté financière avérée. La surveillance établie par leurs créanciers pousse ces États à rendre leur législation plus attractive aux investissements qui pourraient relancer leur économie.

Ainsi, en Grèce, on a prévu la délivrance d’autorisation de résidence aux investisseurs étrangers, ainsi que d’autorisations environnementales tacites en faveur des investisseurs stratégiques. Dans le même esprit, la «Troïka» a incité le législateur grec à continuer la politique d’augmentation des recettes publiques par le biais de la légalisation des constructions arbitraires, bien que la jurisprudence constante du Conseil d’État de Grèce ait jugé cette politique incompatible avec les dispositions de la Constitution nationale garantissant la protection de l’environnement (art. 24), l’égalité devant la loi (art. 4) et la dignité humaine (art. 2). Qui plus est,  les rumeurs veulent que, sous la pression de la crise financière, la Haute juridiction administrative va bientôt édicter un arrêt par lequel il abandonnera cette jurisprudence emblématique quant à la sauvegarde de l’État de droit.

Ce revirement jurisprudentiel ne sera pourtant pas surprenant, étant donné qu’aux temps de crise le juge grec a déjà intériorisé, à plusieurs reprises, l’instrumentalisation du droit national par les exigences de la «Troïka», en invoquant le besoin de satisfaction de l’intérêt financier de l’État. Cet aspect de l’intérêt général n’est plus un intérêt purement pécuniaire. D’après la jurisprudence, il est lié à la discipline budgétaire qui conditionne le sauvetage financier du pays. C’est pourquoi, en invoquant l’intérêt de satisfaire aux exigences de la discipline budgétaire, le juge grec a pu justifier la plupart des mesures adoptées pour juguler la crise, telle l’imposition rétroactive d’une contribution extraordinaire, la diminution des retraites et des salaires dans le secteur public, le traitement préférentiel réservé à l’État quant au versement d’intérêts moratoires ou aux délais de prescription, l’obligation de payer un montant de consignation particulièrement élevé pour pouvoir déposer un référé précontractuel, ainsi que la réduction de 53,5 % de la valeur des créances de la Grèce au détriment de ses créanciers privés.

Dans le même esprit d’instrumentalisation du droit, il arrive même que le contenu de la règle juridique échappe aux organes normalement compétents. Ces derniers sont désormais appelés à simplement entériner les décisions prises lors des négociations faites entre les représentants de l’État débiteur, des ses créanciers et des multiples entités internationales et infranationales qui jouent le rôle de l’intermédiaire. Un exemple caractéristique de cette externalisation de l’édiction des règles régissant la crise de dette souveraine offrent les négociations, en 2011 et 2012, en vue de la réduction de la valeur des créances de la Grèce (PSI). Ces négociations se sont déroulées entre des banques, des gouvernements nationaux, l’Union européenne, la Banque Centrale Européenne (BCE), l’Institut de la Finance Internationale et le Fonds Monétaire International (FMI). Les résultats de ces négociations se sont imposés au législateur grec qui a voté la loi n° 4050/2012 mettant en place la restructuration de la dette privée grecque.

Il en résulte que tant le fond que le processus de production du droit est largement saisi par les exigences et les mécanismes des marchés, ce qui met le droit en faillite.

B. L’insolvabilité de la fondamentalité du droit

La faillite du droit due à la crise de dette souveraine ne signifie pas que le droit disparaît. Au contraire, on essaie de faire face à la crise par une abondante production de règles juridiques (fiscales, pénales etc.). La faillite consiste plutôt dans le fait que les exigences financières surdéterminent les règles juridiques fondamentales, en revendiquant la place de la Norme Fondamentale au sens kelsénien du terme.

D’un coté, au niveau des États débiteurs, la surdétermination de l’ordre juridique national par la nécessité de servir la dette souveraine provoque la déchéance des fonctions essentielles des règles constitutionnelles.

Sur le plan formel, la déchéance se manifeste par des limitations imposées au pluralisme politique, conséquence d’un discours économique qui s’instaure comme l’unique voie possible. Ces limitations empêchent que la Constitution nationale accomplisse sa fonction  essentielle, celle de canaliser les conflits sociaux et les politiques fondamentales. Les exigences économiques déterminent des conditions objectives préalables au processus démocratique menant à leur tour à la négation du conflit.

Sur le plan matériel, la nécessité de servir la dette souveraine conduit à la restriction systématique des droits constitutionnels, notamment des droits sociaux.

Ceci étant, il n’est pas surprenant que la «Τroïka», en exigeant continuellement l’adoption de nouvelles mesures équivalentes, ait facilement passé outre les arrêts du Tribunal constitutionnel du Portugal ou du Conseil d’État grec qui avaient déclaré anticonstitutionnelles certaines mesures d’austérité.

De même, il n’est pas non plus surprenant que les analystes de la banque internationale JP Morgan (Europe Economic Research) sont arrivés même à suggérer la révision des constitutions des pays de la périphérie européenne, car, d’après eux, ces constituions sont trop socialistes pour pouvoir faire face à la crise.

De l’autre côté, l’insolvabilité de la fondamentalité du droit concerne également et surtout le droit de l’Union européenne. Cette insolvabilité tient principalement à l’omission de contrôle de conventionnalité des mesures prises pour juguler la crise.

En effet, les décisions du Conseil européen adoptées sur la base des articles 126 et 136 TFUE, du Règlement n° 407/2010 ou de l’art. 7, par. 2, du Règlement 472/2013 et mises en œuvre par les gouvernements des États membres débiteurs, devraient systématiquement faire l’objet d’un contrôle en temps utile de leur compatibilité avec le droit primaire de l’Union. On devrait notamment contrôler la compatibilité du contenu des mesures d’austérité imposées par ces décisions avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union.

Toutefois, le Conseil d’État grec a contrôlé et confirmé la constitutionnalité de la loi mettant en œuvre les mesures du premier paquet d’aide financière à la Grèce de mai 2010, sans oser renvoyer devant la Cour de justice la question de la validité de la décision (n°2010/320/UE) du Conseil européen dictant ces mesures. La préoccupation majeure du juge national de ne mettre aucunement en question la validité du mécanisme d’aide financier au pays l’a emporté sur ses obligations découlant du droit de l’Union. Plus récemment, dans le cadre de l’affaire de la restructuration de la dette privée grecque en 2012, le Conseil d’État grec n’a pas non plus osé renvoyer devant la Cour de justice la question de savoir si la conversion «obligatoirement  volontaire» des obligations par lesquelles l’État grec avait payé certains de ses fournisseurs est compatible avec la directive 2000/35/CE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales

En général, les mesures d’austérité conditionnant la mise en place des mécanismes de sauvetage des pays membres de la zone Euro et portant atteinte aux droits des citoyens de l’Union n’ont pas fait l’objet d’un contrôle d’unionité à temps utile, par le biais notamment d’une question préjudicielle posée auprès de la Cour de justice. A l’instar du Conseil d’État grec et du Tribunal constitutionnel du Portugal, les juges nationaux semblent avoir voulu se fonder principalement sur l’invocation de leurs propres règles constitutionnelles. Les exceptions à cette introversion sont peu nombreuses et confirment le constat initial : mise à part les questions irrecevables posée par le tribunal de travail de Porto (Tribunal do Trabalho do Porto) et la cour social (Juzgado de lo Social) n° 23 de Madrid, les renvois préjudiciels introduits par la Cour Suprême d’Irlande dans l’affaire Pringle et par la Cour constitutionnelle fédérale dans l’affaire Gauweiler ne concernaient pas de mesures d’austérité concrètes. D’ailleurs, la question préjudicielle de la Cour constitutionnelle fédérale ne visait pas à provoquer un contrôle d’unionité proprement dit, mais s’inscrivait sur le plan de la jurisprudence Honeywell de cette Cour, qui prévoit le contrôle de constitutionnalité de l’action des organes de l’Union ayant transgressé les traités européens (ultra vires) ou porté atteinte à l’identité constitutionnelle allemande.

Or, à la suite du recul des constitutions nationales à l’égard de la primauté du droit de l’Union, tout contrôle de constitutionnalité des mesures législatives votées en vue du redressement économique et financier des États membres en difficulté reste superflu. En tous cas, il reste essentiellement borné dans les étroites marges laissées aux autorités nationales par les décisions susmentionnées du Conseil européen. Ceci étant, du moment où le juge national passe outre son rôle de juge de droit commun du droit de l’Union et se contente d’un contrôle indolore de constitutionnalité des mesures prises pour juguler la crise financière, n’est suffisamment garantie ni la rigidité de la Constitution nationale ni celle du droit primaire de l’Union. En revanche, se propage une déréglementation constitutionnelle qui touche non seulement l’ordre juridique national mais aussi l’ordre juridique de l’Union.

Du fait de cette déréglementation, les règles et décisions adoptées par le pouvoir politique ne sont plus légitimées par le droit Ainsi, lors de la crise de dette souveraine, qui évoque les conditions de la théologie politique de Carl Schmitt, l’activité du pouvoir politique est auto-légitimée.

À cet égard, dans le premier semestre de 2010, l’activité des organes de l’Union européenne et des représentants des États membres de la zone Euro, qui visait à faire face à la crise grecque et sauver l’euro à tout prix, en est paradigmatique. Cette activité était auto-légitimée, en s’inscrivant au-delà de l’architecture de l’Union, sur un plan intergouvernemental, et en passant outre la clause de non-renflouement. Cette mise à l’écart du droit primaire de l’Union a duré jusqu’à ce que la Cour de justice ait procédé, dans son arrêt Pringle précité, à une interprétation créative du Traité conformément compromis politiques déjà effectués. Cette interprétation a offert auxdites solutions une légitimité juridique ex post et a ainsi signé le retour du droit primaire de l’Union jusque là absent

Aussi longtemps que la crise souveraine continue, ce va-et-vient du droit ne cesse pas. On l’a bien constaté, une fois encore, lorsque Mario Draghi, pour faire face à la spéculation qui se développa au printemps 2012 contre l’Espagne et l’Italie, a annoncé la mise en œuvre de la politique de la Banque centrale européenne (BCE) sur les opérations monétaires sur titres (OMT) qui succéderait à son programme pour les Marchés de Titres. Alors que les «néokeynésiens» ont reproché à la BCE de ne pas jouer efficacement le rôle de « prêteur en dernier ressort », le juge constitutionnel allemand a jugé que l’OMT contournait irrégulièrement tant le mandat de politique monétaire de la BCE que l’interdiction du financement des budgets des États établie par l’art. 123 TFUE. Ainsi, son premier renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice a déclenché de nouveau le dialogue –voire la «guerre»– des juges,  au nom du respect du droit primaire de l’Union et de la protection des droits démocratiques nationaux des citoyens allemands. À cet égard, les conclusions de l’avocat général Pedro Cruz Villalón, du 14 janvier 2015, semblent avoir ouvert une fenêtre pour légitimer ex post la politique non conventionnelle de Mario Draghi et signer, une fois encore, le retour du droit.

Il convient cependant de noter que ces retours jurisprudentiels du droit primaire de l’Union, réels ou virtuels, sont tout de même partiels. Ils n’ont, plus spécifiquement, pas légitimé tous les aspects des mesures adoptées pour faire face à la crise au sein de la zone Euro. En effet, alors que dans l’arrêt Pringle précité il est jugé que la compatibilité d’une assistance financière avec la clause de non-renflouement de l’art. 125 TFUE présuppose la subordination de cette assistance à des conditions strictes, la Cour de justice ne s’est pas toujours prononcée sur la compatibilité avec le droit primaire de l’Union des conditionnalités concrètes qui accompagnent l’application des nouveaux mécanismes d’équilibre budgétaire au sein de la zone Euro. Le droit revient, mais il y a de quoi craindre que ce ne soit plus le même droit, le droit attendu. C’est un nouveau droit, sans doute lacunaire, transformé.

II. La transformation du droit

Le droit est mort, vive le droit! Devant le cyclone de la crise le droit se retire, mais, dans un deuxième temps, il revient, en essayant de saisir la faillite souveraine. Les États résistent; du moins les États créditeurs, qui tiennent à défendre leur souveraineté nationale relative. De la sorte, les instances étatiques, européennes et internationales essaient d’encadrer juridiquement tant la crise souveraine que les notations financières.

Sur le plan international, on a depuis longtemps cherché, sans succès, à instituer un mécanisme de règlement de l’insolvabilité des États. À cet égard, il convient de mentionner, à titre d’exemple,  les échecs, en 1939 du projet de la Société des Nations sur la création d’un Tribunal international des emprunts et en 2003 du projet de Anne Krueger, ancienne Première directrice générale adjointe du FMI, sur la mise en œuvre d’un Mécanisme de restructuration de la dette souveraine.

L’esprit de tous ces projets ratés a connu un renouveau avec la crise dans la zone Euro. Après s’être engagés en 2002 à insérer les clauses d’actions collectives dans leurs propres émissions d’obligations souveraines et suite à la crise grecque, les États membres de l’Union européenne se sont successivement dotés non seulement d’autres mesures financières (p.ex. en 2011 le Pacte pour l’euro plus et le Six-pack modifiant le Pacte de Stabilité et de Croissance, ainsi qu’en 2013 le Two-pack établissant un contrôle a priori des budgets des États par la Commission européenne), mais aussi de nouveaux instruments pour sauver l’euro et les banques européennes qui avaient prêté à la Grèce. Comme le «concours mutuel», prévu par l’art. 143 TFUE et mis en œuvre en faveur de la Hongrie, de la Lettonie et de la Roumanie, ne concernait que les États membres qui n’avaient pas adopté l’euro, il fallait trouver un mécanisme apte à remédier à l’insolvabilité d’un État membre de la zone Euro. Un tel mécanisme a été, tout d’abord,  inventé pour le cas grec le 25 mars 2010 et mis en œuvre le 10 mai 2010. Puis, on a créé le Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) et le Fonds européen de stabilité financière (FSEF), utilisés dans les cas de l’Irlande (en novembre 2010), du Portugal (en avril 2011), de la Grèce (deuxième paquet de sauvetage, en juillet 2011) et de l’Espagne (en juin 2012). Ces instruments étaient façonnés dans un rapport de force entre la réalité économique et le pragmatisme politique, au détriment parfois de la rigueur juridique. Ils ont finalement conduit au déclenchement, les 16 et 17 décembre 2010, de la procédure de révision simplifiée prévue à l’art. 48, par. 6, TUE aux fins d’ajouter un troisième paragraphe à l’art. 136 TFUE. Sur la base de ce nouveau paragraphe a été décidée, lors du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011, la conclusion du traité établissant le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui avait une nature intergouvernementale –à l’instar de son prédécesseur FSEF– et qui était accompagnée du pacte budgétaire compris dans le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance. Sur ce Mécanisme a reposé, par la suite, le plan de sauvetage de Chypre (mars 2013).

Les efforts d’encadrer juridiquement la dette souveraine ont été suivis des mesures qui visent à réglementer les notations financières. Les États ont riposté au niveau tant international que national. On pourrait citer, au niveau international, le code de conduite de l’Organisation internationale des commissions de valeurs de 2004, les Principes du Conseil de stabilité financière de 2010, aux États-Unis le Wall Street Reform and Consumer Protection Act et en Europe les règlements du Parlement européen et du Conseil n° 1060/2009, 513/2011 et 462/2013. Toutes ces mesures visent à déconstruire, pièce par pièce, certains des éléments ayant favorisé la montée en puissance des agences de notation financière. Or, la victoire finale des États n’est guère assurée. Il paraît que, pour survivre, les États ont essayé, au lieu de rétablir pleinement, du moins adapter le droit dans le contexte financier globalisé. Or, cette adaptation engendre la transformation du droit.

Toutes les mesures susmentionnées sont imprégnées de la logique du marché et semblent se conformer à une certaine idéologie ultralibérale, dans la mesure où elles sont fondées sur une vision qui favorise l’emprise de l’économie sur le droit. Cela fait apparaître une conception flexible de l’État de droit (Α) et fait planer le spectre d’un certain darwinisme normatif (Β).

Α. Le flexible État de droit

Dans le cadre du constitutionalisme moderne, la conception de l’État de droit est intimement liée au pluralisme et à la normativité de la Constitution. En effet, la démocratie pluraliste exige, et rend en même temps possible, que la Constitution porte la résolution des conflits fondamentaux de la société à travers le droit. Par ailleurs, dans la plupart des sociétés européennes de l’après-guerre, ces conflits se sont articulés sur le fondement d’un grand pacte social (l’État social de droit) qui fut simultanément un grand pacte démocratique (l’État constitutionnel de droit). Il s’en suit qu’une crise de l’Etat social impliquerait aussi celle de l’État démocratique et, globalement, celle de l’État de droit.

C’est cette crise par ricochet qui semble survenir du fait de la crise de dette souveraine. Elle concerne principalement les États débiteurs, mais les États créanciers n’en sortent pas indemnes. En effet, la crise révèle une série d’antagonismes actuels ou éventuels, notamment entre les citoyens des pays aidés et ceux des pays aidant, entre les droits politiques et les droits économiques et sociaux, ainsi qu’entre diverses autorités nationales et européennes, juridictionnelles et autres.

Dans les État débiteurs, parce qu’il fallait réduire le déficit public et donner un signal fort aux marchés et donc aux spéculateurs financiers, on a opté, entre autres, pour un coup d’arrêt au constitutionnalisme «social». En Grèce, ce coup a compris la forte baisse des retraites et des salaires dans le domaine public, ainsi que la flexibilisation accrue et la réduction du coût du travail dans le domaine privé. Ces mesures ont été suivies de la diminution du nombre des fonctionnaires, de l’augmentation énorme du chômage dans le secteur privé, d’une pression fiscale dure et d’une réduction dramatique des dépenses des services publics. Le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe, en identifiant plusieurs motifs de violations de la Charte sociale européenne, a critiqué notamment « l’effet cumulé » de l’instauration de ces mesures restrictives. Par ailleurs, le Parlement européen  a déploré que les mesures mises en œuvre aient entraîné une hausse de la pauvreté.

Cette remise en cause de l’État social débouche sur une conception flexible de l’État démocratique et de l’État de droit.

Comme la crise se vit comme une nouvelle normalité, dans les États débiteurs le pluralisme et le principe électif reculent. La démocratie s’évalue en termes économiques. Les élections législatives se retrouvent dénaturées et discréditées. On l’a bien constaté, en 2011 (cet annus horribilis pour le droit constitutionnel), à l’occasion de l’anéantissement du combat politique lors des élections législatives au Portugal du fait de la déclaration des leaders européens que «peu importe qui gouverne», à l’occasion de la révision de l’art. 135 de la constitution espagnole sans référendum, à l’occasion de la substitution du gouvernement de Silvio Berlusconi par un «gouvernement technique» dirigé par Mario Monti, ainsi que Mario Monti de l’avortement du référendum grec sous la pression très forte des leaders européens. On l’a aussi bien réaffirmé, avant les élections du 25 janvier 2015 en Grèce, lorsque l’agence Moody’s a déclaré que l’annonce d’élections nationales précipitées serait considérée comme un « événement de crédit négatif ».

En outre, dans les États débiteurs on met systématiquement à l’écart les procédures parlementaires normales. Tout d’abord, on assiste à une marginalisation des Parlements nationaux, puisque les gouvernements des temps de crise font souvent recours à la procédure extraordinaire d’édiction des décrets-lois, en transformant la situation d’exception en situation normale. Par ailleurs, le parlement national paraît avoir été relégué dans une fonction subalterne, tenu notamment à entériner les choix intergouvernementaux, ou placé en quelque sorte « sous tutelle », du fait des nouvelles règles budgétaires (règle d’or ; semestre européen, two-pack etc.). Dans ce contexte, le processus législatif s’est profondément transformé. De la sorte, alors qu’en Allemagne la Cour constitutionnelle fédérale exige que le parlement national dispose d’une information écrite et du temps nécessaire pour réfléchir sur les mesures prises par les instances européennes pour juguler la crise de dette souveraine, s’agissant des mêmes questions, en Grèce, le parlement national est d’habitude appelé à statuer de toute urgence sur des projets de lois à annexes énormes, joint à un seul article.

Ceci étant, la revalorisation des parlements nationaux proclamée dans le Traité de Lisbonne paraît pour le moins inégalitaire, sinon illusoire. En même temps, le Parlement européen a été aussi marginalisé, comme l’illustre l’exemple de l’adoption, hors du cadre institutionnel de l’Union européenne, du Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance. Bien qu’on ait essayé de réduire cette marginalisation du Parlement européen et des parlements nationaux par le Règlement n° 472/2013, on n’a pas su assurer leur implication essentielle dans le processus de prise de décisions.

D’ailleurs, même dans les États créanciers, le sauvetage de l’Euro a mis à l’épreuve les droits démocratiques. La Cour constitutionnelle fédérale allemande a déjà eu à examiner plusieurs mécanismes d’aide dans ses décisions du 7 septembre 2011 (sur l’aide à la Grèce), du 12 septembre 2012 (à propos du MES) et du 18 mars 2014 (sur l’aide octroyé à travers le MES). La Cour de Karlsruhe a fait état du risque d’atteinte à l’autonomie budgétaire de l’Allemagne, ainsi qu’à son identité constitutionnelle et au principe de l’État démocratique tel que garantie notamment dans la clause d’éternité de l’article 79 III de la Loi fondamentale. Mais, par ses décisions précitées, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas atteinte aux droits fondamentaux nationaux, sous réserve que certaines conditions soient remplies : il s’agit de la limitation du montant des engagements financiers de l’Allemagne, ainsi que de la préservation des compétences budgétaires du parlement allemand.

En même temps, aux niveaux européen et international, la véritable gestion de la crise s’appuie sur une hétérogénéité de textes nationaux, européens ou internationaux, de droit dur ou de droit mou (soft law), occasionnant un vrai magma institutionnel, illisible dans son ensemble, ce qui ne peut que mettre à mal le principe de sécurité juridique. Il s’agit désormais d’une fléxisécurité juridique. Et l’« ambigüité constructive » de la déclaration finale de l’Eurogroupe 0 février 2015 sur le sort de la Grèce en est un exemple éloquent.

A tout ça, il convient d’ajouter la réduction considérable des garanties acquises de protection juridictionnelle aussi bien en droit national qu’en droit européen.

Tout d’abord, cette réduction découle des réformes législatives nationales, telle la loi grecque n° 3900/2010, qui mettent en exergue la nécessité d’accélération de la justice, paradoxalement en rendant l’accès à celle-ci plus difficile.

Ensuite, la même réduction émane de l’embarras du juge national, qui oscille entre l’autolimitation et l’activisme. Ainsi, pour ne pas remettre en cause la programmation des finances publiques, le Conseil d’État grec a souvent évité de censurer la non observation des exigences de « bonne législation » : il a restreint le contrôle de la justification des mesures d’austérité, en passant outre l’absence d’une étude d’impact, en renversant le fardeau de preuve de la nécessité des mesures au détriment des requérants ou en justifiant cette nécessité par le biais de l’invocation de la politique générale du législateur. Qui plus est, la prise en considération des conséquences financières de certains de ses arrêts ayant exceptionnellement déclaré anticonstitutionnelles les mesures adoptées a conduit le Conseil d’État grec, à l’instar des cours constitutionnelles étrangères, même à différer leurs effets dans le temps. De l’autre côté, le juge grec a parfois éprouvé un activisme significatif, soit pour soutenir soit pour censurer les choix du législateur. D’une part, en rompant avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, il a admis que l’application d’une législation datée du XIXe siècle en matière d’intérêts moratoires de l’État pourrait contribuer actuellement à la protection de l’équilibre financière de l’État, ce qui témoigne d’une sorte d’activisme financier à rebours. D’autre part, il a déclaré contraire à la Constitution la diminution des salaires des militaires en invoquant un principe constitutionnel d’obligation de traitement privilégié de ceux-ci assimilable au traitement des magistrats ; il a dénié la constitutionnalité de la privatisation de la propriété de l’entreprise publique gérant l’eau à la région d’Athènes ; il a bloqué en référé l’ouverture les magasins le dimanche en invoquant, entre autres, l’atteinte portée au droit au culte.  Il s’agit des cas d’un activisme contesté, qui est fondé sur une interprétation volontariste de la Constitution nationale. Ce volontarisme n’a pourtant pas été démontré dans d’autres cas où le juge a également freiné la politique législative, en déclarant, par exemple, contraires à la Constitution la coupure d’électricité en cas de nonpaiement d’une taxe spéciale d’habitation facturée avec la consommation électrique, le licenciement automatique suite à la mise en disponibilité de pré-retraite et la restriction de l’autonomie collective. En effet, de la jurisprudence nationale susmentionnée résulte, avant tout, un empirisme excessif qui, en tout état de cause, remet en question la sécurité juridique et, par conséquent, la certitude d’une protection juridictionnelle effective des administrés.

En même temps, l’effectivité de cette protection est également mise en question par l’autolimitation des juridictions européennes supranationales, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme.

La Cour de justice a eu l’occasion de prendre en considération la crise financière, à plusieurs reprises, notamment pour apprécier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun, pour réduire les sanctions pécuniaires en cas d’inexécution d’un arrêt au titre de l’article 260, par. 2, TFUE, pour contrôler l’adaptation annuelle des rémunérations et des pensions des fonctionnaires et des autres agents de l’Union, pour justifier le refus d’accès à des documents confidentiels de la BCE concernant la crise grecque (Thesing) ou même  pour affirmer – pourtant, dans le cadre de la suivie d’une politique jurisprudentielle de restriction générale de la responsabilité sociale des entreprises– que « la situation économique d’un État membre ne constitue pas une circonstance exceptionnelle susceptible de justifier un niveau de protection réduit des intérêts des travailleurs » (Hogan). Or, dans les affaires les plus importantes concernant les mécanismes institutionnels mis en place et les mesures spécifiques adoptées pour juguler la crise dans la zone Euro, l’intervention des juges de Luxembourg est loin de l’activisme des années soixante qui a posé les pierres angulaires de l’État de droit dans l’ordre juridique de l’Union. Ainsi, dans l’arrêt Pringle, la Cour de justice a approuvé l’intention des États à échapper au contrôle juridictionnel pour certaines de leurs actions ; en effet, elle a affirmé l’inapplication de la Charte des droits fondamentaux de l’Union lorsque les États prévoient un mécanisme de stabilité tel que le MES. Dans le même esprit, les juges du plateau de Kirchberg ne se sont montrée aucunement disposée à surpasser les questions d’irrecevabilité des questions préjudicielles posées par des tribunaux portugais et espagnoles pour encadrer les mesures d’austérité conditionnant l’assistance financière par rapport aux exigences de la Charte.

Parallèlement, le Tribunal, tout en prenant en considération la crise afin d’apprécier les circonstances atténuantes en cas de décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, a rejeté une requête ayant pour objet une demande d’annulation de la déclaration de l’Eurogroupe, du 25 mars 2013, concernant, notamment, la restructuration du secteur bancaire à Chypre, au motif que la déclaration attaquée est de nature purement informative. Par ailleurs, le Tribunal a aussi déclaré irrecevable pour défaut d’affectation directe deux recours en annulation à l’encontre de deux décisions du Conseil adressées à la Grèce en vue de remédier à une situation de déficit excessif, un recours en annulation du règlement n° 407/2010 du Conseil établissant le Mécanisme Européen de Stabilisation Financière, ainsi qu’un recours en annulation à l’encontre de la décision BCE relative à la restructuration de la dette privée grecque en 2012. En outre, le Tribunal, à propos du protocole d’accord sur la politique de conditionnalité économique spécifique, conclu entre la République de Chypre et le mécanisme européen de stabilité (MES) le 26 avril 2013, a admis qu’il n’est pas possible de considérer que la Commission ou la BCE soient à l’origine de l’adoption dudit protocole d’accord, que les fonctions confiées à la Commission et à la BCE dans le cadre du traité sur le MES ne comportent aucun pouvoir décisionnel propre et que les activités exercées par ces deux institutions dans le cadre du même traité n’engagent que le MES. En effet, le Tribunal a admis que le comportement qui serait à l’origine du préjudice subi ne peut pas être imputé à une institution de l’Union.

Il s’ensuit qu’il n’est guère garanti que les mécanismes financiers construits, ces dernières années, au-delà de l’architecture de l’Union, soient encadrés par l’acquis communautaire. Ainsi, si certaines règles protectrices ont été récemment affichées au niveau de l’Union dans les Règlements n° 472/2013 et 473/2013 du two-pack, les institutions européennes, chargées de la gestion de la crise de la zone Euro, ne paraissent pas toujours s’être suffisamment préoccupées –ni effectivement contrôlées à ce propos– de la sauvegarde procédurale et substantielle des droits fondamentaux. Or, ces institutions, qui sont vraiment devenues «un parangon d’autocratie post-démocratique», devraient ne pas pouvoir échapper au respect de la Charte. À cet égard, la Cour de justice aurait du être davantage préoccupée de la protection effective des droits des individus qui étaient atteints par les mesures d’austérité ou, revers de la médaille, de ceux qui avaient été victimes d’un « hair-cut » ou d’un « bail-in ». Son omission de jouer, à titre effectif, son rôle en tant que garant de l’Union de droit facilite le contournement du droit de l’Union par la Commission européenne qui fait partie de la «Troïka» et doit normalement veiller aux différents programmes d’assistance financière, tels les protocoles d’accord conclus par le MES. Autre conséquence de cette « prise de distance » des juges de Luxembourg, la Cour n’a pas su jouer la carte de la dissuasion du juge national, qui a été ainsi amené à contourner en pratique le droit de l’Union, en procédant souvent à l’interprétation et à l’application de celui-ci conformément au droit national. C’est donc regrettable sur le plan juridique, bien que l’on doive reconnaitre, sur le plan politique, que, si la Cour de justice s’était reconnue compétente pour faire respecter la Charte dans toutes les espèces susmentionnées, les conséquences auraient pu être dévastatrices pour les institutions européennes. Car implicitement, cela conduirait aussi à rechercher l’imputabilité des violations, voire des préjudices qui auraient, le cas échéant, été causés. Et d’ailleurs, sont encore pendants plusieurs recours en responsabilité à l’encontre de l’Union et /ou de ses organes pour avoir, par exemple, imposé l’utilisation des dépôts bancaires à des fins de renflouement interne (bail-in) dans le cadre de la conditionnalité assortie à l’assistance financière fournie à Chypre le 26 avril 2013.

Qui plus est, on constate, en la matière, la même inertie en ce qui concerne la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg insiste à reconnaître une ample latitude aux États pour prendre des mesures d’ordre général en matière économique. Ainsi, dans l’arrêt Koufaki et Adedy c. Grèce du 7 mai 2013, elle a admis « que l’adoption des mesures litigieuses a été justifiée par l’existence d’une crise exceptionnelle et sans précédent dans l’histoire récente de la Grèce ». Dans cet arrêt, les juges de Strasbourg ont développé un raisonnement qui anéantit, en pratique, le contrôle de proportionnalité, puisqu’il rend superflu la recherche de la nécessité des mesures litigieuses. Dans le cadre de ce raisonnement, la Cour a, tout d’abord, invoqué le critère imprécis de l’exposition à des difficultés de subsistance incompatibles avec l’article 1 du Protocole no 1, pour juger que le législateur national n’avait pas dépassé les limites de sa marge d’appréciation quant à la diminution du salaire de la première requérante. Ensuite, sur la base de son jugement précédent, la Cour a estimé qu’elle n’avait pas à dire si le législateur avait choisi la meilleure façon de traiter le problème ou s’il aurait dû exercer son pouvoir différemment. Il n’est pas sans importance que le juge grec ait invoqué, à plusieurs reprises, ce raisonnement de l’arrêt Koufaki et Adedy c. Grèce pour fonder le rejet d’arguments tirés de l’incompatibilité avec la Convention ou même de l’inconstitutionnalité des mesures d’austérité.

Il convient d’ajouter que dans le but de satisfaire l’intérêt financier du pays le juge national est souvent allée jusqu’à passer outre la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Or, comme il découle de l’arrêt Viaropoulos et autres c. Grèce du 29.9.2014, au lieu d’insister sur cette jurisprudence, la Cour a, paradoxalement, opté pour son interprétation conformément à l’évolution de la jurisprudence nationale. D’ailleurs, il est même arrivé que la Cour de Strasbourg ait jugé qu’il n’y avait pas de violation de la Convention, tandis que, s’agissant des mesures analogues, les juges nationaux, portugais et letton, avait jugé qu’il y avait une violation de la Constitution nationale.

Il en résulte qu’aux temps de crise le dialogue entre le juge national et les juges européens en matière de protection des droits fondamentaux s’oriente vers le plus petit dénominateur commun, tandis qu’il y a peu de temps c’est la recherche du plus grand dénominateur commun qui semblait être l’objectif  du constitutionnalisme européen en la matière.

B. Le spectre du darwinisme normatif

Du fait de l’instrumentalisation du droit des États débiteurs, les investisseurs, qu’ils contrôlent ou pas une partie du marché de la dette souveraine de ces États, deviennent, dans une certaine mesure, la source du droit qui les régit. Cela entraîne l’abandon par le droit une partie de l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers. Au bout du compte, un law shopping s’opère à l’échelle mondiale, qui conduit le droit à un alignement vers le bas, du fait de la concurrence accrue développé entre tous les États –débiteurs ou créanciers– qui essaient d’attirer –chacun vers lui– l’intérêt des investisseurs. Sur ce plan, la «survie» de plusieurs règles juridiques non compétitives, telles les règles concernant la protection des droits sociaux ou la protection juridictionnelle effective, est largement compromise.

Le nouveau constitutionalisme financier, sur la base duquel on essaie d’encadrer la crise de dette souveraine aux niveaux européen et international, confirme donc la constatation d’Alain Supiot qu’un darwinisme normatif est à l’œuvre, dont sortiront gagnantes les règles les plus permissives et les moins respectueuses de la justice sociale.  «Le Droit […] est considéré comme un produit en compétition à l’échelle du monde, où s’opèrerait la sélection naturelle des ordres juridiques les mieux adaptés à l’exigence de rendement financier».

Le spectre de ce darwinisme normatif constitue actuellement le plus grand défi existentiel du droit. Certes, dans le cadre du processus de l’intégration européenne et de la mondialisation, la réduction du juridique à l’économique avait déjà accéléré la course au «moins-disant» social et avait mis en question le pacte sur lequel avaient reposé une grande partie des constitutions européennes de l’après-guerre reflétant l’imaginaire universel du constitutionnalisme moderne. Or, la réduction de l’économique au financier dans le cadre de la crise de dette souveraine dans la zone Euro a déstabilisé même cet acquis communautaire, qui, bien que dépourvu d’une grande sensibilité sociale, résumait pourtant l’attachement traditionnel des pays de l’Europe aux principaux valeurs de l’État constitutionnel de droit. En devenant l’objectif fondamental de l’Union, le monétarisme qui ne se préoccupe guère des droits fondamentaux signe le passage de celle-ci de la phase de constitutionnalisation de l’Europe, qui constituait une sorte d’âge d’or pour les partisans du constitutionnalisme européen en tant que paradigme universel, à une phase de déconstitutionnalisation, derrière laquelle se profile l’autoritarisme émanant d’une Europe institutionnellement et historiquement affaiblie et dépassée, qui recherche désormais son identité dans les rapports des agences de notation financière et dans l’assistance technique provenant du FMI. Dans le cadre de cette déconstitutionnalisation, la solidarité semble être remplacée par la punition et la démocratie paraît être en danger. En Chypre, pour punir la présence présumée d’argent blanchi dans les dépôts bancaires, l’Union européenne n’a pas hésité de méconnaître non seulement le principe universel d’individualisation de sanctions, mais aussi son principe-symbole de libre circulation de capitaux. En Grèce, les mesures imposées notamment en matière de droit du travail ont été vécues par les citoyens comme des humiliations qui leurs auraient été infligées par leurs partenaires européens, compte tenu d’ailleurs du fait que rien ne prouve pour l’instant que leurs sacrifices auront un impact réel sur la baisse du chômage et la reprise de l’économie grecque.

En effet, le darwinisme normatif prôné par le droit dit global met en cause le noyau des acquis du constitutionnalisme moderne, à savoir la démocratie pluraliste, et nourrit les différents visages de l’anti-politique. Il ne suffit donc pas de rechercher, comme suggère H. Muir Watt, une re-constitutionnalisation de la réalité normative fragmentée à travers des principes neutres empruntés aux doctrines du «droit administratif global» tels la transparence (en cas de conflits d’intérêts des agences de notation financière et des établissements bancaires) ou l’internalisation des dommages (en cas de faute de notation). Comme le souligne Alain Supiot, il faut ne pas accepter le darwinisme normatif et essayer de renverser la direction de l’évolution du droit global. «[L]e problème n’est pas de ‘réguler’ les marchés [mais] de les réglementer, ce qui oblige à revenir sur le terrain politique et juridique afin d’y rétablir l’ordre des fins et des moyens entre les besoins des hommes et l’organisation économique et financière.». Dans cet esprit, le droit et l’intérêt général qui lui est associé, retrouveraient toute leur place dans la société.

Conclusions

L’étude des crises souveraines met en exergue la faillite et la transformation du droit, derrières lesquelles se cache la question, bien moins théorique, de savoir qui est compétent, en dernier ressort, pour décider à partir de quand on doit obliger un pays à vivre dans la misère. Est-ce que ce sont les marchés sur la base des rapports des agences de notation financière ou les États démocratiques sur la base des droits fondamentaux individuels et sociaux?

L’Union européenne doit désormais trancher et garantir l’autonomie du pouvoir européen vis-à-vis des agents de l’économie mondiale en adoptant un nouvelle «structure constitutionnelle» (pour reprendre le terme utilisé dans l’avis 2/13 de la Cour de justice sur le projet d’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme qui garantisse. On a besoin d’une constitutionnalisation réelle et effective qui assure que les politiques européennes ne sont pas dictées par les règles « naturelles et inaliénables » des marchés, mais déduites d’un débat public pluraliste, dans et par l’antagonisme des projets politiques différents.

Or, il paraît que l’Union ne veut pas encore ou n’est pas encore prête à trancher, du moins dans ce sens. Elle flotte sur l’« ambigüité constructive » des déclarations de cet organe aussi bien informel qu’hyperpuissant que constitue l’Eurogroupe, ce qui nous mène à  affirmer,  une fois de plus, que le processus de l’unification européenne continue à être un « voyage vers une destination inconnue ».