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Les droits fondamentaux à la merci du dialogue des juges

Introduction

Sur le continent européen, un spectre hante la protection des droits fondamentaux ; c’est le spectre du dialogue des juges[1].

Ce dialogue[2] donne à voir la tendance du constitutionnalisme européen de procéder à un changement de paradigme, à savoir de la reconnaissance d’une force normative incontestable à la Constitution nationale, qui domine la hiérarchie de toutes les normes au sein de l’ordre juridique national, vers une géométrie complexe et variable d’interconnexion entre plusieurs règles fondamentales souples (dits soft constitutions) qui coexistent dans l’osmose des ordres juridiques de l’Union européenne, de ses États membres et de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le nouveau paradigme du « pluralisme constitutionnel » évolue dans un réseau communicationnel de production et d’interprétation du droit. Dans ce réseau, protagonistes sont les juges nationaux et les deux juridictions européennes, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme[3].

Parler de « dialogue » entre des juges qui proviennent d’ordres juridiques différents constitue plutôt un euphémisme. En utilisant le terme « dialogue », on fait semblant de pouvoir instaurer un mécanisme consensuel pour résoudre efficacement les conflits entre ces ordres et réussir, ainsi, une régulation durable de leurs rapports. Or, le plus souvent, il s’agit en fait d’un mécanisme plutôt concurrentiel. La résolution des conflits est empirique et, parfois, virtuelle, puisque le dialogue est réduit à un moyen d’éviter ces conflits ou à dissimuler l’acceptation de la logique de la primauté d’un ordre juridique sur l’autre. Sur ce plan, les jugements juridictionnels s’adaptent aux compromis politiques variables, tandis que les critères pour qualifier un jugement de bon ou mauvais se relativisent plus que d’habitude. En réalité, le dialogue des juges reproduit un phénomène de déréglementation constitutionnelle, à savoir à la tendance d’amollissement normatif non seulement de la Constitution nationale mais de chaque règle fondamentale visant à encadrer les choix politiques aux niveaux national et européen[4].

L’objectif de cette conférence est de montrer que, même s’il a fort contribué au renforcement de la sauvegarde des libertés individuelles, le dialogue des juges évolue actuellement d’une façon qui ne garantit plus la protection efficace des droits fondamentaux. Il s’agit d’un dialogue désordonné (I) qui, en fait, sème le désordre dans la protection de ces droits (II).

Ι. Le dialogue désordonné

L’organisation et le fonctionnement du dialogue des juges manquent d’encadrement unique et stable. Les règles juridiques qui s’y appliquent et les organes juridictionnels qui y participent se multiplient et varient. Le dialogue n’ayant pas d’objectif commun clair et stable, les juridictions impliquées, privées de liens forts de solidarité institutionnelle, adoptent des stratégies centrifuges à travers lesquelles chaque juridiction, le plus souvent, défend sa propre compétence et milite en faveur de sa propre position. Ceci étant, à côté de l’excès de complexité du dialogue des juges (A) apparaît un déficit d’empathie institutionnelle (B) qui désordonne davantage ce dialogue.

Α. L’excès de complexité

Il n’y a aucun doute que, du point de vue matériel, il existe un lieu commun entre les dispositions qui garantissent des droits fondamentaux dans les textes des constitutions nationales, de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Tous ces textes répètent souvent de valeurs communes et, parfois, l’un trouve son origine –du moins son inspiration– dans l’autre. Toutefois, l’existence de nombreuses sources différentes de protection des droits fondamentaux complique le dialogue des juges en la matière. L’absence d’un texte –voire d’une doctrine– unique sur les droits fondamentaux ne peut pas être compensée par la mise en œuvre d’un « consensus européen », concept auquel fait recours la Cour de Strasbourg, ou par le recours aux « traditions constitutionnelles communes aux États membres de l’Union », auxquelles font référence le Traité sur l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice. Ces notions fonctionnelles ne suffisent pas pour assurer pleinement la coordination entre les différents ordres juridiques nationaux et les deux ordres juridiques européens en la matière[5].

Cette coordination n’est pas non plus facilitée par les méandres organisationnels et procéduraux dans lesquels les juges sont enfermés. Le caractère elliptique de l’organisation juridictionnelle de l’Union européenne, qui impose à faire appel aux juges nationaux pour jouer le rôle du juge de droit commun du droit de l’Union, constitue une source très connue de complexité institutionnelle, dont l’ampleur est beaucoup plus importante que celle de la complexité provoquée par le principe de subsidiarité de la protection des droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme[6]. Et comme l’a relevé l’avis n° 2/13 de la Cour de justice, cette complexité sera fortement accentuée lors de l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme[7]. À cet égard, il suffit de souligner que le Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme prévoit la possibilité pour les plus hautes juridictions des États parties, d’adresser des demandes d’avis consultatif à la Cour de Strasbourg sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés consacrés par la Convention ou par ses protocoles. Cette possibilité rendra encore plus complexe un réseau communicationnel déjà alourdi par l’article 267 TFUE, qui exige des juridictions supérieures des États membres qu’elles adressent à la Cour de justice leurs questions d’interprétation du droit de l’Union via la procédure de la demande de décision préjudicielle.

En outre, l’empirisme et la sélectivité des méthodes qui caractérisent les versions informelles de dialogue des juges ne peuvent pas être équilibrés par l’existence de versions formelle d’un tel dialogue. L’évolution de la jurisprudence portant sur l’article 267 TFUE montre que même les conditions et les effets du dialogue institutionnalisé entre la Cour de justice et les juges nationaux ne peuvet pas être pleinement clairs et prévisibles[8].

Si l’on tient compte aussi de la mutabilité tant des règles juridiques que de la jurisprudence dans chaque ordre juridique national et dans les deux ordres juridiques européens, les multiples structures de répartition des compétences à l’intérieur de chacun de ces ordres juridiques, ainsi que les relations asymétriques du droit européen avec le droit national, on peut bien appréhender l’environnement labyrinthique dans lequel les juges sont appelés à dialoguer. Cet environnement a été fortement reflété dans les arrêts n° 1992/2016 et n° 1993/2016[9] du Conseil d’État de Grèce, par lesquels la Haute juridiction Administrative a posé, de manière prétorienne, sept conditions pour admettre le bien-fondé d’une demande de réexamen d’une affaire et annuler un arrêt rendu par lui-même sur pourvoi en cassation, afin de se conformer à un arrêt de la Cour de Strasbourg[10]. Plus précisément, le juge grec a considéré qu’avant de reconnaitre à un tel arrêt une force contraignante, il doit examiner conjointement, entre autres, les règles constitutionnelles nationales, les obligations de l’État qui découlent du droit international et notamment du droit de l’Union, les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, la jurisprudences des autres cours suprêmes nationales, ainsi qu’éventuellement les décisions d’ autres organes étatiques.

Β. Le déficit d’empathie institutionnelle

Faute d’objectifs constitutionnels communs, le dialogue des juges est souvent marqué par une perplexité ou même par un esprit concurrentiel. Soit qu’ils suivent un empirisme casuistique, soit qu’ils développent des stratégies plus générales, les juges impliqués essaient tantôt de s’imposer, tantôt de défendre leurs compétences ou quelconque intérêt national, tantôt d’éviter tout dialogue. Ainsi, ils déversent souvent la responsabilité sur d’autres juges, sans examiner si ces derniers sont en mesure de l’assumer et de fournir une protection juridictionnelle effective au justiciable.

Un tel déficit d’empathie institutionnelle peut, d’abord, être identifié dans le comportement des deux cours européennes à l’égard des juges nationaux. Comme le pluralisme constitutionnel persiste en Europe et l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme reste encore une affaire compliquée, les réserves formulées par chacune des deux cours européennes, à savoir de la Cour de justice et de la Cour de Strasbourg, en matière de protection des droits fondamentaux, sont toujours d’actualité[11]. D’une part, la Cour de justice a jugé que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est appelée à contrôler la conformité aux droits fondamentaux d’une disposition ou d’une mesure nationale qui, dans une matière pour laquelle l’action des États membres n’est pas entièrement déterminée par le droit de l’Union, met en œuvre ce droit au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, il reste loisible aux autorités nationales –y compris les juridictions– d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette ni le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union[12]. Cette jurisprudence est valable même lorsqu’est en cause le respect de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg par les autorités juridictionnelles, étant donné que la Convention ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union[13]. D’autre part, dans son arrêt relativement récent Avotiņš c. Lettonie, la Cour de Strasbourg a rappelé que, lorsque les États contractants appliquent le droit de l’Union, ils demeurent soumis aux obligations qu’ils ont contractées en adhérant à la Convention et qui sont à apprécier à la lumière de la présomption de protection équivalente que la Cour de Strasbourg a établie dans l’arrêt Bosphorus[14] et développée dans l’arrêt Michaud[15].

Par ailleurs, à la suite de son arrêt Simmenthal II[16], la Cour de justice favorise systématiquement la déconcentration du contrôle de constitutionnalité des lois au sein des ordres juridiques des États membres, sans exiger en principe l’existence d’un recours autonome tendant, à titre principal, à examiner la conformité des dispositions nationales avec le droit de l’Union[17]. Pour sa part, la Cour de Strasbourg, dans son arrêt Vallianatos e.a. c. Grèce[18], a, en revanche, opté pour un système concentré de contrôle de constitutionnalité des lois dans les États contractants, en laissant entendre que seul un recours direct pourrait assurer un contrôle juridictionnel effectif des lois nationales qui, ayant des effets directs et durables, peuvent entraîner une violation continue des droits garantis par la Convention. Bref, à l’égard de ces jurisprudences des deux cours européennes, qui s’entrechoquent comme les Symplégades, les juges nationaux sont appelés à naviguer, comme les Argonautes, en risquant constamment le déni de justice ou le conflit[19].

À cet égard, il convient d’ajouter que, s’agissant plus particulièrement de la Cour de justice, celle-ci, lorsqu’elle répond à des questions préjudicielles, revendique une certaine flexibilité qu’elle atteint d’habitude en précisant d’une manière incomplète les obligations des juges nationaux, ce qui ne facilite guère l’œuvre de ces derniers. Son verdict dans l’affaire HLH Warenvertrieb et Orthica est éloquent de cette tendance: « Le fait que la marge d’appréciation des autorités nationales en ce qui concerne la constatation d’une absence de besoin nutritionnel ne fait l’objet que d’un contrôle juridictionnel limité est conforme au droit communautaire, à condition que la procédure nationale de contrôle juridictionnel des décisions prises en la matière par ces autorités permette à la juridiction saisie d’un recours en annulation d’une telle décision d’appliquer effectivement, dans le cadre du contrôle de la légalité de celle-ci, les principes et les règles du droit communautaire pertinents. »[20].

Dans le même esprit, la Cour de justice n’a parfois pas hésité à dépasser ses compétences et à répondre à de questions qui concernaient des affaires purement internes ou encore à juger directement la compatibilité de dispositions nationales avec le droit de l’Union[21]. Qui plus est, le refus systématique de la Cour de justice d’appliquer la procédure accélérée pour répondre aux questions préjudicielles posées en matière de référés, dans l’objectif évident de ne pas être chargée par un nombre excessif d’affaires[22], a découragé les juges nationaux à procéder à des renvois préjudiciels[23].

En outre, dans le contexte de crises graves, comme la crise de la zone Euro et la crise migratoire, la Cour de justice, en faisant preuve d’un formalisme rare dans sa jurisprudence traditionnelle, ne s’est montrée aucunement disposée à passer outre l’irrecevabilité d’une série de questions préjudicielles posées par des juges provenant des États membres débiteurs. Ce comportement de la Cour n’a guère facilité l’exercice d’un contrôle en temps utile de la compatibilité des mesures d’austérité avec les exigences du droit de l’Union et, notamment, de la Charte. Nonobstant le fait qu’il ne se met pas en concert avec le rôle de juge constitutionnel de l’Union auquel aspirerait historiquement la Cour, une des conséquences de ce comportement a été de renforcer les hésitations des juges nationaux à assumer pleinement leur rôle en tant que juges de droit commun du droit de l’Union[24].

Ces hésitations des juges nationaux sont dues, également, à une série de facteurs liés surtout aux mutations du soi-disant patriorisme jurisprudentiel. L’intérêt public national en combinaison avec la complexité institutionnelle de l’ordre juridique national sont des facteurs qui rendent difficile au juge national la tâche de se substituer au législateur, à l’administration publique ou même aux autres autorités nationales, tâche que lui suggèrent souvent le droit de l’Union ou la Convention européenne des droits de l’homme. D’ailleurs, le sentiment habituel de complicité avec les autres autorités étatiques en vue de concurrencer les deux cours européennes, conduit le juge national à se comporter parfois comme un joueur de veto (veto player) qui empêche l’application ou altère la téléologie du droit européen.

À titre d’exemples d’un tel comportement du juge national, on pourrait citer les refus courants du Conseil d’État de Grèce, dans les années 80 et 90, de poser des questions préjudicielles, auprès de la Cour de justice, lorsqu’était en cause la compatibilité de différentes dispositions de la Constitution nationale avec le droit de l’Union[25] et, plus récemment, des mesures prises pour juguler la crise financière[26] ou la crise migratoire. Les récents arrêts n° 2347/2017 et n° 2348/2017 sont très caractéristiques à cet égard. Par ceux-ci, l’Assemblée du Conseil d’État de Grèce a validé la qualification de la Turquie comme un « pays tiers sûr » au sens de la directive 2013/32/UE. Dans ces arrêts, pour ne pas remettre en question le mécanisme de renvoi de migrants à la Turquie introduit par la déclaration conjointe UE-Turquie du 18 mars 2016, la Haute juridiction administrative s’est livrée, elle-même, à une interprétation minutieuse des dispositions de l’article 38 de la directive 2013/32/UE portant sur le concept de « pays tiers sûr », sans pourtant poser de questions préjudicielles auprès de la Cour de justice, bien qu’une très forte minorité de douze sur les vingt-cinq membres de l’Assemblée aient considéré qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer la théorie de l’acte claire[27]. Οn pourrait également citer certains arrêts plus anciens de la même juridiction grecque qui procèdent à une interprétation paradoxale du droit de l’Union conformément au droit national[28] ou optent pour un renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice, non aux fins de s’éclairer dans l’interprétation du droit de l’Union mais plutôt pour offrir aux autorités nationales le temps requis pour se conformer aux exigences dudit droit[29].

Or, l’exemple le plus éloquent, d’altération de la téléologie du dialogue des juges vient sans doute de l’Allemagne, et, plus particulièrement, du premier renvoi préjudiciel fait par la Cour constitutionnelle fédérale auprès de la Cour de justice, dans l’affaire Gauveiller[30]. Ce renvoi ne visait pas à provoquer un contrôle d’unionité proprement dit dans le cadre de l’article 267 TFUE, mais s’inscrivait dans le cadre d’une jurisprudence nationale (dite Honeywell) dont la conformité avec le droit de l’Union n’est guère évidente, car elle préconise le contrôle de constitutionnalité de l’action des organes de l’Union ayant transgressé les traités européens (ultra vires). Dans le cadre de cette jurisprudence, le juge constitutionnel allemand ne s’incline pas devant l’autorité de la chose interprétée de l’arrêt de la Cour de justice. Simplement, avant de se prononcer sur la constitutionnalité de l’action d’un organe de l’Union, il offre à la Cour de justice la possibilité de s’exprimer sur cette action[31].

Enfin, il ne faut pas perdre de vue les résistances importantes qui ont été émises par le Conseil d’État de Grèce à l’égard de l’obligation des juges nationaux de se conformer aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme[32] et qui confirment le désordre du dialogue des juges. Ce désordre favorise le développement de multiples interprétations contradictoires et de stratégies opposées qui in fine déréglementent la protection des droits fondamentaux.

ΙΙ. Le dialogue désordonnant

Bien qu’il se présente comme la méthode la plus appropriée pour l’harmonisation des ordres juridiques multiples, le dialogue des juges, tel qu’il est prévu et pratiqué en fait, n’a pas su assurer un « pluralisme ordonné ». En reproduisant ses propres caractéristiques, le dialogue des juges promeut sans doute la déréglementation de la protection des droits fondamentaux, puisque, outre les retards importants qu’il implique inévitablement pour la protection juridictionnelle, il accentue également, d’une manière excessive, l’insécurité juridique. Cette insécurité découle, d’une part, de la détérioration de la force contraignante des jugements juridictionnels (Α) et, d’autre part, de la soumission du droit des droits fondamentaux à une négociation continue (Β).

Α. La détérioration de la force contraignante des jugements

Le dialogue des juges dénote le dépassement de la hiérarchie des organes juridictionnels et de la logique du « dernier mot » en matière d’interprétation et d’application du droit. Aucune décision juridictionnelle n’est susceptible d’acquérir, si ce n’est que formellement, la force absolue de la chose jugée ou même de la chose interprétée, ce qui ne sert pas la sécurité juridique.

La Cour de justice a jugé que « [l]e droit de l’Union s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure saisie sur pourvoi, soit liée, conformément au droit procédural national, par des appréciations portées en droit par la juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée de la Cour, que lesdites appréciations ne sont pas conformes au droit de l’Union. »[33]. Ainsi, la reconnaissance de la possibilité de toute juridiction nationale de s’adresser directement à la Cour de justice[34] affranchit les tribunaux inférieurs des obligations qui émanent des décisions des cours suprêmes ou constitutionnelles, en mettant ainsi en cause la structure hiérarchique de la justice dans l’ordre juridique national[35]. À cet égard, pour ne pas s’isoler dans le nouveau contexte institutionnel, la plupart des cours constitutionnelles, lesquelles, à l’instar de la doctrine italienne du « droit vivant » (diritto vivente)[36], elles était déjà obligées de prendre au sérieux le rôle la jurisprudence des juridictions ordinaires de leur pays, ont cherché à établir aussi un dialogue direct avec la Cour de justice[37].

Par ailleurs, dans le cadre du réseau de communication de plus en plus complexe que le pluralisme constitutionnel installe progressivement en Europe, aucune des deux cours européennes n’a plus le dernier mot. Le refus exprès du juge national de se conformer aux décisions de ces cours ne constitue plus une hypothèse théorique, mais un événement récurrent. Ainsi, la Cour constitutionnelle de Tchéquie est devenue, dans l’affaire Landtová, le premier tribunal national en Europe qui, par son arrêt du 31 janvier 2012, a refusé de se conformer à l’arrêt de la Cour de justice, du 22 juin 2011 (C-399/09), en faisant prévaloir l’identité constitutionnelle de son pays. De même, dans l’affaire Ajos (n°15/2014), la Cour suprême du Danemark (Højesteret) a admis que les exigences constitutionnelles nationales ne lui permettaient pas de se conformer à l’arrêt de la Cour de justice[38], Dansk Industri, selon lequel il incombe à une juridiction nationale d’interpréter les dispositions de son droit national en ce sens qu’elles puissent recevoir une application conforme à la directive 2000/78/CE ou, si une telle interprétation conforme est impossible, de laisser, au besoin, inappliquée toute disposition du droit national contraire au principe général de non-discrimination en fonction de l’âge[39]. Plus récemment, par son arrêt n° 1993/2016 la deuxième Section du contentieux du Conseil d’État de Grèce a refusé de se conformer à la décision de la Cour de Strasbourg, Kapetanios et autres c. Grèce [40]. Pour leur part, afin d’éviter ces conflits et ne pas rompre le dialogue avec les juges nationaux, les deux cours européennes préfèrent parfois adopter, selon les circonstances, une position plus modérée ou choisissent même de s’accommoder des positions des juges nationaux. Sur ce plan, dans les fameuses affaires Melki et Abdeli, la Cour de justice a opté pour la relativisation de la règle de l’immédiateté du droit de l’Union, afin de nuancer les problèmes d’incompatibilité du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité instauré en France avec l’article 267 TFUE[41]. De même, alors que, pour satisfaire l’intérêt financier national, le Conseil d’État de Grèce est allé jusqu’à passer outre la jurisprudence de la Cour de Strasbourg[42], cette dernière, dans son arrêt Viaropoulos et autres c. Grèce, au lieu d’insister sur sa propre jurisprudence en matière de détermination, au profit des personnes morales de droit public, des intérêts moratoires à un taux inférieur à celui appliqué aux particuliers, a opté pour l’interprétation de cette jurisprudence conformément à l’évolution de la jurisprudence nationale[43].

Il paraît donc que le dialogue entre le juge national et les deux cours européennes évolue en un bras de fer à trois, asymétrique et imprévisible. De même que les juges nationaux doivent respecter la jurisprudence de la Cour de justice et de la Cour de Strasbourg, celles-ci doivent prendre en compte non seulement chacune la jurisprudence de l’autre, mais aussi toutes les deux les différentes jurisprudences nationales, dans la mesure où les juridictions nationales sont amenées désormais à participer, d’une manière décisive, à l’interprétation du droit européen. Or, ce « dialogue vivant » qui s’anime ainsi entre les juges nationaux, la Cour de justice et la Cour de Strasbourg, tout en étant sans doute susceptible de nourrir le débat scientifique et enrichir le droit européen, risque pourtant de rendre la protection juridictionnelle des citoyens beaucoup moins efficace et encore moins rapide.

Β. La négociation continue du droit

Dans le cadre du « pluralisme constitutionnel », les trois instruments juridiques qui garantissent les droits fondamentaux, à savoir les constitutions nationales, la Charte de l’Union et la Convention européenne des droits de l’homme, présentent un déficit de normativité fondamentale, de sorte qu’ils se transforment en règles flexibles conformément auxquelles on essaie d’aménager les rapports entre les ordres juridiques respectifs. Et le dialogue des juges, avec sa complexité organisationnelle et procédurale, devient le champ de négociation continue de cet aménagement. Ceci étant, le contenu et l’intensité de la protection des droits fondamentaux manquent de clarté et de prévisibilité.

Comme le relève l’étude de la jurisprudence du Conseil d’État de Grèce, au niveau des juridictions nationales, les tentatives d’harmoniser d’une manière convaincante toutes les règles fondamentales, nationales et européennes, qui revendiquent de s’appliquer en commun dans l’ordre juridique national ne sont pas souvent réussies. L’absence de règles de conflit claires et stables conduit la jurisprudence constitutionnelle concernant la protection des droits fondamentaux à développer une variété de méthodes d’interprétation visant à éviter tout conflit. Cette variété accentue finalement l’empirisme et la difficulté de prévenir, au nom de la sécurité juridique, les différents jugements juridictionnels[44].

Même au niveau des deux cours européennes ou des cours nationales constitutionnelles ou suprêmes qui réussissent d’avoir une stratégie cohérente et relativement stable dans la gestion des rapports entre le droit national et le droit européen, il paraît pourtant que c’est le critère fonctionnel de la « protection équivalente » qui domine, en rendant ainsi le niveau de la protection des droits fondamentaux dépendant d’une négociation continue. Le critère de la « protection équivalente », qui a été introduit par l’arrêt Solange de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne[45] et développé par l’arrêt Bosphorus, de la Cour de Stasbourg[46], « procède de l’idée selon laquelle un juge, confronté à un acte transposant sans marge d’appréciation une norme extérieure à son ordre juridique, peut décider de renoncer à son contrôle au nom de l’existence d’une équivalence de protection des droits fondamentaux entre les deux ordres juridiques »[47]. Or, malgré l’invocation généralisée dudit critère, on constate l’ambiguϊté intense des conditions de son application et la prévalence du caractère diplomatique de son usage, qui promeut souvent les relations internationales au détriment de l’efficacité de la protection des droits fondamentaux[48].

Le sentiment d’insécurité de droit est renforcé, si l’on tient compte que le critère de la « protection équivalente » est fondé sur une simple présomption et suggère un contrôle continu, comme le laisse entendre, d’ailleurs, l’adverbe « solange » utilisé quasiment par tous les juges affirmant l’existence d’une « protection équivalente » [49]. Les réactions qu’a suscitées chez les États membres de l’Union l’invocation d’une présomption essentiellement analogue, dans l’arrêt Melloni[50], en matière de mandat d’arrêt européen, relève à quel point la confiance qui conditionne cette présomption est fragile. Cette fragilité a été également révélée dans les différentes propositions d’introduction de nouvelles méthodes de contrôle du degré de protection des droits fondamentaux entre l’Union et ses États membres, lesquelles peuvent gagner du terrain du fait notamment que, ces dernières années, on observe que certains États membres dévient des valeurs communes de l’Union[51]. Ainsi, on parle déjà de « solange inversé » ou même de « solange horizontal ». Dans le cas du « solange inversé », un contrôle serait effectué par la Cour de justice uniquement en cas de violations systémiques des droits fondamentaux dans l’un des États membres. Et ce, même si ces violations ne sont pas en lien avec le droit de l’Union européenne[52]. Dans le cas du test de « solange horizontal », il s’agit d’une présomption de respect par les États membres des droits fondamentaux garantis par l’Union. Or, selon ce modèle, le contrôle du respect de la présomption mentionnée ci-dessus n’est pas confié à la Cour de justice mais aux juridictions nationales qui seront, ainsi, responsables de veiller les unes sur les autres[53].

Dans le cadre, donc, du « pluralisme désordonné » qu’on découvre actuellement en Europe, la protection des droits fondamentaux fait l’objet d’une négociation continue. Certes, dans une certaine mesure, il s’agit d’un facteur d’empêchement d’une brusque dégradation de cette protection. Or, on est très loin de la protection beaucoup plus efficace garantie par l’application du critère de la « protection la plus favorable », qu’on trouve dans le cadre du « pluralisme ordonné » qui prédomine, entre autres, dans les états fédéraux tels que la Suisse[54].

Conclusions

Aujourd’hui, une personne qui considère que certaines mesures portent atteinte à ses droits fondamentaux peut attaquer ces mesures, parallèlement ou consécutivement, auprès de nombreuses juridictions, nationales ou européennes, en se fondant sur de multiples bases juridiques émanant de différents ordres juridiques, si elle est en mesure d’assumer le coût financier important d’une telle action. Or, le sort de ses efforts sera fort douteux, dans la mesure où sa protection juridictionnelle est à la merci du dialogue des juges. En effet, on ne peut pas s’en passer, lorsqu’on discute de la perspective d’une constitutionnalisation sincère et durable du droit européen.

Jusqu’à ce qu’un « pluralisme ordonné » soit accompli, on ne peut pas non plus perdre de vue le lourd fardeau de responsabilité qui pèse sur tout juge participant à ce réseau communicationnel complexe de production et d’interprétation du droit. Dans le cadre de l’européisation et de globalisation du droit, le juge naturel doit désormais être doté de capacités surnaturelles, voire être un demi-dieu, un Hercule, pour reprendre l’idée de R. Dworkin. Il s’agit sans doute de la difficulté la plus importante à laquelle on doit faire face si on veut assurer une protection effective des droits fondamentaux dans le cadre du dialogue des juges.

À cet égard, je considère qu’il ne convient pas de concentrer nos efforts seulement autour de réformes des systèmes nationaux d’organisation juridictionnelle. Il est plus important d’essayer d’instaurer, au niveau européen, un système juridictionnel unique, intégral et décentralisé. Au niveau national, il convient mieux d’améliorer la formation des juges, ainsi que leur mobilité entre des postes nationaux et européens qui ne soient pas toujours nécessairement juridictionnels. Chaque juge doit désormais être un cosmopolite à multiples facettes.


[1] Voir C. Yannakopoulos, « Un ‘dialogue vivant’ des juges hante le droit européen! », in E. Saulnier-Cassia (sld.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne », RTDeur 1/2017, p. 89 s., not. p. 103 s..

[2] Voir, à titre indicatif, V. Kondylis, Forms of Cooperation and Dialogue between National and European Judges, EPLO Publications, Vol. CIX, 2013.

[3] Voir C. Yannakopoulos, « La déréglementation constitutionnelle » (en grec), Journal de droit adminitstratif (revue juridique grecque) 1/2017, p. 73 s..

[4] Idem.

[5] Voir C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois (en grec), Éditions Sakkoula, Athènes-Salonique, 2013, n° 410 s..

[6] Voir C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op.cit., not. n° 18, 54 et 65.

[7] Voir, à titre indicatif, N. Petit – J. Pilorge-Vrancken, « Avis 2/13 de la CJUE : l’obsession du contrôle? », R.A.E. – L.E.A. 2014/4, σ. 815 επ..

[8] Voir C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op. cit., n° 292 s..

[9] Voir C. Yannakopoulos, « Un ‘dialogue vivant’ des juges hante le droit européen! », op.cit..

[10] Il s’agit des conditions suivantes : a) La violation de la Convention constatée par la Cour de Strasbourg nécessite le réexamen et l’annulation de l’arrêt attaqué. b) Le respect de l’arrêt de cette Cour n’entraîne pas la violation d’une disposition constitutionnelle. c) Le respect du même arrêt ne conduit pas à la violation d’une obligation qui découle du droit de l’Union et dont le respect est susceptible d’être considéré, selon les circonstances de l’espèce, plus important que le respect de l’article 46 de la Convention. d) Il n’y pas un intérêt général qui, compte tenu des circonstances de l’espèce, l’empiète sur le respect de l’arrêt de la Cour de Strasbourg. e) Cet arrêt n’est pas manifestement incomplet, peu claire et / ou arbitraire, en droit ou en fait, compte tenu des critères émanant de la jurisprudence pertinente non seulement de la Cour elle-même, mais aussi de la Cour de justice de l’Union européenne (Cour de justice), du principe fondamental de subsidiarité régissant le contrôle exercé par la Cour de Strasbourg, ainsi que de l’obligation de cette dernière de motiver suffisamment ses arrêts qui constatent une violation de la Convention. f) La violation de la Convention constatée par l’arrêt en cause de la Cour de Strasbourg n’a pas été mise en question du fait de nouveaux éléments découlant d’un arrêt ultérieur soit de la Cour de Strasbourg elle-même soit de la Cour de justice soit d’une des cours suprêmes grecques procédant à une telle interprétation ou/et application du droit national qu’on pourrait raisonnablement attendre qu’eu égard à ce jugement la Cour de Strasbourg n’insisterait plus à la constatation initiale de la violation de la Convention par la République Hellénique. g) Aucun nouvel acte des autorités nationales n’a déjà effacé la violation constatée de la Convention, ni les conséquences de cette violation au détriment du requérant, de sorte que la demande de réexamen soumise par celui-ci ait désormais devenu superfétatoire. Voir le pt 8 de l’arrêt n° 1992/2016 et le pt 9 de l’arrêt n° 1993/2016.

[11] Voir S. Besson, « L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme après l’Avis 2/13 », Annuaire de droit européen / Jahrbuch für Europarecht 2014/2015, p. 423 s.

[12] Voir les arrêts CJUE, 26.2.2013, C-617/10, Åkerberg Fransson, pt 29, CJUE, 26.2.2013, C-399/11, Melloni, pt 60, et CJUE, 10.7.2014, C-198/13, Julian Hernández e.a., pt 47.

[13] Voir l’arrêt CJUE, 28.7.2016, C-543/14, Ordre des barreaux francophones et germanophone etc., ptη 23.

[14] Voir l’arrêt CEDH, 30.6.2005, n° 45036/98.

[15] Voir l’arrêt CEDH, 6.10.2012, n° 12323/11.

[16] Voir l’arrêt CJUE, 9.3.1978, 106/77.

[17] Voir aussi l’arrêt du 13 mars 2007, C-432/05, Unibet, pt 65

[18] Voir l’arrêt CEDH, 7.11.2013, n° 29381/09 et n° 32684/09.

[19] À cet égard, voir C. Yannakopoulos, « Entre ‘Simmenthal II’ et ‘Vallianatos e.a. c. Grèce’: le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois entre les Symplégades de deux cours européennes » (en grec), in L. Papadopoulou, E. Prévédourou et K. Gogos (sld), La Cour de l’UE, garant du bon fonctionnement de l’Union européen et des droits des citoyens (en grec), actes du colloque en l’honneur de V. Skouris, Président de la CJUE, Thessalonique, 28 et 29 mars 2014, Éditions Sakkoula, Athènes- Salonique, 2016, p. 85 s.

[20] Voir l’arrêt CJUE, 9.6.2005, C-211/03, C-299/03 et C-316/03 à C-318/03

[21] Voir την απόφαση ΔΕΕ, 10.1.2006, C-147/04, De Groot, point 68.

[22] Voir l’ordonnance de la CJUE, 17.11.2004, C-363/04, C-364/04 et C-365/04, Μichaniki.

[23] Voir, à titre indicatif, l’arrêt du Conseil d’État de gèce (commission des sursis) n° 317/2013.

[24] Voir C. Yannakopoulos, « La Cour de justice de l’Union européenne et la crise de la zone Euro: ‘La Trahison des images’ », www.constitutionalism.gr, 2.4.2017 ; du même auteur, « Un tiers pays nommé sûreté ! », in E. Saulnier-Cassia (sld.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne », RTDeur 1/2018 (à paraître).

[25] Voir l’arrêt du Conseil d’État de Grèce n° 3242/2004.

[26] Voir C. Yannakopoulos, « Éviter le dialogue des juges ou le prix à payer pour le sauvetage de l’euro » (Symvoulio tis Epikrateias [Conseil d’État de Grèce], 28 janv. 2015, n° 238/2015 [Assemblée], www.ste.gr), in E. Saulnier-Cassia (sld.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne », RTDEur 1/2016, p. 146 s..

[27] Voir C. Yannakopoulos, « Un tiers pays nommé sûreté ! », op. cit..

[28] Voir l’arrêt du Conseil d’État de Grèce n° 3670/2006. Voir aussi C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op. cit., n° 436 s..

[29] Voir l’arrêt du Conseil d’État de Grèce n° 231/2011. Voir aussi C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op. cit., n° 433.

[30] Voir l’arrêt CJUE, 16.6.2015, C-62/14.

[31] Voir, à cet égard, les conclusions, du 14 janvier 2015, de l’Avocat Général P. Cruz Villalón, pts 30 s.

[32] Voir, d’abord, l’arrêt du Tribunal de première instance d’Alexandropole n° 405/2008 et, ensuite, les arrêts précités du Conseil d’ État n° 1992-1993/2016.

[33] Voir l’arrêt CJUE, 5.10.2010, Elchinov.

[34] Voir aussi les arrêts CJUE, 15.11.2012,  C‑180/11, Bericap Záródástechnika, pt 53, CJUE, 22.6.2010, C-188-189/10, Melki et Abdeli, pt 42, CJUE, 8.9.2010, C-409/06, Winner Wetten, et CJUE, 15.1.2013, C-416/10, Križan.

[35] C. Yannakopoulos, « Le droit de l’Union européenne et l’émancipation des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel à l’égard du Conseil d’État » (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 1/2014, p. 10 s..

[36] À cet égard, voir, à titre indicatif, G. Zagrebelsky, « La doctrine du droit vivant », AIJC 1986, p. 55 s., C. Severino, La doctrine du droit vivant, Paris, Aix-en-Provence, Economica – PUAM, 2003.

[37] Voir l’ordonnance n° 103l du Corte costituzionale (Italie), du 13 février 2008, et les arrêts du Tribunal constitucional (Espagne), du 9 juin 2011, ATC 86/2011, recours d’amparo n° 6922-2008, du Conseil constitutionnel (France), du 4 avr. 2013, n° 2013-314P QPC, et du Bundesverfassungsgericht (Allemagne), du 14 janv. 2014, BVerfG, 2 BvR 2728/13.

[38] Voir l’ arrêt CJUE,19.4.2016, C-441/14.

[39] Voir S. Klinge, « Dialogue or disobedience between the European Court of Justice and the Danish Constitutional Court? The Danish Supreme Court challenges the Mangold-principle », [http://eulawanalysis.blogspot.gr/2016/12/dialogue-or-disobedience-between.html].

[40] Voir l’arrêt CEDH, 30.4.2015, n° 3453/12, n° 42941/12 και n° 9028/13.

[41] Voir l’arrêt CJUE, 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10.

[42] Voir l’arrêt du Conseil d’État de Grèce n° 1620/2011 et les arrêts de la Cour spéciale suprême de Grèce n° 1/2012 et 25/2012.

[43] Voir l’arrêt CEDH, 29.9.2014, requêtes n° 570/11 et 737/11, pt 55 : « Perçues dans le contexte de la présente affaire, liée à l’exercice de la souveraineté de l’État pour servir une cause d’utilité publique, ces considérations constituent un motif raisonnable et objectif de nature à justifier une distinction par rapport à l’affaire Meïdanis au regard des exigences de l’article 1 du Protocole no 1, compte tenu en outre du faible écart entre les taux appliqués aux deux catégories de débiteurs au moment des faits. ».

[44] Voir C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op.cit., not. n° 385 s..

[45] Voir l’arrêt du 29 mai 1974.

[46] Voir l’arrêt précité, du 30 juin 2005, n° 45036/98.

[47] Voir Ρ. Tinière, « Le pluralisme désordonné de la protection des droits fondamentaux en Europe: le salut réside-t-il dans l’équivalence? », in Le droit des libertés en question(s) – Colloque des 5 ans de la RDLF, RDLF 2017, chron. n°17 (www.revuedlf.com).

[48] Idem.

[49] Voir D. Simon – A. Rigaux, « Solange, le mot magique du dialogue des juges… », Europe n° 7, Juillet 2010, repère 7.

[50] Voir l’arrêt précité CJUE, 26.2.2013, C-399/11.

[51] Voir V. Lobier, « Les cours constitutionnelles et l’enchevêtrement des systèmes de protection des droits fondamentaux. L’exemple du mandat d’arrêt européen », 1ère et 2ème Parties, RDLF 2015, chron. n° 03 και n° 04 (www.revuedlf.com).

[52] Idem. Voir aussi A. Von Bogdandy, « Reverse Solange – Protecting the essence of fundamental rights against EU member states », CMLRev 2012, n°49, p. 489-520 : « Au-delà du champ d’application de l’article 51 de la Charte des fondamentaux de l’Union européenne, les États membres demeurent autonomes en matière de droits fondamentaux aussi longtemps qu’il peut être présumé qu’ils assurent le niveau de protection garantis par l’article 2 TUE. Cependant, cette présomption serait renversée en cas de violation systémique. Dans un tel cas, les individus pourraient compter sur leur statut de citoyens européens pour demander réparation devant les juridictions nationales ».

[53] Voir I. Canor, « My brother’s keeper ? Horizontal Solange : “an ever closer distrust among the peoples of Europe” », CMLRev 2013, n° 50, p. 383-422.

[54] Voir V. Lobier, « Les cours constitutionnelles et l’enchevêtrement des systèmes de protection des droits fondamentaux. L’exemple du mandat d’arrêt européen », op. cit..

Les droits fondamentaux à la merci du dialogue des juges

Introduction

Sur le continent européen, un spectre hante la protection des droits fondamentaux ; c’est le spectre du dialogue des juges[1].

Ce dialogue[2] donne à voir la tendance du constitutionnalisme européen de procéder à un changement de paradigme, à savoir de la reconnaissance d’une force normative incontestable à la Constitution nationale, qui domine la hiérarchie de toutes les normes au sein de l’ordre juridique national, vers une géométrie complexe et variable d’interconnexion entre plusieurs règles fondamentales souples (dits soft constitutions) qui coexistent dans l’osmose des ordres juridiques de l’Union européenne, de ses États membres et de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le nouveau paradigme du « pluralisme constitutionnel » évolue dans un réseau communicationnel de production et d’interprétation du droit. Dans ce réseau, protagonistes sont les juges nationaux et les deux juridictions européennes, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme[3].

Parler de « dialogue » entre des juges qui proviennent d’ordres juridiques différents constitue plutôt un euphémisme. En utilisant le terme « dialogue », on fait semblant de pouvoir instaurer un mécanisme consensuel pour résoudre efficacement les conflits entre ces ordres et réussir, ainsi, une régulation durable de leurs rapports. Or, le plus souvent, il s’agit en fait d’un mécanisme plutôt concurrentiel. La résolution des conflits est empirique et, parfois, virtuelle, puisque le dialogue est réduit à un moyen d’éviter ces conflits ou à dissimuler l’acceptation de la logique de la primauté d’un ordre juridique sur l’autre. Sur ce plan, les jugements juridictionnels s’adaptent aux compromis politiques variables, tandis que les critères pour qualifier un jugement de bon ou mauvais se relativisent plus que d’habitude. En réalité, le dialogue des juges reproduit un phénomène de déréglementation constitutionnelle, à savoir à la tendance d’amollissement normatif non seulement de la Constitution nationale mais de chaque règle fondamentale visant à encadrer les choix politiques aux niveaux national et européen[4].

L’objectif de cette conférence est de montrer que, même s’il a fort contribué au renforcement de la sauvegarde des libertés individuelles, le dialogue des juges évolue actuellement d’une façon qui ne garantit plus la protection efficace des droits fondamentaux. Il s’agit d’un dialogue désordonné (I) qui, en fait, sème le désordre dans la protection de ces droits (II).

Ι. Le dialogue désordonné

L’organisation et le fonctionnement du dialogue des juges manquent d’encadrement unique et stable. Les règles juridiques qui s’y appliquent et les organes juridictionnels qui y participent se multiplient et varient. Le dialogue n’ayant pas d’objectif commun clair et stable, les juridictions impliquées, privées de liens forts de solidarité institutionnelle, adoptent des stratégies centrifuges à travers lesquelles chaque juridiction, le plus souvent, défend sa propre compétence et milite en faveur de sa propre position. Ceci étant, à côté de l’excès de complexité du dialogue des juges (A) apparaît un déficit d’empathie institutionnelle (B) qui désordonne davantage ce dialogue.

Α. L’excès de complexité

Il n’y a aucun doute que, du point de vue matériel, il existe un lieu commun entre les dispositions qui garantissent des droits fondamentaux dans les textes des constitutions nationales, de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Tous ces textes répètent souvent de valeurs communes et, parfois, l’un trouve son origine –du moins son inspiration– dans l’autre. Toutefois, l’existence de nombreuses sources différentes de protection des droits fondamentaux complique le dialogue des juges en la matière. L’absence d’un texte –voire d’une doctrine– unique sur les droits fondamentaux ne peut pas être compensée par la mise en œuvre d’un « consensus européen », concept auquel fait recours la Cour de Strasbourg, ou par le recours aux « traditions constitutionnelles communes aux États membres de l’Union », auxquelles font référence le Traité sur l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice. Ces notions fonctionnelles ne suffisent pas pour assurer pleinement la coordination entre les différents ordres juridiques nationaux et les deux ordres juridiques européens en la matière[5].

Cette coordination n’est pas non plus facilitée par les méandres organisationnels et procéduraux dans lesquels les juges sont enfermés. Le caractère elliptique de l’organisation juridictionnelle de l’Union européenne, qui impose à faire appel aux juges nationaux pour jouer le rôle du juge de droit commun du droit de l’Union, constitue une source très connue de complexité institutionnelle, dont l’ampleur est beaucoup plus importante que celle de la complexité provoquée par le principe de subsidiarité de la protection des droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme[6]. Et comme l’a relevé l’avis n° 2/13 de la Cour de justice, cette complexité sera fortement accentuée lors de l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme[7]. À cet égard, il suffit de souligner que le Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme prévoit la possibilité pour les plus hautes juridictions des États parties, d’adresser des demandes d’avis consultatif à la Cour de Strasbourg sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés consacrés par la Convention ou par ses protocoles. Cette possibilité rendra encore plus complexe un réseau communicationnel déjà alourdi par l’article 267 TFUE, qui exige des juridictions supérieures des États membres qu’elles adressent à la Cour de justice leurs questions d’interprétation du droit de l’Union via la procédure de la demande de décision préjudicielle.

En outre, l’empirisme et la sélectivité des méthodes qui caractérisent les versions informelles de dialogue des juges ne peuvent pas être équilibrés par l’existence de versions formelle d’un tel dialogue. L’évolution de la jurisprudence portant sur l’article 267 TFUE montre que même les conditions et les effets du dialogue institutionnalisé entre la Cour de justice et les juges nationaux ne peuvet pas être pleinement clairs et prévisibles[8].

Si l’on tient compte aussi de la mutabilité tant des règles juridiques que de la jurisprudence dans chaque ordre juridique national et dans les deux ordres juridiques européens, les multiples structures de répartition des compétences à l’intérieur de chacun de ces ordres juridiques, ainsi que les relations asymétriques du droit européen avec le droit national, on peut bien appréhender l’environnement labyrinthique dans lequel les juges sont appelés à dialoguer. Cet environnement a été fortement reflété dans les arrêts n° 1992/2016 et n° 1993/2016[9] du Conseil d’État de Grèce, par lesquels la Haute juridiction Administrative a posé, de manière prétorienne, sept conditions pour admettre le bien-fondé d’une demande de réexamen d’une affaire et annuler un arrêt rendu par lui-même sur pourvoi en cassation, afin de se conformer à un arrêt de la Cour de Strasbourg[10]. Plus précisément, le juge grec a considéré qu’avant de reconnaitre à un tel arrêt une force contraignante, il doit examiner conjointement, entre autres, les règles constitutionnelles nationales, les obligations de l’État qui découlent du droit international et notamment du droit de l’Union, les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, la jurisprudences des autres cours suprêmes nationales, ainsi qu’éventuellement les décisions d’ autres organes étatiques.

Β. Le déficit d’empathie institutionnelle

Faute d’objectifs constitutionnels communs, le dialogue des juges est souvent marqué par une perplexité ou même par un esprit concurrentiel. Soit qu’ils suivent un empirisme casuistique, soit qu’ils développent des stratégies plus générales, les juges impliqués essaient tantôt de s’imposer, tantôt de défendre leurs compétences ou quelconque intérêt national, tantôt d’éviter tout dialogue. Ainsi, ils déversent souvent la responsabilité sur d’autres juges, sans examiner si ces derniers sont en mesure de l’assumer et de fournir une protection juridictionnelle effective au justiciable.

Un tel déficit d’empathie institutionnelle peut, d’abord, être identifié dans le comportement des deux cours européennes à l’égard des juges nationaux. Comme le pluralisme constitutionnel persiste en Europe et l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme reste encore une affaire compliquée, les réserves formulées par chacune des deux cours européennes, à savoir de la Cour de justice et de la Cour de Strasbourg, en matière de protection des droits fondamentaux, sont toujours d’actualité[11]. D’une part, la Cour de justice a jugé que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est appelée à contrôler la conformité aux droits fondamentaux d’une disposition ou d’une mesure nationale qui, dans une matière pour laquelle l’action des États membres n’est pas entièrement déterminée par le droit de l’Union, met en œuvre ce droit au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, il reste loisible aux autorités nationales –y compris les juridictions– d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette ni le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union[12]. Cette jurisprudence est valable même lorsqu’est en cause le respect de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg par les autorités juridictionnelles, étant donné que la Convention ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union[13]. D’autre part, dans son arrêt relativement récent Avotiņš c. Lettonie, la Cour de Strasbourg a rappelé que, lorsque les États contractants appliquent le droit de l’Union, ils demeurent soumis aux obligations qu’ils ont contractées en adhérant à la Convention et qui sont à apprécier à la lumière de la présomption de protection équivalente que la Cour de Strasbourg a établie dans l’arrêt Bosphorus[14] et développée dans l’arrêt Michaud[15].

Par ailleurs, à la suite de son arrêt Simmenthal II[16], la Cour de justice favorise systématiquement la déconcentration du contrôle de constitutionnalité des lois au sein des ordres juridiques des États membres, sans exiger en principe l’existence d’un recours autonome tendant, à titre principal, à examiner la conformité des dispositions nationales avec le droit de l’Union[17]. Pour sa part, la Cour de Strasbourg, dans son arrêt Vallianatos e.a. c. Grèce[18], a, en revanche, opté pour un système concentré de contrôle de constitutionnalité des lois dans les États contractants, en laissant entendre que seul un recours direct pourrait assurer un contrôle juridictionnel effectif des lois nationales qui, ayant des effets directs et durables, peuvent entraîner une violation continue des droits garantis par la Convention. Bref, à l’égard de ces jurisprudences des deux cours européennes, qui s’entrechoquent comme les Symplégades, les juges nationaux sont appelés à naviguer, comme les Argonautes, en risquant constamment le déni de justice ou le conflit[19].

À cet égard, il convient d’ajouter que, s’agissant plus particulièrement de la Cour de justice, celle-ci, lorsqu’elle répond à des questions préjudicielles, revendique une certaine flexibilité qu’elle atteint d’habitude en précisant d’une manière incomplète les obligations des juges nationaux, ce qui ne facilite guère l’œuvre de ces derniers. Son verdict dans l’affaire HLH Warenvertrieb et Orthica est éloquent de cette tendance: « Le fait que la marge d’appréciation des autorités nationales en ce qui concerne la constatation d’une absence de besoin nutritionnel ne fait l’objet que d’un contrôle juridictionnel limité est conforme au droit communautaire, à condition que la procédure nationale de contrôle juridictionnel des décisions prises en la matière par ces autorités permette à la juridiction saisie d’un recours en annulation d’une telle décision d’appliquer effectivement, dans le cadre du contrôle de la légalité de celle-ci, les principes et les règles du droit communautaire pertinents. »[20].

Dans le même esprit, la Cour de justice n’a parfois pas hésité à dépasser ses compétences et à répondre à de questions qui concernaient des affaires purement internes ou encore à juger directement la compatibilité de dispositions nationales avec le droit de l’Union[21]. Qui plus est, le refus systématique de la Cour de justice d’appliquer la procédure accélérée pour répondre aux questions préjudicielles posées en matière de référés, dans l’objectif évident de ne pas être chargée par un nombre excessif d’affaires[22], a découragé les juges nationaux à procéder à des renvois préjudiciels[23].

En outre, dans le contexte de crises graves, comme la crise de la zone Euro et la crise migratoire, la Cour de justice, en faisant preuve d’un formalisme rare dans sa jurisprudence traditionnelle, ne s’est montrée aucunement disposée à passer outre l’irrecevabilité d’une série de questions préjudicielles posées par des juges provenant des États membres débiteurs. Ce comportement de la Cour n’a guère facilité l’exercice d’un contrôle en temps utile de la compatibilité des mesures d’austérité avec les exigences du droit de l’Union et, notamment, de la Charte. Nonobstant le fait qu’il ne se met pas en concert avec le rôle de juge constitutionnel de l’Union auquel aspirerait historiquement la Cour, une des conséquences de ce comportement a été de renforcer les hésitations des juges nationaux à assumer pleinement leur rôle en tant que juges de droit commun du droit de l’Union[24].

Ces hésitations des juges nationaux sont dues, également, à une série de facteurs liés surtout aux mutations du soi-disant patriorisme jurisprudentiel. L’intérêt public national en combinaison avec la complexité institutionnelle de l’ordre juridique national sont des facteurs qui rendent difficile au juge national la tâche de se substituer au législateur, à l’administration publique ou même aux autres autorités nationales, tâche que lui suggèrent souvent le droit de l’Union ou la Convention européenne des droits de l’homme. D’ailleurs, le sentiment habituel de complicité avec les autres autorités étatiques en vue de concurrencer les deux cours européennes, conduit le juge national à se comporter parfois comme un joueur de veto (veto player) qui empêche l’application ou altère la téléologie du droit européen.

À titre d’exemples d’un tel comportement du juge national, on pourrait citer les refus courants du Conseil d’État de Grèce, dans les années 80 et 90, de poser des questions préjudicielles, auprès de la Cour de justice, lorsqu’était en cause la compatibilité de différentes dispositions de la Constitution nationale avec le droit de l’Union[25] et, plus récemment, des mesures prises pour juguler la crise financière[26] ou la crise migratoire. Les récents arrêts n° 2347/2017 et n° 2348/2017 sont très caractéristiques à cet égard. Par ceux-ci, l’Assemblée du Conseil d’État de Grèce a validé la qualification de la Turquie comme un « pays tiers sûr » au sens de la directive 2013/32/UE. Dans ces arrêts, pour ne pas remettre en question le mécanisme de renvoi de migrants à la Turquie introduit par la déclaration conjointe UE-Turquie du 18 mars 2016, la Haute juridiction administrative s’est livrée, elle-même, à une interprétation minutieuse des dispositions de l’article 38 de la directive 2013/32/UE portant sur le concept de « pays tiers sûr », sans pourtant poser de questions préjudicielles auprès de la Cour de justice, bien qu’une très forte minorité de douze sur les vingt-cinq membres de l’Assemblée aient considéré qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer la théorie de l’acte claire[27]. Οn pourrait également citer certains arrêts plus anciens de la même juridiction grecque qui procèdent à une interprétation paradoxale du droit de l’Union conformément au droit national[28] ou optent pour un renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice, non aux fins de s’éclairer dans l’interprétation du droit de l’Union mais plutôt pour offrir aux autorités nationales le temps requis pour se conformer aux exigences dudit droit[29].

Or, l’exemple le plus éloquent, d’altération de la téléologie du dialogue des juges vient sans doute de l’Allemagne, et, plus particulièrement, du premier renvoi préjudiciel fait par la Cour constitutionnelle fédérale auprès de la Cour de justice, dans l’affaire Gauveiller[30]. Ce renvoi ne visait pas à provoquer un contrôle d’unionité proprement dit dans le cadre de l’article 267 TFUE, mais s’inscrivait dans le cadre d’une jurisprudence nationale (dite Honeywell) dont la conformité avec le droit de l’Union n’est guère évidente, car elle préconise le contrôle de constitutionnalité de l’action des organes de l’Union ayant transgressé les traités européens (ultra vires). Dans le cadre de cette jurisprudence, le juge constitutionnel allemand ne s’incline pas devant l’autorité de la chose interprétée de l’arrêt de la Cour de justice. Simplement, avant de se prononcer sur la constitutionnalité de l’action d’un organe de l’Union, il offre à la Cour de justice la possibilité de s’exprimer sur cette action[31].

Enfin, il ne faut pas perdre de vue les résistances importantes qui ont été émises par le Conseil d’État de Grèce à l’égard de l’obligation des juges nationaux de se conformer aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme[32] et qui confirment le désordre du dialogue des juges. Ce désordre favorise le développement de multiples interprétations contradictoires et de stratégies opposées qui in fine déréglementent la protection des droits fondamentaux.

ΙΙ. Le dialogue désordonnant

Bien qu’il se présente comme la méthode la plus appropriée pour l’harmonisation des ordres juridiques multiples, le dialogue des juges, tel qu’il est prévu et pratiqué en fait, n’a pas su assurer un « pluralisme ordonné ». En reproduisant ses propres caractéristiques, le dialogue des juges promeut sans doute la déréglementation de la protection des droits fondamentaux, puisque, outre les retards importants qu’il implique inévitablement pour la protection juridictionnelle, il accentue également, d’une manière excessive, l’insécurité juridique. Cette insécurité découle, d’une part, de la détérioration de la force contraignante des jugements juridictionnels (Α) et, d’autre part, de la soumission du droit des droits fondamentaux à une négociation continue (Β).

Α. La détérioration de la force contraignante des jugements

Le dialogue des juges dénote le dépassement de la hiérarchie des organes juridictionnels et de la logique du « dernier mot » en matière d’interprétation et d’application du droit. Aucune décision juridictionnelle n’est susceptible d’acquérir, si ce n’est que formellement, la force absolue de la chose jugée ou même de la chose interprétée, ce qui ne sert pas la sécurité juridique.

La Cour de justice a jugé que « [l]e droit de l’Union s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure saisie sur pourvoi, soit liée, conformément au droit procédural national, par des appréciations portées en droit par la juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée de la Cour, que lesdites appréciations ne sont pas conformes au droit de l’Union. »[33]. Ainsi, la reconnaissance de la possibilité de toute juridiction nationale de s’adresser directement à la Cour de justice[34] affranchit les tribunaux inférieurs des obligations qui émanent des décisions des cours suprêmes ou constitutionnelles, en mettant ainsi en cause la structure hiérarchique de la justice dans l’ordre juridique national[35]. À cet égard, pour ne pas s’isoler dans le nouveau contexte institutionnel, la plupart des cours constitutionnelles, lesquelles, à l’instar de la doctrine italienne du « droit vivant » (diritto vivente)[36], elles était déjà obligées de prendre au sérieux le rôle la jurisprudence des juridictions ordinaires de leur pays, ont cherché à établir aussi un dialogue direct avec la Cour de justice[37].

Par ailleurs, dans le cadre du réseau de communication de plus en plus complexe que le pluralisme constitutionnel installe progressivement en Europe, aucune des deux cours européennes n’a plus le dernier mot. Le refus exprès du juge national de se conformer aux décisions de ces cours ne constitue plus une hypothèse théorique, mais un événement récurrent. Ainsi, la Cour constitutionnelle de Tchéquie est devenue, dans l’affaire Landtová, le premier tribunal national en Europe qui, par son arrêt du 31 janvier 2012, a refusé de se conformer à l’arrêt de la Cour de justice, du 22 juin 2011 (C-399/09), en faisant prévaloir l’identité constitutionnelle de son pays. De même, dans l’affaire Ajos (n°15/2014), la Cour suprême du Danemark (Højesteret) a admis que les exigences constitutionnelles nationales ne lui permettaient pas de se conformer à l’arrêt de la Cour de justice[38], Dansk Industri, selon lequel il incombe à une juridiction nationale d’interpréter les dispositions de son droit national en ce sens qu’elles puissent recevoir une application conforme à la directive 2000/78/CE ou, si une telle interprétation conforme est impossible, de laisser, au besoin, inappliquée toute disposition du droit national contraire au principe général de non-discrimination en fonction de l’âge[39]. Plus récemment, par son arrêt n° 1993/2016 la deuxième Section du contentieux du Conseil d’État de Grèce a refusé de se conformer à la décision de la Cour de Strasbourg, Kapetanios et autres c. Grèce [40]. Pour leur part, afin d’éviter ces conflits et ne pas rompre le dialogue avec les juges nationaux, les deux cours européennes préfèrent parfois adopter, selon les circonstances, une position plus modérée ou choisissent même de s’accommoder des positions des juges nationaux. Sur ce plan, dans les fameuses affaires Melki et Abdeli, la Cour de justice a opté pour la relativisation de la règle de l’immédiateté du droit de l’Union, afin de nuancer les problèmes d’incompatibilité du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité instauré en France avec l’article 267 TFUE[41]. De même, alors que, pour satisfaire l’intérêt financier national, le Conseil d’État de Grèce est allé jusqu’à passer outre la jurisprudence de la Cour de Strasbourg[42], cette dernière, dans son arrêt Viaropoulos et autres c. Grèce, au lieu d’insister sur sa propre jurisprudence en matière de détermination, au profit des personnes morales de droit public, des intérêts moratoires à un taux inférieur à celui appliqué aux particuliers, a opté pour l’interprétation de cette jurisprudence conformément à l’évolution de la jurisprudence nationale[43].

Il paraît donc que le dialogue entre le juge national et les deux cours européennes évolue en un bras de fer à trois, asymétrique et imprévisible. De même que les juges nationaux doivent respecter la jurisprudence de la Cour de justice et de la Cour de Strasbourg, celles-ci doivent prendre en compte non seulement chacune la jurisprudence de l’autre, mais aussi toutes les deux les différentes jurisprudences nationales, dans la mesure où les juridictions nationales sont amenées désormais à participer, d’une manière décisive, à l’interprétation du droit européen. Or, ce « dialogue vivant » qui s’anime ainsi entre les juges nationaux, la Cour de justice et la Cour de Strasbourg, tout en étant sans doute susceptible de nourrir le débat scientifique et enrichir le droit européen, risque pourtant de rendre la protection juridictionnelle des citoyens beaucoup moins efficace et encore moins rapide.

Β. La négociation continue du droit

Dans le cadre du « pluralisme constitutionnel », les trois instruments juridiques qui garantissent les droits fondamentaux, à savoir les constitutions nationales, la Charte de l’Union et la Convention européenne des droits de l’homme, présentent un déficit de normativité fondamentale, de sorte qu’ils se transforment en règles flexibles conformément auxquelles on essaie d’aménager les rapports entre les ordres juridiques respectifs. Et le dialogue des juges, avec sa complexité organisationnelle et procédurale, devient le champ de négociation continue de cet aménagement. Ceci étant, le contenu et l’intensité de la protection des droits fondamentaux manquent de clarté et de prévisibilité.

Comme le relève l’étude de la jurisprudence du Conseil d’État de Grèce, au niveau des juridictions nationales, les tentatives d’harmoniser d’une manière convaincante toutes les règles fondamentales, nationales et européennes, qui revendiquent de s’appliquer en commun dans l’ordre juridique national ne sont pas souvent réussies. L’absence de règles de conflit claires et stables conduit la jurisprudence constitutionnelle concernant la protection des droits fondamentaux à développer une variété de méthodes d’interprétation visant à éviter tout conflit. Cette variété accentue finalement l’empirisme et la difficulté de prévenir, au nom de la sécurité juridique, les différents jugements juridictionnels[44].

Même au niveau des deux cours européennes ou des cours nationales constitutionnelles ou suprêmes qui réussissent d’avoir une stratégie cohérente et relativement stable dans la gestion des rapports entre le droit national et le droit européen, il paraît pourtant que c’est le critère fonctionnel de la « protection équivalente » qui domine, en rendant ainsi le niveau de la protection des droits fondamentaux dépendant d’une négociation continue. Le critère de la « protection équivalente », qui a été introduit par l’arrêt Solange de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne[45] et développé par l’arrêt Bosphorus, de la Cour de Stasbourg[46], « procède de l’idée selon laquelle un juge, confronté à un acte transposant sans marge d’appréciation une norme extérieure à son ordre juridique, peut décider de renoncer à son contrôle au nom de l’existence d’une équivalence de protection des droits fondamentaux entre les deux ordres juridiques »[47]. Or, malgré l’invocation généralisée dudit critère, on constate l’ambiguϊté intense des conditions de son application et la prévalence du caractère diplomatique de son usage, qui promeut souvent les relations internationales au détriment de l’efficacité de la protection des droits fondamentaux[48].

Le sentiment d’insécurité de droit est renforcé, si l’on tient compte que le critère de la « protection équivalente » est fondé sur une simple présomption et suggère un contrôle continu, comme le laisse entendre, d’ailleurs, l’adverbe « solange » utilisé quasiment par tous les juges affirmant l’existence d’une « protection équivalente » [49]. Les réactions qu’a suscitées chez les États membres de l’Union l’invocation d’une présomption essentiellement analogue, dans l’arrêt Melloni[50], en matière de mandat d’arrêt européen, relève à quel point la confiance qui conditionne cette présomption est fragile. Cette fragilité a été également révélée dans les différentes propositions d’introduction de nouvelles méthodes de contrôle du degré de protection des droits fondamentaux entre l’Union et ses États membres, lesquelles peuvent gagner du terrain du fait notamment que, ces dernières années, on observe que certains États membres dévient des valeurs communes de l’Union[51]. Ainsi, on parle déjà de « solange inversé » ou même de « solange horizontal ». Dans le cas du « solange inversé », un contrôle serait effectué par la Cour de justice uniquement en cas de violations systémiques des droits fondamentaux dans l’un des États membres. Et ce, même si ces violations ne sont pas en lien avec le droit de l’Union européenne[52]. Dans le cas du test de « solange horizontal », il s’agit d’une présomption de respect par les États membres des droits fondamentaux garantis par l’Union. Or, selon ce modèle, le contrôle du respect de la présomption mentionnée ci-dessus n’est pas confié à la Cour de justice mais aux juridictions nationales qui seront, ainsi, responsables de veiller les unes sur les autres[53].

Dans le cadre, donc, du « pluralisme désordonné » qu’on découvre actuellement en Europe, la protection des droits fondamentaux fait l’objet d’une négociation continue. Certes, dans une certaine mesure, il s’agit d’un facteur d’empêchement d’une brusque dégradation de cette protection. Or, on est très loin de la protection beaucoup plus efficace garantie par l’application du critère de la « protection la plus favorable », qu’on trouve dans le cadre du « pluralisme ordonné » qui prédomine, entre autres, dans les états fédéraux tels que la Suisse[54].

Conclusions

Aujourd’hui, une personne qui considère que certaines mesures portent atteinte à ses droits fondamentaux peut attaquer ces mesures, parallèlement ou consécutivement, auprès de nombreuses juridictions, nationales ou européennes, en se fondant sur de multiples bases juridiques émanant de différents ordres juridiques, si elle est en mesure d’assumer le coût financier important d’une telle action. Or, le sort de ses efforts sera fort douteux, dans la mesure où sa protection juridictionnelle est à la merci du dialogue des juges. En effet, on ne peut pas s’en passer, lorsqu’on discute de la perspective d’une constitutionnalisation sincère et durable du droit européen.

Jusqu’à ce qu’un « pluralisme ordonné » soit accompli, on ne peut pas non plus perdre de vue le lourd fardeau de responsabilité qui pèse sur tout juge participant à ce réseau communicationnel complexe de production et d’interprétation du droit. Dans le cadre de l’européisation et de globalisation du droit, le juge naturel doit désormais être doté de capacités surnaturelles, voire être un demi-dieu, un Hercule, pour reprendre l’idée de R. Dworkin. Il s’agit sans doute de la difficulté la plus importante à laquelle on doit faire face si on veut assurer une protection effective des droits fondamentaux dans le cadre du dialogue des juges.

À cet égard, je considère qu’il ne convient pas de concentrer nos efforts seulement autour de réformes des systèmes nationaux d’organisation juridictionnelle. Il est plus important d’essayer d’instaurer, au niveau européen, un système juridictionnel unique, intégral et décentralisé. Au niveau national, il convient mieux d’améliorer la formation des juges, ainsi que leur mobilité entre des postes nationaux et européens qui ne soient pas toujours nécessairement juridictionnels. Chaque juge doit désormais être un cosmopolite à multiples facettes.


[1] Voir C. Yannakopoulos, « Un ‘dialogue vivant’ des juges hante le droit européen! », in E. Saulnier-Cassia (sld.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne », RTDeur 1/2017, p. 89 s., not. p. 103 s..

[2] Voir, à titre indicatif, V. Kondylis, Forms of Cooperation and Dialogue between National and European Judges, EPLO Publications, Vol. CIX, 2013.

[3] Voir C. Yannakopoulos, « La déréglementation constitutionnelle » (en grec), Journal de droit adminitstratif (revue juridique grecque) 1/2017, p. 73 s..

[4] Idem.

[5] Voir C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois (en grec), Éditions Sakkoula, Athènes-Salonique, 2013, n° 410 s..

[6] Voir C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op.cit., not. n° 18, 54 et 65.

[7] Voir, à titre indicatif, N. Petit – J. Pilorge-Vrancken, « Avis 2/13 de la CJUE : l’obsession du contrôle? », R.A.E. – L.E.A. 2014/4, σ. 815 επ..

[8] Voir C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op. cit., n° 292 s..

[9] Voir C. Yannakopoulos, « Un ‘dialogue vivant’ des juges hante le droit européen! », op.cit..

[10] Il s’agit des conditions suivantes : a) La violation de la Convention constatée par la Cour de Strasbourg nécessite le réexamen et l’annulation de l’arrêt attaqué. b) Le respect de l’arrêt de cette Cour n’entraîne pas la violation d’une disposition constitutionnelle. c) Le respect du même arrêt ne conduit pas à la violation d’une obligation qui découle du droit de l’Union et dont le respect est susceptible d’être considéré, selon les circonstances de l’espèce, plus important que le respect de l’article 46 de la Convention. d) Il n’y pas un intérêt général qui, compte tenu des circonstances de l’espèce, l’empiète sur le respect de l’arrêt de la Cour de Strasbourg. e) Cet arrêt n’est pas manifestement incomplet, peu claire et / ou arbitraire, en droit ou en fait, compte tenu des critères émanant de la jurisprudence pertinente non seulement de la Cour elle-même, mais aussi de la Cour de justice de l’Union européenne (Cour de justice), du principe fondamental de subsidiarité régissant le contrôle exercé par la Cour de Strasbourg, ainsi que de l’obligation de cette dernière de motiver suffisamment ses arrêts qui constatent une violation de la Convention. f) La violation de la Convention constatée par l’arrêt en cause de la Cour de Strasbourg n’a pas été mise en question du fait de nouveaux éléments découlant d’un arrêt ultérieur soit de la Cour de Strasbourg elle-même soit de la Cour de justice soit d’une des cours suprêmes grecques procédant à une telle interprétation ou/et application du droit national qu’on pourrait raisonnablement attendre qu’eu égard à ce jugement la Cour de Strasbourg n’insisterait plus à la constatation initiale de la violation de la Convention par la République Hellénique. g) Aucun nouvel acte des autorités nationales n’a déjà effacé la violation constatée de la Convention, ni les conséquences de cette violation au détriment du requérant, de sorte que la demande de réexamen soumise par celui-ci ait désormais devenu superfétatoire. Voir le pt 8 de l’arrêt n° 1992/2016 et le pt 9 de l’arrêt n° 1993/2016.

[11] Voir S. Besson, « L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme après l’Avis 2/13 », Annuaire de droit européen / Jahrbuch für Europarecht 2014/2015, p. 423 s.

[12] Voir les arrêts CJUE, 26.2.2013, C-617/10, Åkerberg Fransson, pt 29, CJUE, 26.2.2013, C-399/11, Melloni, pt 60, et CJUE, 10.7.2014, C-198/13, Julian Hernández e.a., pt 47.

[13] Voir l’arrêt CJUE, 28.7.2016, C-543/14, Ordre des barreaux francophones et germanophone etc., ptη 23.

[14] Voir l’arrêt CEDH, 30.6.2005, n° 45036/98.

[15] Voir l’arrêt CEDH, 6.10.2012, n° 12323/11.

[16] Voir l’arrêt CJUE, 9.3.1978, 106/77.

[17] Voir aussi l’arrêt du 13 mars 2007, C-432/05, Unibet, pt 65

[18] Voir l’arrêt CEDH, 7.11.2013, n° 29381/09 et n° 32684/09.

[19] À cet égard, voir C. Yannakopoulos, « Entre ‘Simmenthal II’ et ‘Vallianatos e.a. c. Grèce’: le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois entre les Symplégades de deux cours européennes » (en grec), in L. Papadopoulou, E. Prévédourou et K. Gogos (sld), La Cour de l’UE, garant du bon fonctionnement de l’Union européen et des droits des citoyens (en grec), actes du colloque en l’honneur de V. Skouris, Président de la CJUE, Thessalonique, 28 et 29 mars 2014, Éditions Sakkoula, Athènes- Salonique, 2016, p. 85 s.

[20] Voir l’arrêt CJUE, 9.6.2005, C-211/03, C-299/03 et C-316/03 à C-318/03

[21] Voir την απόφαση ΔΕΕ, 10.1.2006, C-147/04, De Groot, point 68.

[22] Voir l’ordonnance de la CJUE, 17.11.2004, C-363/04, C-364/04 et C-365/04, Μichaniki.

[23] Voir, à titre indicatif, l’arrêt du Conseil d’État de gèce (commission des sursis) n° 317/2013.

[24] Voir C. Yannakopoulos, « La Cour de justice de l’Union européenne et la crise de la zone Euro: ‘La Trahison des images’ », www.constitutionalism.gr, 2.4.2017 ; du même auteur, « Un tiers pays nommé sûreté ! », in E. Saulnier-Cassia (sld.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne », RTDeur 1/2018 (à paraître).

[25] Voir l’arrêt du Conseil d’État de Grèce n° 3242/2004.

[26] Voir C. Yannakopoulos, « Éviter le dialogue des juges ou le prix à payer pour le sauvetage de l’euro » (Symvoulio tis Epikrateias [Conseil d’État de Grèce], 28 janv. 2015, n° 238/2015 [Assemblée], www.ste.gr), in E. Saulnier-Cassia (sld.), « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Union européenne », RTDEur 1/2016, p. 146 s..

[27] Voir C. Yannakopoulos, « Un tiers pays nommé sûreté ! », op. cit..

[28] Voir l’arrêt du Conseil d’État de Grèce n° 3670/2006. Voir aussi C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op. cit., n° 436 s..

[29] Voir l’arrêt du Conseil d’État de Grèce n° 231/2011. Voir aussi C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op. cit., n° 433.

[30] Voir l’arrêt CJUE, 16.6.2015, C-62/14.

[31] Voir, à cet égard, les conclusions, du 14 janvier 2015, de l’Avocat Général P. Cruz Villalón, pts 30 s.

[32] Voir, d’abord, l’arrêt du Tribunal de première instance d’Alexandropole n° 405/2008 et, ensuite, les arrêts précités du Conseil d’ État n° 1992-1993/2016.

[33] Voir l’arrêt CJUE, 5.10.2010, Elchinov.

[34] Voir aussi les arrêts CJUE, 15.11.2012,  C‑180/11, Bericap Záródástechnika, pt 53, CJUE, 22.6.2010, C-188-189/10, Melki et Abdeli, pt 42, CJUE, 8.9.2010, C-409/06, Winner Wetten, et CJUE, 15.1.2013, C-416/10, Križan.

[35] C. Yannakopoulos, « Le droit de l’Union européenne et l’émancipation des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel à l’égard du Conseil d’État » (en grec), Journal de droit administratif (revue juridique grecque) 1/2014, p. 10 s..

[36] À cet égard, voir, à titre indicatif, G. Zagrebelsky, « La doctrine du droit vivant », AIJC 1986, p. 55 s., C. Severino, La doctrine du droit vivant, Paris, Aix-en-Provence, Economica – PUAM, 2003.

[37] Voir l’ordonnance n° 103l du Corte costituzionale (Italie), du 13 février 2008, et les arrêts du Tribunal constitucional (Espagne), du 9 juin 2011, ATC 86/2011, recours d’amparo n° 6922-2008, du Conseil constitutionnel (France), du 4 avr. 2013, n° 2013-314P QPC, et du Bundesverfassungsgericht (Allemagne), du 14 janv. 2014, BVerfG, 2 BvR 2728/13.

[38] Voir l’ arrêt CJUE,19.4.2016, C-441/14.

[39] Voir S. Klinge, « Dialogue or disobedience between the European Court of Justice and the Danish Constitutional Court? The Danish Supreme Court challenges the Mangold-principle », [http://eulawanalysis.blogspot.gr/2016/12/dialogue-or-disobedience-between.html].

[40] Voir l’arrêt CEDH, 30.4.2015, n° 3453/12, n° 42941/12 και n° 9028/13.

[41] Voir l’arrêt CJUE, 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10.

[42] Voir l’arrêt du Conseil d’État de Grèce n° 1620/2011 et les arrêts de la Cour spéciale suprême de Grèce n° 1/2012 et 25/2012.

[43] Voir l’arrêt CEDH, 29.9.2014, requêtes n° 570/11 et 737/11, pt 55 : « Perçues dans le contexte de la présente affaire, liée à l’exercice de la souveraineté de l’État pour servir une cause d’utilité publique, ces considérations constituent un motif raisonnable et objectif de nature à justifier une distinction par rapport à l’affaire Meïdanis au regard des exigences de l’article 1 du Protocole no 1, compte tenu en outre du faible écart entre les taux appliqués aux deux catégories de débiteurs au moment des faits. ».

[44] Voir C. Yannakopoulos, L’infuence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel des lois, op.cit., not. n° 385 s..

[45] Voir l’arrêt du 29 mai 1974.

[46] Voir l’arrêt précité, du 30 juin 2005, n° 45036/98.

[47] Voir Ρ. Tinière, « Le pluralisme désordonné de la protection des droits fondamentaux en Europe: le salut réside-t-il dans l’équivalence? », in Le droit des libertés en question(s) – Colloque des 5 ans de la RDLF, RDLF 2017, chron. n°17 (www.revuedlf.com).

[48] Idem.

[49] Voir D. Simon – A. Rigaux, « Solange, le mot magique du dialogue des juges… », Europe n° 7, Juillet 2010, repère 7.

[50] Voir l’arrêt précité CJUE, 26.2.2013, C-399/11.

[51] Voir V. Lobier, « Les cours constitutionnelles et l’enchevêtrement des systèmes de protection des droits fondamentaux. L’exemple du mandat d’arrêt européen », 1ère et 2ème Parties, RDLF 2015, chron. n° 03 και n° 04 (www.revuedlf.com).

[52] Idem. Voir aussi A. Von Bogdandy, « Reverse Solange – Protecting the essence of fundamental rights against EU member states », CMLRev 2012, n°49, p. 489-520 : « Au-delà du champ d’application de l’article 51 de la Charte des fondamentaux de l’Union européenne, les États membres demeurent autonomes en matière de droits fondamentaux aussi longtemps qu’il peut être présumé qu’ils assurent le niveau de protection garantis par l’article 2 TUE. Cependant, cette présomption serait renversée en cas de violation systémique. Dans un tel cas, les individus pourraient compter sur leur statut de citoyens européens pour demander réparation devant les juridictions nationales ».

[53] Voir I. Canor, « My brother’s keeper ? Horizontal Solange : “an ever closer distrust among the peoples of Europe” », CMLRev 2013, n° 50, p. 383-422.

[54] Voir V. Lobier, « Les cours constitutionnelles et l’enchevêtrement des systèmes de protection des droits fondamentaux. L’exemple du mandat d’arrêt européen », op. cit..