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L’influence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois

Introduction

En vertu soit des principes de son effet direct et de sa primauté soit de son effet dit attractif, le droit de l’Union surdétermine l’interprétation et l’application du droit national, même à propos des questions qui, en principe, n’entrent pas dans son champ d’application et dont l’analyse est principalement fondée sur les particularités de l’ordre juridique national.

Il en va ainsi pour les questions concernant le droit et le contentieux constitutionnels des États membres[1]. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, que les cours constitutionnelles et les cours suprêmes nationales n’ont finalement pas réfutée du moins lorsqu’elle ne porte pas atteinte à l’identité nationale des États membres, les règles constitutionnelles nationales n’échappent pas au champ d’application du principe de primauté du droit de l’Union[2].

Tout d’abord, certains arrêts des juges de Kirchberg ont directement intéressé le droit constitutionnel matériel des États membres, en faisant, par exemple, prévaloir l’«européanisation» du principe de démocratie[3] ou en mettant en question certaines dispositions constitutionnelles nationales, tels l’article 11, deuxième alinéa, de la Constitution luxembourgeoise disposant que seuls les Luxembourgeois sont admissibles aux emplois civils et militaires du Grand-Duché[4] et l’article 14, paragraphe 9, de la Constitution grecque prévoyant des incompatibilités en matière d’adjudication de marchés publics à des entreprises de médias[5]. Qui plus est, même la procédure de révision des règles constitutionnelles nationales a été touchée, du moment où, selon l’arrêt Angelidaki, «toutes les autorités des États membres sont soumises à l’obligation de garantir le plein effet des dispositions du droit communautaire […], en ce compris lorsque lesdites autorités modifient leur Constitution»[6].

Ensuite, la jurisprudence de la Cour de justice sur le contrôle d’«unionité des lois» –selon le néologisme priviliégié après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne– a porté sur bien de questions de contentieux constitutionnel, tels le contrôle des motifs des lois[7] et des omissions du législateur[8] débouchant sur des manquements aux obligations émanant du droit de l’Union européenne, le régime de la responsabilité du fait des lois inconstitutionnelles violant le principe d’équivalence[9] ou l’abrogation différée des lois inconstitutionnelles éventuellement incompatible avec l’exigence d’application immédiate du droit de l’Union européenne[10].

Enfin, même l’organisation de la justice constitutionnelle a été saisie par le droit européen[11]. Bien avant les fameuses affaires Melki et Abdeli[12], les affaires Simmenthal[13] et Mecanarte[14] avaient mis en exergue la question de l’articulation dans le temps du contrôle d’unionité d’une loi avec le contrôle de sa constitutionnalité, cette dernière étant soumise à un recours obligatoire devant une cour constitutionnelle. Par ailleurs, dans l’arrêt Unibet[15] la Cour de justice a bien imposé l’interprétation conforme au droit de l’Union européenne des règles procédurales relevant du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois en Suède.

En effet, le contrôle de constitutionnalité des lois, autrefois symbole de la rigidité des règles constitutionnelles et de leur primauté au sein de l’ordre juridique national, subit les conséquences des perturbations intervenues au sommet de la pyramide des normes par le droit de l’Union européenne. Aujourd’hui, il est largement concurrencé par le contrôle d’unionité des lois[16], bien que certaines dispositions constitutionnelles, telles l’article 117 par. 1 de la Constitution italienne ou l’article 88-1 de la Constitution française, laissent entendre que le contrôle d’unionité pourrait constituer un aspect du contrôle de constitutionnalité[17].

L’objectif de ma conférence est d’essayer d’appréhender l’enjeu profond et de systématiser l’influence du droit de l’Union sur le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois.

Il paraît que le droit de l’Union, tout en revendiquant l’appropriation du contrôle de la fondamentalité des normes européennes et nationales, a déjà contribué et peut encore contribuer davantage à moderniser l’État de droit par le biais de la correction de certaines lacunes ou imperfections du droit national en matière de contrôle juridictionnel des lois. Or, dans l’étape actuelle de l’évolution des rapports entre le droit de l’Union et le droit national, l’affaiblissement de la force obligatoire de la Constitution nationale et la surdétermination fonctionnelle des compétences des organes étatiques perturbent profondément les structures –voire la cohésion– de l’ordre juridique national, sans être contrebalancés par l’imminente perspective d’établissement d’un ordre constitutionnel européen proprement dit. Ceci étant, le droit de l’Union risque de devenir un facteur de déréglementation constitutionnelle, étant donné que le modèle dominant du soi-disant pluralisme constitutionnel ne semble pas pouvoir constituer une structure constitutionnelle durable apte à intégrer efficacement l’osmose actuelle entre les ordres européen et national.

J’ai choisi d’analyser cette problématique en examinant l’influence du droit de l’Union sur l’organisation (I), la délimitation (II) et la fonction (III) du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois.

I. L’influence sur l’organisation du contrôle

Depuis l’arrêt Costa/ENEL[18], parallèlement à une fondamentalité constitutionnelle nationale, se développe une fondamentalité européenne[19]. La Cour de justice promeut la constitutionnalisation de l’ordre juridique de l’Union en établissant un nouveau contentieux de la fondamentalité des normes européennes et nationales. Dans le cadre de ce contentieux, la Constitution nationale n’est plus la source ultime des droits fondamentaux et le juge national n’a plus le dernier mot sur le contrôle de fondamentalité des lois nationales. Plus précisément, la Cour de justice a établi un système de contrôle d’unionité de toutes les normes nationales –y compris des lois– résumé ainsi dans l’arrêt Simmenthal, précité: «tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l’obligation d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire»[20]. Il s’agit d’un contrôle diffus, en ce sens qu’il appartient à toute juridiction nationale et ne peut pas être concentré à une seule juridiction. Il s’agit aussi d’un contrôle concret et obligatoire, qui assure l’effet direct et la suprématie du droit européen. Il s’exerce par voie d’exception et, le cas échéant, même d’office[21]. Il ne conduit pas à l’annulation mais seulement à l’écartement de l’application dans le cas d’espèce de la norme incompatible avec le droit de l’Union. Dans le cadre de ce système de contrôle déconcentré, l’application uniforme du droit et, par conséquent, la sécurité juridique sont assurées par le biais du renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice, consacré par l’article 267 TFUE. Qui plus est, ce système diffus de contrôle d’unionité des normes nationales ne vise pas à assurer le droit de protection juridictionnelle consacré par les différentes constitutions nationales. Il vise à garantir la protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit de l’Union, qui constitue un principe général dudit droit et a été réaffirmé par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[22].

Ce contentieux européen de la fondamentalité des normes nationales rivalise avec les différents systèmes nationaux de contrôle de constitutionnalité des lois, qui oscillent entre deux paradigmes extrêmes: le paradigme français avant la révision de 2008 et le paradigme grec.

Le premier paradigme suit la rigueur théorique du modèle kelsenien, tout en évoquant la sacralisation de la loi, expression de la volonté générale. Il s’agit d’un contrôle concentré (seul le Conseil constitutionnel est compétent pour l’exercer), abstrait, a priori (la loi n’est pas encore promulguée) et direct (la loi est directement attaquée et ses dispositions peuvent être censurées).

Le deuxième paradigme, celui de la Grèce, dégage une approche pragmatique, inspirée du modèle américain. Il s’agit d’un contrôle diffus (tous les juges sont compétents pour l’exercer), concret (le contrôle est effectué dans le cadre d’un litige précis), a posteriori (la loi contrôlée a déjà été mis en vigueur), effectuée même d’office par voie d’exception (la loi elle-même n’est pas attaquée et ne peut pas être annulée, mais seulement écartée dans ce cas concret). Ce système est consacré par l’article 93 par. 4 de la Constitution grecque entérinant une longue tradition constitutionnelle, datant du 19ème siècle[23]. Il fait prévaloir l’état de droit sur la rationalisation du processus législatif et la sécurité juridique. Au nom de cette dernière est pourtant créée par l’article 100 par. 1 de la Constitution grecque, une Cour spéciale suprême, une sorte de Tribunal des conflits constitutionnels de fond, chargée du règlement des contradictions de la jurisprudence des cours suprêmes nationales.

Ces dernières années, les deux paradigmes susmentionnés ont bien connu l’influence du droit de l’Union européen. D’une part, la révision de la Constitution française en 2008 a introduit l’exception d’inconstitutionnalité. À cet égard, l’institution de la question prioritaire de constitutionnalité par la loi organique du 10 décembre 2009 a fait émerger les tensions entre le système de contrôle d’unionité des lois et tout mécanisme de concentration du contrôle de leur constitutionnalité. D’autre part, bien qu’en principe le système grec de contrôle de constitutionnalité des lois s’aligne quasi parfaitement au système de contrôle de leur unionité, l’exigence de garantir une protection juridictionnelle effective des droits européens a fait apparaître une lacune importante dans la protection des citoyens: l’absence de recours direct contre des mesures législatives individuelles que le législateur a voulu mettre à l’abri de la censure du juge en les dispensant de mesures d’application.

L’étude de ces tendances opposées dans l’évolution de deux systèmes paradigmatiques de contrôle de constitutionnalité des lois en Europe offre l’occasion d’analyser le processus par lequel le droit de l’Union influence l’organisation du contrôle de constitutionnalité des lois par le juge national.

À cet égard, il convient de signaler que le droit de l’Union ne s’intéresse pas à imposer un système commun de contrôle de constitutionnalité des lois. D’ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour de justice, le traité «n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales […] des voies de droit autres que celles établies par le droit national»[24]. Il s’agit d’une neutralité assimilable à la neutralité par principe respective de la Convention européenne de la sauvegarde des droits de l’homme en la matière[25]. Or, la neutralité du droit de l’Union recule lorsque le système de contrôle de constitutionnalité mis en place par un Etat membre met en cause le double objectif du nouveau contentieux de la fondamentalité établi par l’ordre juridique de l’Union: d’une part, l’objectif de garantir l’efficacité du système diffus de contrôle d’unionité des normes nationales, qui est conditionné par la possibilité d’accès libre et direct au mécanisme du renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice de tout juge national saisi d’une affaire mettant en question l’unionité d’une norme nationale, y compris une loi[26], et par le fait que la mise en œuvre de ce contrôle d’unionité n’a pas nécessairement à attendre l’aboutissement du contrôle de leur constitutionnalité[27] ; d’autre part, l’objectif de garantir l’effectivité de la protection juridictionnelle des droits émanant du droit de l’Union. En vue de la satisfaction de ces deux objectifs, le droit de l’Union favorise la déconcentration du contrôle de constitutionnalité des lois (A), exclut sa priorité obligatoire à l’égard du contrôle de leur unionité (B) et pourrait conduire même à l’institution d’un recours constitutionnel direct (C).

A. La déconcentration du contrôle

Le droit de l’Union n’interdit pas l’existence d’un système concentré de contrôle de constitutionnalité des lois. Il favorise pourtant la déconcentration dudit contrôle, laquelle s’aligne au caractère nécessairement diffus du contrôle d’unionité des lois[28]. Dès lors, il est à suggérer que le droit de l’Union incite les États membres à introduire ou à maintenir l’exception d’inconstitutionnalité des lois, tout en rendant moins attrayante l’introduction des mécanismes de concentration du contrôle juridictionnel de leur constitutionnalité.

La révision des articles 61-1 et 62 de la Constitution française en juillet 2008 constitue un exemple éloquent de l’influence officieuse du droit de l’Union européenne sur le droit national des États membres et, plus particulièrement, de l’effet dit attractif de l’exception d’inconventionnalité sur le système de contrôle de constitutionnalité des lois. Comme l’indique clairement le commentaire de la décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 sur la «Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution» dans les Cahiers du Conseil constitutionnel[29], «…la création d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori vise à replacer la Constitution au sommet de l’ordre juridique français. Il est en effet apparu anormal que tous les juges puissent écarter une loi nationale pour un motif d’inconventionnalité alors que le respect de la Constitution ne pouvait être invoqué devant eux.»[30].

En Grèce, le droit de l’Union européenne semble favoriser le maintien du système traditionnel de contrôle diffus et incident de la constitutionnalité des lois et met en cause l’effet utile des différentes tendances de concentration dudit contrôle. Une telle tendance constitue le nouveau paragraphe à la fin de l’article 100 de la Constitution grecque, qui est introduit par la révision constitutionnelle de 2001 et prévoit l’obligation de saisir l’assemblée plénière du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes, lorsque une section contentieuse de ces hautes juridictions juge inconstitutionnelle une disposition législative[31]. Pour éviter donc cette obligation les sections contentieuses –notamment du Conseil d’État– substitue le contrôle de constitutionnalité par le contrôle de conventionnalité des lois.

Par ailleurs, la déconcentration du contrôle juridictionnel des lois, favorisé par le droit de l’Union, aboutit à la mise en question de la prédominance des cours constitutionnelles dans les ordres juridiques qui prévoient l’existence d’une telle cour. À cet égard, il convient de noter que la Cour de justice a jugé, entre autres, qu’une juridiction nationale, telle que la juridiction de renvoi, a l’obligation de la saisir d’office d’une demande de décision préjudicielle alors même qu’elle statue sur renvoi après la cassation de sa première décision par la juridiction constitutionnelle de l’État membre concerné et qu’une règle nationale lui impose de trancher le litige en suivant la position juridique exprimée par cette dernière juridiction[32].

Cette jurisprudence met davantage en cause la force obligatoire des décisions des cours constitutionnelles à l’égard des tribunaux ordinaires, qui se voient, d’ailleurs, avoir également la possibilité de substituer, le cas échéant, le contrôle de constitutionnalité par le contrôle d’unionité. Ceci étant, dans l’étape actuelle de l’évolution des rapports entre le droit de l’Union et le droit national, une cour constitutionnelle a vraiment du mal à faire face à la concurrence de la Cour de justice et des tribunaux ordinaires nationaux. De toute façon, des tensions institutionnelles importantes apparaissent. On a pu le constater surtout à l’occasion des conflits, en France, entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel dans les affaires Melki et Abdeli[33], qui ont abouti à relativiser l’ampleur de l’institution de la question prioritaire de constitutionnalité, et, en Tchéquie, dans l’affaire Landtová[34], entre la Haute juridiction administrative et la Cour constitutionnelle, qui est devenue le premier tribunal national en Europe qui, par son arrêt du 31 janvier 2012, a refusé de se conformer à un arrêt de la Cour de justice, en faisant prévaloir l’identité constitutionnelle de son pays.

Pour ne pas donc s’isoler dans le nouveau contexte institutionnel, les cours constitutionnelles ont cherché à établir un dialogue direct avec la Cour de justice, en dépassant progressivement la stricte distinction entre le contentieux de constitutionnalité, censé être monopolisé par elles, et le contentieux de conventionalité, censé revenir aux seuls tribunaux ordinaires[35]. Dès lors, après les cours constitutionnelles autrichienne et belge, la Cour de justice a été saisie, pour la première fois, en 2008 par la Cour constitutionnelle italienne[36], en 2011 par la Cour constitutionnelle espagnole[37], en 2013 par le Conseil constitutionnel français[38] et en 2014 par la Cour constitutionnelle allemande[39].

B. L’exclusion de la priorité obligatoire du contrôle

Le droit de l’Union européenne interdit toute règle générale qui obligerait le juge national d’examiner par priorité exclusive la question de constitutionnalité par rapport à la question de conventionnalité des lois nationales. Une articulation dans le temps des deux questions n’est acceptée que lorsqu’elle constitue le libre choix du juge national compte tenu des circonstances du cas d’espèce. C’est ce qui découle clairement de la jurisprudence constante de la Cour de justice reprise et reformulée dans son arrêt Melki et Abdeli: «afin d’assurer la primauté du droit de l’Union, le fonctionnement dudit système de coopération nécessite que le juge national soit libre de saisir, à tout moment de la procédure qu’il juge approprié, et même à l’issue d’une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de justice de toute question préjudicielle qu’il juge nécessaire»[40].

Ainsi, s’agissant de sa compatibilité avec le droit de l’Union, la question prioritaire de constitutionnalité introduite en droit français par la loi organique du 10 décembre 2009 est entachée d’un «vice de fabrication initial et indélébile»[41]. Du moment où son objectif est la  restitution de la Constitution nationale au sommet de l’ordre juridique français[42], la question prioritaire de constitutionnalité a été vouée à être en conflit avec le principe de primauté du droit de l’Union européenne, quitte à perdre en fait sa raison d’être.

Comme l’a souligné la Cour de justice dans son arrêt Melki et Abdeli précité, en se fondant sur l’interprétation du droit français positif donné par la Cour de cassation, «l’article 267 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère prioritaire de cette procédure a pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur ladite question, toutes les autres juridictions nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation de saisir la Cour de questions préjudicielles»[43]. Cela étant, pour sauver l’unionité de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, par leurs décisions respectives des 12 et 14 mai 2010[44], postérieures à la transmission des décisions de renvoi de la Cour de cassation à la Cour de justice, ont considéré qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, mais aux juridictions administratives et judiciaires d’examiner la conformité d’une loi nationale au droit de l’Union européenne, d’appliquer elles-mêmes et selon leur propre appréciation le droit de l’Union européenne ainsi que de poser, simultanément ou postérieurement à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, des questions préjudicielles à la Cour de justice. Cette affaire a donné à cette dernière l’occasion de relativiser la règle de l’immédiateté du droit de l’Union européenne et de constater que l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à la question prioritaire de constitutionnalité introduite en France, pour autant que les juridictions nationales autres que le Conseil constitutionnel restent libres: a) de saisir, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de justice de toute question préjudicielle qu’elles jugent nécessaire, b) d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne, et c) de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union européenne[45].

Or, même cette approche quelque peu révisionniste de l’immédiateté du droit de l’Union européenne pourrait difficilement rétablir l’unionité absolue de la question prioritaire de constitutionnalité. D’ailleurs, admettre que la législation française a le sens préconisé par les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État et respecte toutes les conditions posées par la Cour de justice[46] constitue une interprétation neutralisante qui atténue assez largement le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité dans les litiges relevant du droit de l’Union européenne. D’ailleurs, les limites du compromis effectué entre le droit de l’Union et le droit français ont été relevées à propos des questions du sort spécifique aux lois de transposition des directives européennes impératives[47] et de l’obligation de prévoir, auprès du Conseil d’État et de la Cour de cassation, des mesures provisoires ou conservatoires propres à assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’Union européenne[48].

C. L’institution d’un recours constitutionnel direct

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, résumée dans l’arrêt Unibet précité, pour garantir la protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, celui-ci a encadré la plupart des modalités du droit du contentieux national,  tous les aspects de celui-ci étant susceptibles d’être soumis au contrôle du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, y compris les aspects qui concernent la procédure du contrôle de constitutionnalité. Sur ce plan, il se pourrait même qu’à titre exceptionnel le droit de l’Union incite un État membre à introduire ou à ‘tolérer’ un contrôle direct de constitutionnalité des lois, même si l’ordre juridique national en cause n’en prévoit pas.

Plus précisément, dans l’arrêt Unibet, la Cour de justice a jugé que «le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu’il ne requiert pas, dans l’ordre juridique d’un État membre, l’existence d’un recours autonome tendant, à titre principal, à examiner la conformité de dispositions nationales avec [le droit communautaire], dès lors que d’autres voies de droit effectives, qui ne sont pas moins favorables que celles régissant les actions nationales similaires, permettent d’apprécier de manière incidente une telle conformité, ce qu’il appartient au juge national de vérifier »[49]. À cet égard, il a été pourtant précisé que si l’intéressé «était contraint de s’exposer à des procédures administratives ou pénales à son encontre et aux sanctions qui peuvent en découler, comme seule voie de droit pour contester la conformité des dispositions nationales en cause avec le droit communautaire, cela ne suffirait pas pour lui assurer une telle protection juridictionnelle effective»[50]. La Cour de justice n’a pas précisé quelles seraient les conséquences dans ce dernier cas. Il en résulte a contrario qu’exceptionnellement il se pourrait que le droit de l’Union impose aux États membres d’instaurer, par le biais même d’une harmonisation négative, un recours autonome tendant, à titre principal, à examiner la conformité des dispositions nationales audit droit. Cette éventualité se met en concert avec une tendance analogue de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans son arrêt Vallianatos e. a. c. Grèce[51], a laissé entendre que seul un recours direct pourrait assurer un contrôle juridictionnel effectif des lois nationales qui, ayant des effets directs et durables, peuvent entraîner une violation continue des droits garanties par la Convention[52].

Les développements de cette première partie ont démontré que le droit de l’Union influence l’organisation du contrôle de constitutionnalité des lois dans un sens que celui-ci qui ressemble plutôt au paradigme grec qu’au paradigme français avant la révision de 2008 et, en tout état de cause, perd sa priorité obligatoire. La promotion de la déconcentration de principe du contrôle de constitutionnalité des lois et de la nécessité exceptionnelle d’un contrôle direct des celles-ci dénote le passage du modèle kelsénien, qui met l’accent sur la sécurité juridique et la cohérence de l’ordre juridique, au modèle d’un contrôle diffus et incident, qui fait prévaloir la protection juridictionnelle effective des administrés. Ainsi, malgré son caractère bouleversant, il faut admettre que l’influence du droit de l’Union sur l’organisation du contrôle de constitutionnalité des lois renforce les garanties de l’État de droit.

II. L’influence sur la délimitation du contrôle

Le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois n’a pas toujours eu que des amis. Son acceptation –dont l’évidence est mise en cause par sa réfutation aux Pays-Bas– est suivie par une méfiance profonde liée à la difficile légitimation de l’invalidation de la volonté du législateur et au soi-disant spectre du gouvernement des juges. C’est pourquoi, selon l’opinion dominante, le contrôle de constitutionnalité des lois ne peut pas –et ne doit pas– évoluer au même degré que le contrôle de légalité des actes administratifs, au motif que le pouvoir législatif est censé ne pas être soumis à des contraintes assimilables à celles qui pèsent sur l’administration publique et que le rapport entre la loi et la Constitution n’est pas assimilable au rapport entre l’acte administratif et la loi.

Ainsi, en droit national, il y a une tendance générale de délimitation du contrôle de constitutionnalité des lois qui s’appuie sur les trois paramètres institutionnels suivants:

Premièrement, ce contrôle est conditionné par l’attribution d’un pouvoir décisionnel primaire au législateur national[53], qui est considérée comme un sujet exprimant la volonté générale tout en jouissant d’une liberté politique.

Deuxièmement, le contrôle de constitutionnalité des lois connaît des limites émanant de la lettre des constitutions nationales ou de la doctrine constitutionnelle. C’est le cas, par exemple, de la soi-disant présomption de constitutionnalité de la loi, selon laquelle l’inconstitutionnalité présuppose la violation claire de la Constitution[54], et de la limitation (en France) –voire de l’exclusion (en Grèce[55])– du contrôle de la procédure législative.

Troisièmement, le contrôle de constitutionnalité des lois est limité par l’attribution au juge national d’un rôle institutionnel secondaire, encadré surtout par les théories de l’autolimitation (judicial self-restraint) et des questions politiques (political questions doctrine), qui ont été, en premier, développées dans la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis.

Or, aucun de ces trois paramètres institutionnels n’a su résister à l’évolution du contentieux constitutionnel et à l’approfondissement consécutif de l’Etat de droit.

Suite à l’encadrement progressif de son activité, le législateur national est désormais considéré comme attributaire plutôt d’une compétence –en principe, d’un pouvoir discrétionnaire– que d’une quelconque liberté.

En outre, ni les règles constitutionnelles ni la présomption de constitutionnalité des lois n’ont abouti à un critère méthodologique fiable s’agissant de la distinction entre le pouvoir politique et le pouvoir juridictionnel.

Qui plus est, aujourd’hui, personne ne peut dénier le rôle créatif du juge constitutionnel, qui surdétermine le sens aussi bien de la loi contrôlée que de la Constitution.

Cela étant, les limites traditionnelles du contrôle de constitutionnalité des lois sont ouvertes à une renégociation continue, dans le cadre de laquelle évolue l’influence du droit de l’Union sur ledit contrôle.

Effectivement, l’équilibre institutionnel entre les fonctions étatiques a été bouleversé par la primauté du droit de l’Union à l’égard du droit national, par la mise en cause de la répartition des compétences entre les organes étatiques dans le cadre de l’obligation de coopération loyale et de la responsabilité unique de chaque Etat membre à l’égard de l’Union et par la valorisation du juge national en tant que précurseur de l’application effective du droit de l’Union dans l’ordre juridique national. Sur ce plan, le droit de l’Union crée les conditions d’une nouvelle délimitation institutionnelle du contrôle de constitutionnalité des lois, surtout car, primo, il attribue un rôle secondaire au législateur national, en surdéterminant ses compétences et en lui attribuant le rôle d’un organe d’exécution des exigences de l’Union (A) ; secundo, il promeut le changement des limites du contrôle de constitutionnalité des lois, en contribuant à l’extension de son domaine et même au dépassement de son caractère obligatoire (B) ; tertio, il attribue au juge national un rôle primaire, en l’érigeant en interlocuteur privilégié de l’Union et garant de l’interprétation du droit national conformément au droit de l’Union (C).

A. L’attribution au législateur national d’un rôle secondaire

La compétence normative de l’Union se substitue à celle du législateur national, qui voit son champ d’action se rétrécir et son pouvoir être sensiblement limité même dans les domaines de ses compétences exclusives. Lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé, le législateur national ne peut légiférer que s’il est habilité par l’Union, ou pour mettre en œuvre les actes de celle-ci[56]. Par ailleurs, dans le cadre des compétences partagées[57], l’action du législateur national recule devant celle des organes de l’Union, sous le prisme du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité[58]. D’ailleurs, en vertu des principes de l’effet immédiat et de la primauté, le droit de l’Union met à l’écart les lois nationales qui lui sont opposées[59]. De plus, le législateur national est obligé de ne pas porter atteinte à l’effet utile du droit de l’Union même lorsqu’il exerce ses compétences exclusives[60].

Autant les compétences de l’Union s’étendent, autant les marges d’action du législateur national sont limitées. Celui-ci perd le pouvoir décisionnel primaire et l’initiative politique qui lui sont propres dans le cadre de l’ordre juridique national. Plus précisément, en vertu du principe de la coopération loyale (art. 4 par. 3 TUE) et de l’obligation spécifique des États membres de prendre toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union (art. 291 par. 1 TFUE), le législateur national, comme toutes les autres autorités nationales, devient un organe d’exécution des règles de droit de l’Union. Et cela ne peut que remettre en cause la perception traditionnelle selon laquelle le législateur national est tributaire d’une liberté politique inconditionnée. Qui plus est, le droit de l’Union peut instituer même une compétence liée du législateur national, en matière soit de transposition d’une directive[61] soit d’exécution d’un arrêt de la Cour de justice[62]. Enfin, en cas de circonstances exceptionnelles, la satisfaction des exigences de l’Union peut arriver même à suggérer –voire imposer– au législateur national un programme d’action, tel que le programme conditionnant l’assistance financière en vertu de l’article 136 par. 3 TFUE. Ces dernières années, l’expérience de la gestion de la crise de dette souveraine de certains États membres de la zone euro a montré que de tels programmes sont susceptibles d’anéantir dans les faits le pouvoir des parlements nationaux, qui se voient privés de la possibilité réelle de choisir le contenu de leurs initiatives législatives et le moment propice pour y procéder.

B. Le changement des limites du contrôle

L’obligation des autorités nationales de respecter les exigences du droit de l’Union peut contribuer, à titre officiel ou officieux, à l’extension des champs du contrôle de constitutionnalité des lois, tout en permettant ou même en imposant au juge national de dépasser le caractère obligatoire dudit contrôle.

Le droit de l’Union promeut le contrôle juridictionnel de la procédure législative. Dans le cadre de l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, la Cour de justice a exigé qu’en cas des projets adoptés en détail par un acte législatif spécifique, il existe un contrôle juridictionnel effectif de la compatibilité de la procédure législative avec les objectifs de la directive 85/337/CEE[63].

Toujours dans le domaine du droit de l’environnement, le droit de l’Union impose également le contrôle des motifs du moins des actes législatifs contenant des mesures individuelles. Il a été jugé que l’article 6, par. 9, de la convention d’Aarhus et l’article 9, par. 1, de la directive 85/337 doivent être interprétés en ce sens qu’ils exigent que toute personne intéressée doit avoir accès aux motifs d’un acte législatif par lequel un Etat membre a décidé de ne pas soumettre à évaluation un projet[64].

Par ailleurs, en matière d’application du principe de proportionnalité, la Cour de justice a admis qu’une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique[65], ce que le juge national doit contrôler en tenant compte, entre autres, des détails de l’application de cette législation[66]. Cette jurisprudence a évolué notamment dans le domaine de la réglementation des jeux de hasard[67] et appelle le juge national à examiner si la politique générale d’un Etat membre est contradictoire, autrement dit si l’on peut mettre en question la « sincérité » du législateur nationale (test d’hypocrisie)[68]. Il paraît que cette jurisprudence favorise le contrôle de proportionnalité des mesures législatives nationale à travers une méthode qui pousse ce contrôle à s’intéresser même à la question de savoir si le législateur national a commis un détournement de pouvoir.

En outre, la Cour de justice admet que le maintien inchangé, dans la législation d’un État membre, d’un texte incompatible avec une disposition du droit communautaire, peut constituer un manquement aux obligations qui incombent à cet Etat en vertu du traité[69]. En même temps, selon le droit de l’Union, l’omission d’adopter ou de révoquer une disposition législative peut constituer une violation du devoir de coopération loyale (art. 4 par. 3 TUE) et entraîner l’engagement de la responsabilité d’une Etat membre à l’égard aussi bien de l’Union que des citoyens de celle-ci. En familiarisant ainsi le juge national avec le contrôle des omissions législatives, le droit de l’Union relativise une série de perceptions traditionnelles du droit national, parmi lesquelles figurent notamment la considération qu’un tel contrôle est incompatible avec le principe de séparation des pouvoirs ainsi que la perception qu’on ne peut pas admettre la justiciabilité des droits sociaux.

Parallèlement, il est à rappeler que le droit de l’Union a étendu le contrôle juridictionnel de l’activité des autorités étatiques dans des domaines imprégnés par un intérêt politique important où le droit national exclut ce contrôle en invoquant la théorie des actes de gouvernement[70]. Cela démythifie davantage les théories précitées de l’autolimitation (judicial self-restraint) et des questions politiques (political questions doctrine), par lesquelles la doctrine constitutionnelle a essayé de limiter le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois.

Enfin, le droit de l’Union met en question le caractère obligatoire du contrôle de constitutionnalité des lois. Etant donné que le droit de l’Union exclut la priorité obligatoire du contrôle de constitutionnalité, si les deux questions, celle de constitutionnalité d’une loi et celle de son unionité, sont soulevées en même temps dans la même affaire, le juge national peut substituer l’examen de la première par l’examen de la seconde. Par ailleurs, le droit de l’Union peut même priver, en pratique, le juge national de toute compétence en matière de contrôle de constitutionnalité de lois. Il en va ainsi lorsque, avant que le juge constitutionnel soit saisi, la Cour de justice a jugé qu’une loi nationale est incompatible avec le droit de l’Union[71] ou lorsqu’il s’agit d’une loi de transposition du droit dérivé de l’Union qui n’a laissé aucun pouvoir discrétionnaire au législateur national, cas envisagé dans le cadre de l’arrêt M. Kamel D. précité du Conseil constitutionnel français.

C. L’attribution au juge national d’un rôle primaire

En vertu du principe de primauté du droit de l’Union, les autorités nationales et, notamment, les juridictions nationales sont obligées de donner à la loi interne qu’elles doivent appliquer, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union[72]. Si une telle interprétation n’est pas possible, la juridiction nationale a l’obligation d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale dans la mesure où son application, dans les circonstances de l’espèce, aboutirait à un résultat contraire au droit de l’Union[73]. Il s’agit de ce qu’on a pu appeler harmonisation négative, laquelle impose aux juridictions nationales une obligation non seulement d’abstention mais aussi d’adaptation créative du droit national aux exigences du droit de l’Union, au besoin, assistée par le dialogue que ces juridictions peuvent ou doivent établir avec la Cour de justice.

L’obligation d’interpréter le droit national conformément au droit de l’Union a renforcé le rôle institutionnel du juge national au détriment de celui du législateur national. Comme l’a souligné l’avocat général Léger dans ses conclusions dans l’affaire C-224/01, Köbler, «si le juge national, comme tout organe d’un État membre, est tenu d’appliquer le droit communautaire, sa mission est «d’autant plus cruciale que, ‘face au stade ultime de l’exécution de la règle’, il est le garant du respect de celle-ci». Sa position est d’autant plus «stratégique» qu’il lui appartient d’apprécier l’articulation de son droit interne avec le droit communautaire et d’en tirer les conséquences qui s’imposent. Ainsi, il n’est plus nécessairement, comme pouvait le dire autrefois Montesquieu, «la bouche de la loi». Bien au contraire, il est tenu de porter un regard critique sur son droit interne afin de s’assurer, avant de l’appliquer, de sa conformité au droit communautaire. …[La jurisprudence de la Cour] a largement contribué à valoriser l’office du juge, à renforcer son autorité au sein de l’État, au prix, dans certains systèmes juridiques nationaux, d’évolutions d’ordre constitutionnel»[74].

Effectivement, la nouvelle délimitation du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois sous l’influence du droit de l’Union promeut indubitablement le développement et l’approfondissement de l’Etat de droit, notamment à travers l’intensification et l’élargissement des champs possibles du contrôle juridictionnel des lois. Outre les modifications qu’imposent au droit national l’application immédiate et obligatoire du droit de l’Union, l’expérience même de cette application devient, pour les autorités nationales et, surtout, pour le juge national, une source d’inspiration pour procéder à de divers ajustements volontaires du droit national, même en dehors du champ d’application du droit de l’Union. Or, l’influence de ce droit secoue la structure constitutionnelle des Etats membres, dans la mesure où elle bouleverse l’équilibre institutionnel entre les organes étatiques. Ce bouleversement risque de devenir un facteur de déstabilisation –voire de déréglementation– constitutionnelle, si l’on ne réussit pas à assurer une structure constitutionnelle d’ensemble cohérente, capable d’intégrer efficacement tous les règles fondamentales, nationales ou européennes, qui coexistent dans l’ordre juridique national.

III. L’influence sur la fonction du contrôle

En droit national, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitue une expression du principe de la rigidité de la Constitution nationale et une affirmation de la place de la Constitution au sommet de la hiérarchie des règles de droit, en vue d’assurer la cohérence de l’ordre juridique national[75]. Toutefois, le droit de l’Union, qui prime même sur les règles constitutionnelles nationales, remet désormais en cause l’idée de la primauté de la Constitution nationale à l’égard des règles de droit applicables dans l’ordre juridique national, à savoir les règles qui proviennent du droit de l’Union. Or, l’échec de la constitutionnalisation formelle de l’Union et la survivance des ordres juridiques nationaux ont, en même temps, relativisé la dynamique de la primauté du droit de l’Union. Ceci étant, tant les cours constitutionnelles et suprêmes nationales que la Cour de justice semblent essayer de se familiariser avec un modèle constitutionnel, qui selon l’expression du professeur Mireille Delmas–Marty, reflète «un pluralisme ordonné» : un pluralisme des ordres juridiques nationaux intégrés dans l’ordre juridique de l’Union, les valeurs nationales propres à chaque État membre visant à marquer une certaine limite à cette intégration.

Sous le prisme de ce pluralisme constitutionnel, le contrôle de constitutionnalité change de fonction, devient plus complexe (A) et recherche directement –souvent sans succès– à assurer la cohérence des différentes règles de droit, nationales et européennes, applicables dans l’ordre juridique national (B). Dès lors, le contrôle de constitutionnalité des lois devient le champ privilégié de l’apparition des différentes vicissitudes de la gestion jurisprudentielle des rapports entre les droits européen et national (C).

A. La complexité du contrôle sous le prisme du pluralisme constitutionnel

Le pluralisme constitutionnel est marqué par le fait que «la Constitution nationale s’en va» sans qu’une nouvelle structure constitutionnelle solide prenne sa place. Dans le cadre de la géométrie variable qui s’émerge, la fonction traditionnelle du contrôle de constitutionnalité change. Au lieu d’affirmer la primauté ébranlée de la Constitution nationale, ce contrôle vise désormais directement à assurer l’unité de l’ordre juridique national, en tant que seule garantie possible de son autonomie relative. Car, étant donné que, dans l’ordre juridique national, ne s’applique plus un droit unique intégré dans la seule pyramide au sommet de laquelle se trouve la Constitution nationale, mais un ensemble de règles de droit d’origines et de légitimités diverses, nationale et/ou européennes, l’unité de l’ordre juridique national est désormais conditionnée moins par la garantie de la primauté de la Constitution nationale que par la sauvegarde de la cohérence de cet ensemble de règles de droit.

Cette nouvelle fonction rend le contrôle de constitutionnalité fortement complexe. La complexité est nourrie aussi bien par la concurrence que par l’osmose entre ce contrôle et le contrôle d’unionité. Dans le cas de la concurrence, on l’a bien constaté, le contrôle d’unionité peut mettre à l’écart, substituer ou même interdire, de facto, le contrôle de constitutionnalité des lois, tandis que le juge constitutionnel peut, pour sa part, renoncer à jouer son rôle de juge de droit commun du droit de l’Union. Dans le cas de l’osmose, les contrôles coexistent, interagissent et se complètent à géométrie variable. Ainsi, dans tous les deux cas, il n’est facile d’assurer la cohérence et la systématicité ni du droit applicable dans l’ordre juridique national ni de la gestion jurisprudentielle des rapports entre les droits européen et national.

B. La cohérence introuvée du droit applicable dans l’ordre juridique national

Le juge national a du mal à assurer la cohérence du droit applicable dans l’ordre juridique national, car le droit de l’Union n’a jamais cessé de déconstruire cet ordre.

Du point de vue matériel, c’est-à-dire en ce qui concerne le contenu des règles fondamentales, les deux facteurs principaux de désordre sont la survivance des discriminations à rebours et l’encadrement par le droit de l’Union de l’identité constitutionnelle des Etats membres.

D’un côté, la Cour de justice a, certes, rétrécit le champ des situations purement internes[76] et a permit[77] –voire suggéré[78]– d’éviter les discriminations à rebours au sein de l’ordre juridique national. Or, elle n’a jamais abandonné le concept de situation purement interne et continue à admettre que « les éventuelles discriminations dont les ressortissants d’un État membre peuvent faire l’objet au regard du droit de cet État relèvent du champ d’application de ce droit, en sorte qu’elles doivent être résolues dans le cadre du système juridique interne dudit État »[79].

De l’autre côté, le droit de l’Union a beau respecter l’identité constitutionnelle des Etats membres, la Cour de justice ne la laisse pas échappée du contrôle de compatibilité avec les exigences de l’Union[80].

Du point de vue processuel, un facteur important d’incohérence du droit applicable dans l’ordre juridique national constitue l’encadrement par le droit de l’Union des effets des décisions du juge constitutionnel.

D’une part, la Cour de justice a relativisé la force obligatoire de ces décisions. Ainsi, elle a considéré que les règles nationales consacrant l’autorité de la chose jugée doivent être écartées par le juge national si elles font obstacle à l’effectivité du droit de l’Union[81]. En outre, dans l’arrêt Križan précité, la Cour a dit pour droit que les juridictions ordinaires d’un Etat membre ne sont pas liés par des interprétations portées en droit par la cour constitutionnelle du même Etat, si elles estiment que ces interprétations ne sont pas conformes au droit de l’Union.

D’autre part, la Cour de justice a encadré la modulation dans le temps des effets des décisions des cours constitutionnelles. Plus précisément, la Cour de justice a admis que «la primauté du droit communautaire impose au juge national d’appliquer le droit communautaire et de laisser inappliquées les dispositions nationales contraires, indépendamment de l’arrêt de la juridiction constitutionnelle nationale qui a décidé l’ajournement de la perte de force obligatoire des mêmes dispositions, jugées inconstitutionnelles.»[82]. Si la Cour de justice semble ne pas avoir exclu que l’éviction de la loi contraire au droit de l’Union puisse être différée dans le temps, ce n’est toutefois que sous certaines conditions strictes[83], telle l’existence des «considérations impérieuses de sécurité juridique»[84].

En effet, le principe de primauté du droit de l’Union ne permet pas d’assurer la cohérence du droit applicable dans l’ordre juridique national, car, faute d’une constitution européenne proprement dite, ce principe sape l’intégration complète au sein de l’ordre juridique national de toutes les règles fondamentales applicables, aussi bien nationales qu’européennes. La cohérence du droit de l’Union semble toujours l’emporter sur celle de l’ordre juridique national, car, selon la jurisprudence constante de la Cour de justice, «il ne saurait en effet être admis que des règles de droit national, fussent-elles d’ordre constitutionnel, portent atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union»[85].

C. Les vicissitudes de la gestion jurisprudentielle des rapports entre les droits européen et national

Dans le cadre de la complexité du pluralisme constitutionnel, le juge national, appelé à gérer les rapports entre les droits européen et national, fait face à la volatilité constante de l’osmose des ordres juridiques européen et national, qui est accentuée, ces dernières années, surtout à cause de la crise économique et financière. Le plus grand défi pour le juge national est de pouvoir intégrer, de la façon la plus convaincante, aussi bien dans l’ordre juridique national que dans l’ordre juridique de l’Union, ses décisions, qui peuvent être plus ou moins réceptives à la jurisprudence de la Cour de justice sur la primauté absolue du droit de l’Union[86]. Faute de critères formels de réussite d’une telle intégration, la jurisprudence nationale, influencée toujours par les conjonctures et les compromis économiques et politiques, présente un caractère fortement empirique. Le pluralisme constitutionnel devient ainsi une notion fonctionnelle, puisqu’en dernière analyse il n’aboutit pas à un certain équilibre entre les droits européen et national, mais traduit seulement l’effort du juge d’éviter –voire de faire semblant d’éviter– à tout prix les conflits directs entre ces droits, même si derrière chaque décision juridictionnelle se profile l’acceptation casuistique de la logique de la primauté, soit du droit national soit du droit de l’Union. Or, cela conduit à un pluralisme jurisprudentiel qui sape la crédibilité de l’œuvre jurisprudentielle en matière de gestion des rapports entre les droits européen et national. L’évolution des jurisprudences du Conseil d’Etat grec et de la Cour constitutionnelle allemande en offre deux exemples éloquents, d’autant plus qu’ils émanent  des deux représentants, les plus caractéristiques, de deux nouvelles catégories auxquelles se répartissent, dans le contexte actuel, les Etats membres de l’Union, à avoir les Etats-débiteurs et les Etats-créanciers.

Dans son arrêt n° 3242/2004, le Conseil d’Etat grec avait refusé un renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice pour ne pas exposer au contrôle de compatibilité avec le droit communautaire l’art. 14, par. 9, de la Constitution grecque instituant une incompatibilité absolue entre l’activité économique dans les médias et l’activité économique dans la commande publique. Or, à la suite de l’arrêt de la Cour de justice, du 16 décembre 2008, C-213/07, Michaniki, par son arrêt n° 3470/2011, le Conseil d’Etat a abandonné ce patriotisme constitutionnel et a opté pour une adaptation interprétative inconditionnée de l’art. 14, par. 9, de la Constitution grecque aux exigences du droit communautaire, telles que précisées par la Cour de justice. A l’appui de ce revirement spectaculaire quant à l’interprétation de la disposition constitutionnelle en cause, le Conseil d’Etat grec a même invoqué, pour la première fois, une obligation générale «d’harmoniser les dispositions constitutionnelles avec les règles de droit communautaire»[87]. On a pensé que sa jurisprudence se mettrait définitivement dans une orientation européenne irréversible. Toutefois, dans son arrêt n° 668/2012, le Conseil d’Etat grec s’est retourné vers une nouvelle version de patriotisme jurisprudentiel. Il a contrôlé la constitutionnalité de la loi mettant en œuvre les mesures du premier paquet d’aide financière à la Grèce de mai 2010, sans prendre le risque de renvoyer devant la Cour de justice la question de la validité de la décision n° 2010/320/UE du Conseil européen[88] dictant ces mesures. La préoccupation majeure du juge national de ne mettre aucunement en question la validité du mécanisme d’aide financier au pays l’a empiétée sur ses obligations découlant du droit de l’Union.

Or, dans les Etats-membres débiteurs, telle la Grèce, à la suite du recul des constitutions nationales à l’égard de la primauté du droit de l’Union, tout contrôle de constitutionnalité des mesures législatives votées en vue du redressement économique et financier des Etats membres en difficulté reste superflu. En tous cas, il reste essentiellement borné dans les étroites marges laissées aux autorités nationales par les décisions susmentionnées du Conseil européen. Ceci étant, du moment où le juge national passe outre son rôle de juge de droit commun du droit de l’Union et se contente d’un contrôle indolore de constitutionnalité des mesures prises pour juguler la crise financière, n’est suffisamment garantie ni la rigidité de la Constitution nationale ni celle du droit primaire de l’Union. En revanche, se propage une déréglementation constitutionnelle qui touche non seulement l’ordre juridique national mais aussi l’ordre juridique de l’Union.

D’autre part, suite à sa décision sur le traité de Lisbonne, la Cour constitutionnelle allemande a adopté une position conciliante entre la Loi fondamentale et le droit de l’Union, fondé sur la présomption d’équivalence de protection: c’était essentiellement le sens du concept d’Europarechtsfreundlichkeit. En 2014, dans l’affaire Gauweiler, la Cour constitutionnelle fédérale a même posé, pour la première fois, une question préjudicielle à la Cour de justice, dont la recevabilité n’a pas été réfutée par les juges de Kirchberg[89]. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que cette question préjudicielle ne visait pas à provoquer un contrôle d’unionité proprement dit, mais s’inscrivait sur le plan de la jurisprudence Honeywell de la Cour de Karlsruhe, qui met en œuvre un contrôle essentiellement incompatible avec le droit de l’Union, à savoir le contrôle de constitutionnalité de l’action des organes de l’Union ayant transgressé les traités européens (ultra vires) ou porté atteinte à l’identité constitutionnelle allemande[90].

Or, la soumission du droit de l’Union au contrôle de constitutionnalité par une cour constitutionnelle d’un Etat-créancier, telle l’Allemagne, dénote un recul important de l’acquis communautaire et un affaiblissement significatif du contrôle d’unionité, ce qui accentue le phénomène de déréglementation constitutionnelle susmentionné.

Conclusions

Bien que souvent subversive dans plusieurs de ses aspects, l’influence du droit de l’Union sur l’organisation et la délimitation du contrôle de constitutionnalité des lois promeut l’Etat de droit.

L’ordre juridique de l’Union, imprégné par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, fonctionne comme un champ de référence démocratique auquel le juge constitutionnel essaie d’intégrer – plus ou moins expressément– ses choix interprétatifs, en adoptant de nouvelles approches de la règle constitutionnelle nationale et en recherchant de nouvelles sources de légitimation.

Or, dans l’étape actuelle de l’évolution de l’intégration européenne, toute contribution du droit de l’Union à la promotion de l’Etat de droit ne peut pas couvrir les tremblements importants que ce droit provoque à la structure constitutionnelle de l’ordre juridique national et qui apparaissent surtout en matière de délimitation et de fonction du contrôle de constitutionnalité. Car, le droit de l’Union promeut l’Etat de droit sous le prisme de ses propres objectifs et conditions, au-delà des données constitutionnelles de l’ordre juridique national.

Toutefois, le droit de l’Union n’a pas su remplacé ces données par une structure constitutionnelle européenne, nouvelle et solide. Ainsi, évolue la géométrie variable du paradigme dominant du pluralisme constitutionnel, dont l’empirisme nourrit le phénomène de la déréglementation constitutionnelle.

En effet, il paraît que ce paradigme ne peut être conçu que comme une étape précaire, c’est-à-dire comme un pas suspendu du constitutionnalisme européen qui doit définitivement soit dépasser l’état constitutionnel national soit revenir en arrière.


[1] Voir O. Peiffert, « L’encadrement des règles constitutionnelles par le droit de l’Union européenne », Cahiers de droit européen 2011, p. 433 s.

[2] Voir, à titre indicatif, les arrêts du 17 décembre 1970, 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, point 3, et du 8 septembre 2010, C-409/06, Winner Wetten, point 61.

[3] Arrêt du 9 mars 2010, C-518/07, Commission c. Allemagne, points 38 s.

[4] Arrêt du 2 juillet 1996, C-473/93, Commission c. Luxembourg.

[5] Arrêt du 16 décembre 2008, C-213/07, Michaniki.

[6] Arrêt du 23 avril 2009, C-378 à 380/07, point 207.

[7] Arrêt du 16 février 2012, C- 182/10, Solvay e.a., points 53 s.

[8] Arrêt du 28 février 2012, C-41/11, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne, point 43.

[9] Arrêt du 26 janvier 2010, C-118/08, Transportes Urbanos et Servicios Generales SAL.

[10] Arrêt du 8 septembre 2010, C-409/06, Winner Wetten, précité.

[11] Voir C. Yannakopoulos, « L’influence du droit de l’Union européenne sur le système de contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois : les paradigmes français et grec », Revue française de droit constitutionnel 2012 (n° 91), p. 537 s. Voir aussi C. Yannakopoulos, L’influence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois (en grec), Editions Sakkoula, Athènes-Salonique, 2013.

[12] Arrêt du 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10.

[13] Arrêt du 9 mars 1978, 106/77.

[14] Arrêt du 27 juin 1991, C-348/89.

[15] Arrêt du 13 mars 2007, C-432/05.

[16] À cet égard, voir aussi A. Pliakos, « Le contrôle de constitutionnalité et le droit de l’Union européenne: la réaffirmation du principe de primauté », Cahiers de droit européen 2010, p. 487 et s.

[17] Voir O. Peiffert, op. cit, n° 25 s.

[18] Arrêt du 15 juillet 1964, 6/64.

[19] Les analyses de cette première partie s’appuient sur l’article C. Yannakopoulos, L’influence du droit de l’Union européenne sur le système de contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois : les paradigmes français et grec, op. cit.

[20] Point 21.

[21] Arrêts du 14 décembre 1995, C-312/93, Peterbroeck, et C-430 à 431/93, Van Schijndel et van Veen et du 7 juin 2007, C-222 à 225/05, van der Weerd.

[22] Voir, à titre indicatif, l’arrêt Unibet, précité, point 37.

[23] Voir l’arrêt n° 23/1897 de la Cour de cassation grecque.

[24] Arrêt du 7 juillet 1981, 158/80, Rewe, point 44.

[25] Voir les arrêts de la CEDH du 21 février 1986, James e.a. c. Royaume Uni (point 85), du 11 juin 2002, Willis c. Royaume Uni (point 62) et du 19 octobre 2005, Roche c. Royaume Uni (points 137 s.).

[26] Voir l’arrêt Melki et Abdeli, précité, points 41– 44.

[27] Cf. les arrêts du 19 novembre 2009, C‑314/08, Filipiak, et du 4 juin 2015, C‑5/14, Kernkraftwerke Lippe-Ems. Cf. aussi les arrêts du 10 septembre 2015, C-408/14, Wojciechowski, et du 1er octobre 2015, C-432/14, O.

[28] Voir F. Ferreres Comella, « The European model of constitutional review of legislation: Toward decentralisation? », International Journal of Constitutional Law 2004, p. 462 et s.

[29] Cahier n° 28.

[30] Voir aussi J. Bonnet, Le juge ordinaire français et le contrôle de la constitutionnalité des lois. Analyse critique d’un refus, Dalloz 2009, p. 520 et s.

[31] «5. Quand une Section du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes juge inconstitutionnelle une disposition d’une loi formelle, elle renvoie obligatoirement la question à l’assemblée plénière correspondante, sauf si cette question a été jugée par un arrêt antérieur de l’assemblée plénière ou de la Cour spéciale suprême de cet article. L’assemblée plénière est constituée en formation juridictionnelle et se prononce de manière définitive, ainsi qu’il est prévu par la loi. Cette réglementation s’applique aussi par analogie lors de l’élaboration des décrets réglementaires par le Conseil d’État.».

[32] Voir l’arrêt Križan précité, points 62–73.

[33] Voir l’arrêt du 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10, précité.

[34] Arrêt du 22 juin 2011, C-399/09.

[35] O. Peiffert, op. cit., p. 21 s.

[36] Corte costituzionale (Italie), ord. n° 103, 13 février 2008. La CJUE, en grande chambre, a répondu par l’arrêt du 17 novembre 2009, C-169/08, Presidente del Consiglio dei Ministri c/ Regione autonoma della Sardegna.

[37] Tribunal constitucional (Espagne), 9 juin 2011, ATC 86/2011, recours d’amparo n° 6922-2008, com. L. Burgorgue-Larsen in E. Saulnier-Cassia (dir.), Chronique « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Unioneuropéenne » RTD eur. 2012. 271. La CJUE a répondu par l’arrêt du 26 février 2013, C-399/11, Stefano Melloni c/ Ministerio Fiscal.

[38] Conseil constitutionnel, 4 avril 2013, n° 2013-314P QPC. La CJUE a répondu par l’arrêt du 30 mai 2013, C-168/13 PPU, Jeremy F. c/ Premier ministre.

[39] Voir l’arrêt du 14 janvier 2014, BVerfG, 2 BvR 2728/13 et les conclusions du 14 janvier 2015 de l’Avocat général Pedro Cruz Villalón (points 30 s.), dans l’affaire C-62/14, Gauweiler, dans laquelle est rendue l’arrêt du 16 juin 2015.

[40] Point 52.

[41] Voir E. Saulnier-Cassia, « Première lecture : Non ! La QPC est contraire au droit de l’Union ! », in A. Levade et E. Saulnier-Cassia, Dialogue contradictoire autour de l’arrêt de la Cour de justice : le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité est-il compatible avec le droit de l’Union ?, Constitutions 2010, p. 519 s.

[42] Voir la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2009, 2009-595 DC, RFDA 2010, n°1, p. 11, cons. n° 14.

[43] Point 57.

[44] Voir Conseil constitutionnel, 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, AJDA 2010, p. 1048; D. 2010. 1321, note A. Levade, Conseil d’Etat, 14 mai 2010, Rujovic, req. n° 312305, AJDA 2010, p. 1048; D. 2010, p. 1229, chron. P. Fombeur. Voir aussi G. Drago, Contentieux constitutionnel français, 3e édition, PUF 2011, n° 501.

[45] Voir l’arrêt du 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10, Melki et Abdeli, précité, point 57.

[46]

Voir A. Levade, « Seconde lecture : Oui ! La QPC est compatible avec le droit de l’Union ! », in A. Levade et E. Saulnier-Cassia, Dialogue contradictoire autour de l’arrêt de la Cour de justice : le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité est-il compatible avec le droit de l’Union ?, op.cit.

[47] Voir la décision du 17 décembre 2010, n° 2010-79 QPC, M. Kamel D. [Transposition d’une directive], JO du 19 décembre 2010, p. 22373, cons. n° 3, D. Simon, « Jurisprudence constitutionnelle », Europe 2011, comm. 98, B. Mathieu, « Jurisprudence relative à la Question prioritaire de constitutionnalité 4 novembre 2010 – 4 février 2011 », JCP G 2011, p. 192.

[48] Voir les arrêts de la Cour de cassation, ass. plén., 29 juin 2010, n° 10-40.001 et n° 10-40.002, Melki et Abdeli. Voir aussi G. Drago, Contentieux constitutionnel français, op.cit., n° 503.

[49] Point 65.

[50] Point 64.

[51] Voir l’arrêt de la Grande Chambre, du 7 novembre 2103, n° req. 29381/09 et 32684/09.

[52] Voir C. Yannakopoulos, « Entre ‘Simmenthal II’ et ‘Vallianatos e.a. c. Grèce’: le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois heurtant aux deux cours européennes » (en grec), in Mélanges en l’honneur de V. Skouris (en grec – sous presse).

[53] Voir R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Sirey 1920 et 1922, réédition Dalloz, 2004, t. Ι, p. 329.

[54] Voir le par. 14 du chapitre 11 de la Constitution suédoise et l’art. 106 de la Constitution de la Finlande.

[55] Voir les articles 87 et 100 de la Constitution grecque.

[56] Art. 2 par. 1 TFUE.

[57] Art. 2 par. 1 TFUE.

[58] Voir, à titre indicative, l’arrêt du 9 février 2006, C-226 et C-228/04, La Cascina, point 22.

[59] Voir, à titre indicative, l’arrêt Simmenthal, précité, point 21.

[60] Voir, à titre indicative, les arrêts du 19 janvier 2006, C-330/03, Colegio de Ingenieros de Caminos, Canales y Puertos (point 29) et du 16 juillet 2009, C 208/07, Chamier-Glisczinski (point 63).

[61] Voir D. Simon, Directive, in Rép. Communautaire Dalloz – mai 1998, n° 32-34. Voir aussi les arrêts du 15 octobre 1986, 168/85, Commission c. Italie (point 11) et du 18 janvier 2011, C-162/99, Commission c. Italie (point 33).

[62] Voir les arrêts du 14 décembre 1982, C-314 à 316/81 et 83/82, Alex Waterkeyn et Jean Cayard, points 14 et 15. Voir aussi l’arrêt du 19 janvier 1993, C-101/91, Commission c. Italie.

[63] Voir l’arrêt Solvay e.a., précité.

[64] Voir l’arrêt Solvay e.a., précité, points 53 s.

[65] Voir l’arrêt du 19 mai 2009, C-171/07 et C-172/07, Apothekerkammer des Saarlandes, point 42.

[66] Voir les arrêts du 8 septembre 2010, C-46/08, Carmen Media Group (point 68),  du 2 octobre 1999, C‑67/98, Zenatti (points 36–37) et du 6 mars 2007, C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Placanica e.a. (points 52–53).

[67] Voir G. Anagnostaras, « Les jeux sont faits? Mutual recognition and the specificities of online gambling », ELRev 2012, 37(2), p. 191 s.

[68] Voir les conclusions de l’Avocat général P. Mengozzi, du 4 mars 2010, dans les affaires C-316/07, C-358/07 à 360/07 et C-409/07 à C-410/07, Markus Stoß, point 50.

[69] Voir l’arrêt du 13 juillet 2000, C-160/99, Commission c. France, point 22.

[70] Voir Dupré de Boulois X.,  « La théorie des actes de gouvernement à l’épreuve du droit communautaire », RDP 2000, p. 1791 s. Voir aussi les arrêts du 14 janvier 1997, C‑124/95, Centro-Com, et du 15.12.2009, C-284/05, Commission c. Finlande.

[71] Voir l’arrêt du 14 décembre 1982, C-314/81 à 316/81 et 83/82, Procureur de la République / Waterkeyn, points 14–15.

[72] Voir, p.ex., l’arrêt du 5 octobre 1994, C-165/91, Van Munster (point 34) et, en ce sens également, l’arrêt du 13 novembre 1990, C-106/89, Marleasing (point 8).

[73] Voir, notamment, les arrêts Simmenthal, précité (point 21) et du 5 mars 1998, C-347/96, Solred (point 30).

[74] Point 59-60.

[75] Voir J.-M. Sauvé, « Question prioritaire de constitutionnalité. Le contrôle de constitutionnalité en Europe, Gazette du Palais », 9.6.2011, n° 160, p. 7.

[76] Voir Α. Tryfonidou, Reverse Discrimination in EC Law, Wolters Kluwer, 2009, not. p. 63 s.

[77] Voir l’arrêt du 16 juin 1994, C-132/93, Steen II.

[78] Voir l’arrêt du 22 décembre 2010, C‑279/09, DEB, point 56.

[79] Voir l’ordonnance du 29 janvier 2004, C-253/01, Krüger, point 36.

[80] Voir C. Yannakopoulos, L’influence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois, op.cit., n° 360 s.

[81] Voir l’arrêt du 18 juillet 2007, C-119/05, Lucchini (points 60–63) et du 3 septembre 2009, C-2/08, Fallimento Olimpiclub (points 29–32).

[82] Voir l’arrêt du 19 novembre 2009, Filipiak, précité (point 85) et du 8 septembre 2010, Winner Wetten, précité (point 60).

[83] Voir l’arrêt Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne, précité, points 59-63.

[84] Voir l’arrêt Winner Wetten, précité, point 67.

[85] Ibidem.

[86] Cf. P. Eleftheriadis, « Pluralism and Integrity, Ratio Juris, v. 23, No 3, 2010 (365-389), M. Kumm, « Constitutionalism and the Moral Point of Constitutional Pluralism: Institutional Civil Disobedience and Conscientious Objection », in Dickson/Eleftheriadis, Philosophical Foundations of EU Law [OUP 2012].

[87] Il a été admis, à l’unanimité, que cette obligation découle de la déclaration interprétative introduite par la révision constitutionnelle de 2001 au-dessous de l’article 28 de la Constitution grecque, qui réglemente les rapports entre le droit national et les règles de droit international. Selon cette déclaration interprétative,  «L’article 28 constitue une base de la participation du Pays au processus d’intégration européenne».

[88] Décision du 8 mai 2010 adressée à la Grèce en vue de renforcer et d’approfondir la surveillance budgétaire et mettant la Grèce en demeure de prendre des mesures pour procéder à la réduction du déficit jugée nécessaire pour remédier à la situation de déficit excessif (JOUE L 145/6 11.6.2010).

[89] Arrêt du 16 juin 2015, C-62/14 (points 11-17).

[90] Voir les points 30 s. des conclusions précitées du 14 janvier 2015 de l’Avocat général Pedro Cruz Villalón.

L’influence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois

Introduction

En vertu soit des principes de son effet direct et de sa primauté soit de son effet dit attractif, le droit de l’Union surdétermine l’interprétation et l’application du droit national, même à propos des questions qui, en principe, n’entrent pas dans son champ d’application et dont l’analyse est principalement fondée sur les particularités de l’ordre juridique national.

Il en va ainsi pour les questions concernant le droit et le contentieux constitutionnels des États membres[1]. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, que les cours constitutionnelles et les cours suprêmes nationales n’ont finalement pas réfutée du moins lorsqu’elle ne porte pas atteinte à l’identité nationale des États membres, les règles constitutionnelles nationales n’échappent pas au champ d’application du principe de primauté du droit de l’Union[2].

Tout d’abord, certains arrêts des juges de Kirchberg ont directement intéressé le droit constitutionnel matériel des États membres, en faisant, par exemple, prévaloir l’«européanisation» du principe de démocratie[3] ou en mettant en question certaines dispositions constitutionnelles nationales, tels l’article 11, deuxième alinéa, de la Constitution luxembourgeoise disposant que seuls les Luxembourgeois sont admissibles aux emplois civils et militaires du Grand-Duché[4] et l’article 14, paragraphe 9, de la Constitution grecque prévoyant des incompatibilités en matière d’adjudication de marchés publics à des entreprises de médias[5]. Qui plus est, même la procédure de révision des règles constitutionnelles nationales a été touchée, du moment où, selon l’arrêt Angelidaki, «toutes les autorités des États membres sont soumises à l’obligation de garantir le plein effet des dispositions du droit communautaire […], en ce compris lorsque lesdites autorités modifient leur Constitution»[6].

Ensuite, la jurisprudence de la Cour de justice sur le contrôle d’«unionité des lois» –selon le néologisme priviliégié après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne– a porté sur bien de questions de contentieux constitutionnel, tels le contrôle des motifs des lois[7] et des omissions du législateur[8] débouchant sur des manquements aux obligations émanant du droit de l’Union européenne, le régime de la responsabilité du fait des lois inconstitutionnelles violant le principe d’équivalence[9] ou l’abrogation différée des lois inconstitutionnelles éventuellement incompatible avec l’exigence d’application immédiate du droit de l’Union européenne[10].

Enfin, même l’organisation de la justice constitutionnelle a été saisie par le droit européen[11]. Bien avant les fameuses affaires Melki et Abdeli[12], les affaires Simmenthal[13] et Mecanarte[14] avaient mis en exergue la question de l’articulation dans le temps du contrôle d’unionité d’une loi avec le contrôle de sa constitutionnalité, cette dernière étant soumise à un recours obligatoire devant une cour constitutionnelle. Par ailleurs, dans l’arrêt Unibet[15] la Cour de justice a bien imposé l’interprétation conforme au droit de l’Union européenne des règles procédurales relevant du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois en Suède.

En effet, le contrôle de constitutionnalité des lois, autrefois symbole de la rigidité des règles constitutionnelles et de leur primauté au sein de l’ordre juridique national, subit les conséquences des perturbations intervenues au sommet de la pyramide des normes par le droit de l’Union européenne. Aujourd’hui, il est largement concurrencé par le contrôle d’unionité des lois[16], bien que certaines dispositions constitutionnelles, telles l’article 117 par. 1 de la Constitution italienne ou l’article 88-1 de la Constitution française, laissent entendre que le contrôle d’unionité pourrait constituer un aspect du contrôle de constitutionnalité[17].

L’objectif de ma conférence est d’essayer d’appréhender l’enjeu profond et de systématiser l’influence du droit de l’Union sur le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois.

Il paraît que le droit de l’Union, tout en revendiquant l’appropriation du contrôle de la fondamentalité des normes européennes et nationales, a déjà contribué et peut encore contribuer davantage à moderniser l’État de droit par le biais de la correction de certaines lacunes ou imperfections du droit national en matière de contrôle juridictionnel des lois. Or, dans l’étape actuelle de l’évolution des rapports entre le droit de l’Union et le droit national, l’affaiblissement de la force obligatoire de la Constitution nationale et la surdétermination fonctionnelle des compétences des organes étatiques perturbent profondément les structures –voire la cohésion– de l’ordre juridique national, sans être contrebalancés par l’imminente perspective d’établissement d’un ordre constitutionnel européen proprement dit. Ceci étant, le droit de l’Union risque de devenir un facteur de déréglementation constitutionnelle, étant donné que le modèle dominant du soi-disant pluralisme constitutionnel ne semble pas pouvoir constituer une structure constitutionnelle durable apte à intégrer efficacement l’osmose actuelle entre les ordres européen et national.

J’ai choisi d’analyser cette problématique en examinant l’influence du droit de l’Union sur l’organisation (I), la délimitation (II) et la fonction (III) du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois.

I. L’influence sur l’organisation du contrôle

Depuis l’arrêt Costa/ENEL[18], parallèlement à une fondamentalité constitutionnelle nationale, se développe une fondamentalité européenne[19]. La Cour de justice promeut la constitutionnalisation de l’ordre juridique de l’Union en établissant un nouveau contentieux de la fondamentalité des normes européennes et nationales. Dans le cadre de ce contentieux, la Constitution nationale n’est plus la source ultime des droits fondamentaux et le juge national n’a plus le dernier mot sur le contrôle de fondamentalité des lois nationales. Plus précisément, la Cour de justice a établi un système de contrôle d’unionité de toutes les normes nationales –y compris des lois– résumé ainsi dans l’arrêt Simmenthal, précité: «tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l’obligation d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire»[20]. Il s’agit d’un contrôle diffus, en ce sens qu’il appartient à toute juridiction nationale et ne peut pas être concentré à une seule juridiction. Il s’agit aussi d’un contrôle concret et obligatoire, qui assure l’effet direct et la suprématie du droit européen. Il s’exerce par voie d’exception et, le cas échéant, même d’office[21]. Il ne conduit pas à l’annulation mais seulement à l’écartement de l’application dans le cas d’espèce de la norme incompatible avec le droit de l’Union. Dans le cadre de ce système de contrôle déconcentré, l’application uniforme du droit et, par conséquent, la sécurité juridique sont assurées par le biais du renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice, consacré par l’article 267 TFUE. Qui plus est, ce système diffus de contrôle d’unionité des normes nationales ne vise pas à assurer le droit de protection juridictionnelle consacré par les différentes constitutions nationales. Il vise à garantir la protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit de l’Union, qui constitue un principe général dudit droit et a été réaffirmé par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[22].

Ce contentieux européen de la fondamentalité des normes nationales rivalise avec les différents systèmes nationaux de contrôle de constitutionnalité des lois, qui oscillent entre deux paradigmes extrêmes: le paradigme français avant la révision de 2008 et le paradigme grec.

Le premier paradigme suit la rigueur théorique du modèle kelsenien, tout en évoquant la sacralisation de la loi, expression de la volonté générale. Il s’agit d’un contrôle concentré (seul le Conseil constitutionnel est compétent pour l’exercer), abstrait, a priori (la loi n’est pas encore promulguée) et direct (la loi est directement attaquée et ses dispositions peuvent être censurées).

Le deuxième paradigme, celui de la Grèce, dégage une approche pragmatique, inspirée du modèle américain. Il s’agit d’un contrôle diffus (tous les juges sont compétents pour l’exercer), concret (le contrôle est effectué dans le cadre d’un litige précis), a posteriori (la loi contrôlée a déjà été mis en vigueur), effectuée même d’office par voie d’exception (la loi elle-même n’est pas attaquée et ne peut pas être annulée, mais seulement écartée dans ce cas concret). Ce système est consacré par l’article 93 par. 4 de la Constitution grecque entérinant une longue tradition constitutionnelle, datant du 19ème siècle[23]. Il fait prévaloir l’état de droit sur la rationalisation du processus législatif et la sécurité juridique. Au nom de cette dernière est pourtant créée par l’article 100 par. 1 de la Constitution grecque, une Cour spéciale suprême, une sorte de Tribunal des conflits constitutionnels de fond, chargée du règlement des contradictions de la jurisprudence des cours suprêmes nationales.

Ces dernières années, les deux paradigmes susmentionnés ont bien connu l’influence du droit de l’Union européen. D’une part, la révision de la Constitution française en 2008 a introduit l’exception d’inconstitutionnalité. À cet égard, l’institution de la question prioritaire de constitutionnalité par la loi organique du 10 décembre 2009 a fait émerger les tensions entre le système de contrôle d’unionité des lois et tout mécanisme de concentration du contrôle de leur constitutionnalité. D’autre part, bien qu’en principe le système grec de contrôle de constitutionnalité des lois s’aligne quasi parfaitement au système de contrôle de leur unionité, l’exigence de garantir une protection juridictionnelle effective des droits européens a fait apparaître une lacune importante dans la protection des citoyens: l’absence de recours direct contre des mesures législatives individuelles que le législateur a voulu mettre à l’abri de la censure du juge en les dispensant de mesures d’application.

L’étude de ces tendances opposées dans l’évolution de deux systèmes paradigmatiques de contrôle de constitutionnalité des lois en Europe offre l’occasion d’analyser le processus par lequel le droit de l’Union influence l’organisation du contrôle de constitutionnalité des lois par le juge national.

À cet égard, il convient de signaler que le droit de l’Union ne s’intéresse pas à imposer un système commun de contrôle de constitutionnalité des lois. D’ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour de justice, le traité «n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales […] des voies de droit autres que celles établies par le droit national»[24]. Il s’agit d’une neutralité assimilable à la neutralité par principe respective de la Convention européenne de la sauvegarde des droits de l’homme en la matière[25]. Or, la neutralité du droit de l’Union recule lorsque le système de contrôle de constitutionnalité mis en place par un Etat membre met en cause le double objectif du nouveau contentieux de la fondamentalité établi par l’ordre juridique de l’Union: d’une part, l’objectif de garantir l’efficacité du système diffus de contrôle d’unionité des normes nationales, qui est conditionné par la possibilité d’accès libre et direct au mécanisme du renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice de tout juge national saisi d’une affaire mettant en question l’unionité d’une norme nationale, y compris une loi[26], et par le fait que la mise en œuvre de ce contrôle d’unionité n’a pas nécessairement à attendre l’aboutissement du contrôle de leur constitutionnalité[27] ; d’autre part, l’objectif de garantir l’effectivité de la protection juridictionnelle des droits émanant du droit de l’Union. En vue de la satisfaction de ces deux objectifs, le droit de l’Union favorise la déconcentration du contrôle de constitutionnalité des lois (A), exclut sa priorité obligatoire à l’égard du contrôle de leur unionité (B) et pourrait conduire même à l’institution d’un recours constitutionnel direct (C).

A. La déconcentration du contrôle

Le droit de l’Union n’interdit pas l’existence d’un système concentré de contrôle de constitutionnalité des lois. Il favorise pourtant la déconcentration dudit contrôle, laquelle s’aligne au caractère nécessairement diffus du contrôle d’unionité des lois[28]. Dès lors, il est à suggérer que le droit de l’Union incite les États membres à introduire ou à maintenir l’exception d’inconstitutionnalité des lois, tout en rendant moins attrayante l’introduction des mécanismes de concentration du contrôle juridictionnel de leur constitutionnalité.

La révision des articles 61-1 et 62 de la Constitution française en juillet 2008 constitue un exemple éloquent de l’influence officieuse du droit de l’Union européenne sur le droit national des États membres et, plus particulièrement, de l’effet dit attractif de l’exception d’inconventionnalité sur le système de contrôle de constitutionnalité des lois. Comme l’indique clairement le commentaire de la décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 sur la «Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution» dans les Cahiers du Conseil constitutionnel[29], «…la création d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori vise à replacer la Constitution au sommet de l’ordre juridique français. Il est en effet apparu anormal que tous les juges puissent écarter une loi nationale pour un motif d’inconventionnalité alors que le respect de la Constitution ne pouvait être invoqué devant eux.»[30].

En Grèce, le droit de l’Union européenne semble favoriser le maintien du système traditionnel de contrôle diffus et incident de la constitutionnalité des lois et met en cause l’effet utile des différentes tendances de concentration dudit contrôle. Une telle tendance constitue le nouveau paragraphe à la fin de l’article 100 de la Constitution grecque, qui est introduit par la révision constitutionnelle de 2001 et prévoit l’obligation de saisir l’assemblée plénière du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes, lorsque une section contentieuse de ces hautes juridictions juge inconstitutionnelle une disposition législative[31]. Pour éviter donc cette obligation les sections contentieuses –notamment du Conseil d’État– substitue le contrôle de constitutionnalité par le contrôle de conventionnalité des lois.

Par ailleurs, la déconcentration du contrôle juridictionnel des lois, favorisé par le droit de l’Union, aboutit à la mise en question de la prédominance des cours constitutionnelles dans les ordres juridiques qui prévoient l’existence d’une telle cour. À cet égard, il convient de noter que la Cour de justice a jugé, entre autres, qu’une juridiction nationale, telle que la juridiction de renvoi, a l’obligation de la saisir d’office d’une demande de décision préjudicielle alors même qu’elle statue sur renvoi après la cassation de sa première décision par la juridiction constitutionnelle de l’État membre concerné et qu’une règle nationale lui impose de trancher le litige en suivant la position juridique exprimée par cette dernière juridiction[32].

Cette jurisprudence met davantage en cause la force obligatoire des décisions des cours constitutionnelles à l’égard des tribunaux ordinaires, qui se voient, d’ailleurs, avoir également la possibilité de substituer, le cas échéant, le contrôle de constitutionnalité par le contrôle d’unionité. Ceci étant, dans l’étape actuelle de l’évolution des rapports entre le droit de l’Union et le droit national, une cour constitutionnelle a vraiment du mal à faire face à la concurrence de la Cour de justice et des tribunaux ordinaires nationaux. De toute façon, des tensions institutionnelles importantes apparaissent. On a pu le constater surtout à l’occasion des conflits, en France, entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel dans les affaires Melki et Abdeli[33], qui ont abouti à relativiser l’ampleur de l’institution de la question prioritaire de constitutionnalité, et, en Tchéquie, dans l’affaire Landtová[34], entre la Haute juridiction administrative et la Cour constitutionnelle, qui est devenue le premier tribunal national en Europe qui, par son arrêt du 31 janvier 2012, a refusé de se conformer à un arrêt de la Cour de justice, en faisant prévaloir l’identité constitutionnelle de son pays.

Pour ne pas donc s’isoler dans le nouveau contexte institutionnel, les cours constitutionnelles ont cherché à établir un dialogue direct avec la Cour de justice, en dépassant progressivement la stricte distinction entre le contentieux de constitutionnalité, censé être monopolisé par elles, et le contentieux de conventionalité, censé revenir aux seuls tribunaux ordinaires[35]. Dès lors, après les cours constitutionnelles autrichienne et belge, la Cour de justice a été saisie, pour la première fois, en 2008 par la Cour constitutionnelle italienne[36], en 2011 par la Cour constitutionnelle espagnole[37], en 2013 par le Conseil constitutionnel français[38] et en 2014 par la Cour constitutionnelle allemande[39].

B. L’exclusion de la priorité obligatoire du contrôle

Le droit de l’Union européenne interdit toute règle générale qui obligerait le juge national d’examiner par priorité exclusive la question de constitutionnalité par rapport à la question de conventionnalité des lois nationales. Une articulation dans le temps des deux questions n’est acceptée que lorsqu’elle constitue le libre choix du juge national compte tenu des circonstances du cas d’espèce. C’est ce qui découle clairement de la jurisprudence constante de la Cour de justice reprise et reformulée dans son arrêt Melki et Abdeli: «afin d’assurer la primauté du droit de l’Union, le fonctionnement dudit système de coopération nécessite que le juge national soit libre de saisir, à tout moment de la procédure qu’il juge approprié, et même à l’issue d’une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de justice de toute question préjudicielle qu’il juge nécessaire»[40].

Ainsi, s’agissant de sa compatibilité avec le droit de l’Union, la question prioritaire de constitutionnalité introduite en droit français par la loi organique du 10 décembre 2009 est entachée d’un «vice de fabrication initial et indélébile»[41]. Du moment où son objectif est la  restitution de la Constitution nationale au sommet de l’ordre juridique français[42], la question prioritaire de constitutionnalité a été vouée à être en conflit avec le principe de primauté du droit de l’Union européenne, quitte à perdre en fait sa raison d’être.

Comme l’a souligné la Cour de justice dans son arrêt Melki et Abdeli précité, en se fondant sur l’interprétation du droit français positif donné par la Cour de cassation, «l’article 267 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, pour autant que le caractère prioritaire de cette procédure a pour conséquence d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité à la juridiction nationale chargée d’exercer le contrôle de constitutionnalité des lois que, le cas échéant, après la décision de cette juridiction sur ladite question, toutes les autres juridictions nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation de saisir la Cour de questions préjudicielles»[43]. Cela étant, pour sauver l’unionité de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, par leurs décisions respectives des 12 et 14 mai 2010[44], postérieures à la transmission des décisions de renvoi de la Cour de cassation à la Cour de justice, ont considéré qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, mais aux juridictions administratives et judiciaires d’examiner la conformité d’une loi nationale au droit de l’Union européenne, d’appliquer elles-mêmes et selon leur propre appréciation le droit de l’Union européenne ainsi que de poser, simultanément ou postérieurement à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, des questions préjudicielles à la Cour de justice. Cette affaire a donné à cette dernière l’occasion de relativiser la règle de l’immédiateté du droit de l’Union européenne et de constater que l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à la question prioritaire de constitutionnalité introduite en France, pour autant que les juridictions nationales autres que le Conseil constitutionnel restent libres: a) de saisir, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de justice de toute question préjudicielle qu’elles jugent nécessaire, b) d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne, et c) de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union européenne[45].

Or, même cette approche quelque peu révisionniste de l’immédiateté du droit de l’Union européenne pourrait difficilement rétablir l’unionité absolue de la question prioritaire de constitutionnalité. D’ailleurs, admettre que la législation française a le sens préconisé par les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État et respecte toutes les conditions posées par la Cour de justice[46] constitue une interprétation neutralisante qui atténue assez largement le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité dans les litiges relevant du droit de l’Union européenne. D’ailleurs, les limites du compromis effectué entre le droit de l’Union et le droit français ont été relevées à propos des questions du sort spécifique aux lois de transposition des directives européennes impératives[47] et de l’obligation de prévoir, auprès du Conseil d’État et de la Cour de cassation, des mesures provisoires ou conservatoires propres à assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’Union européenne[48].

C. L’institution d’un recours constitutionnel direct

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, résumée dans l’arrêt Unibet précité, pour garantir la protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, celui-ci a encadré la plupart des modalités du droit du contentieux national,  tous les aspects de celui-ci étant susceptibles d’être soumis au contrôle du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, y compris les aspects qui concernent la procédure du contrôle de constitutionnalité. Sur ce plan, il se pourrait même qu’à titre exceptionnel le droit de l’Union incite un État membre à introduire ou à ‘tolérer’ un contrôle direct de constitutionnalité des lois, même si l’ordre juridique national en cause n’en prévoit pas.

Plus précisément, dans l’arrêt Unibet, la Cour de justice a jugé que «le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu’il ne requiert pas, dans l’ordre juridique d’un État membre, l’existence d’un recours autonome tendant, à titre principal, à examiner la conformité de dispositions nationales avec [le droit communautaire], dès lors que d’autres voies de droit effectives, qui ne sont pas moins favorables que celles régissant les actions nationales similaires, permettent d’apprécier de manière incidente une telle conformité, ce qu’il appartient au juge national de vérifier »[49]. À cet égard, il a été pourtant précisé que si l’intéressé «était contraint de s’exposer à des procédures administratives ou pénales à son encontre et aux sanctions qui peuvent en découler, comme seule voie de droit pour contester la conformité des dispositions nationales en cause avec le droit communautaire, cela ne suffirait pas pour lui assurer une telle protection juridictionnelle effective»[50]. La Cour de justice n’a pas précisé quelles seraient les conséquences dans ce dernier cas. Il en résulte a contrario qu’exceptionnellement il se pourrait que le droit de l’Union impose aux États membres d’instaurer, par le biais même d’une harmonisation négative, un recours autonome tendant, à titre principal, à examiner la conformité des dispositions nationales audit droit. Cette éventualité se met en concert avec une tendance analogue de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans son arrêt Vallianatos e. a. c. Grèce[51], a laissé entendre que seul un recours direct pourrait assurer un contrôle juridictionnel effectif des lois nationales qui, ayant des effets directs et durables, peuvent entraîner une violation continue des droits garanties par la Convention[52].

Les développements de cette première partie ont démontré que le droit de l’Union influence l’organisation du contrôle de constitutionnalité des lois dans un sens que celui-ci qui ressemble plutôt au paradigme grec qu’au paradigme français avant la révision de 2008 et, en tout état de cause, perd sa priorité obligatoire. La promotion de la déconcentration de principe du contrôle de constitutionnalité des lois et de la nécessité exceptionnelle d’un contrôle direct des celles-ci dénote le passage du modèle kelsénien, qui met l’accent sur la sécurité juridique et la cohérence de l’ordre juridique, au modèle d’un contrôle diffus et incident, qui fait prévaloir la protection juridictionnelle effective des administrés. Ainsi, malgré son caractère bouleversant, il faut admettre que l’influence du droit de l’Union sur l’organisation du contrôle de constitutionnalité des lois renforce les garanties de l’État de droit.

II. L’influence sur la délimitation du contrôle

Le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois n’a pas toujours eu que des amis. Son acceptation –dont l’évidence est mise en cause par sa réfutation aux Pays-Bas– est suivie par une méfiance profonde liée à la difficile légitimation de l’invalidation de la volonté du législateur et au soi-disant spectre du gouvernement des juges. C’est pourquoi, selon l’opinion dominante, le contrôle de constitutionnalité des lois ne peut pas –et ne doit pas– évoluer au même degré que le contrôle de légalité des actes administratifs, au motif que le pouvoir législatif est censé ne pas être soumis à des contraintes assimilables à celles qui pèsent sur l’administration publique et que le rapport entre la loi et la Constitution n’est pas assimilable au rapport entre l’acte administratif et la loi.

Ainsi, en droit national, il y a une tendance générale de délimitation du contrôle de constitutionnalité des lois qui s’appuie sur les trois paramètres institutionnels suivants:

Premièrement, ce contrôle est conditionné par l’attribution d’un pouvoir décisionnel primaire au législateur national[53], qui est considérée comme un sujet exprimant la volonté générale tout en jouissant d’une liberté politique.

Deuxièmement, le contrôle de constitutionnalité des lois connaît des limites émanant de la lettre des constitutions nationales ou de la doctrine constitutionnelle. C’est le cas, par exemple, de la soi-disant présomption de constitutionnalité de la loi, selon laquelle l’inconstitutionnalité présuppose la violation claire de la Constitution[54], et de la limitation (en France) –voire de l’exclusion (en Grèce[55])– du contrôle de la procédure législative.

Troisièmement, le contrôle de constitutionnalité des lois est limité par l’attribution au juge national d’un rôle institutionnel secondaire, encadré surtout par les théories de l’autolimitation (judicial self-restraint) et des questions politiques (political questions doctrine), qui ont été, en premier, développées dans la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis.

Or, aucun de ces trois paramètres institutionnels n’a su résister à l’évolution du contentieux constitutionnel et à l’approfondissement consécutif de l’Etat de droit.

Suite à l’encadrement progressif de son activité, le législateur national est désormais considéré comme attributaire plutôt d’une compétence –en principe, d’un pouvoir discrétionnaire– que d’une quelconque liberté.

En outre, ni les règles constitutionnelles ni la présomption de constitutionnalité des lois n’ont abouti à un critère méthodologique fiable s’agissant de la distinction entre le pouvoir politique et le pouvoir juridictionnel.

Qui plus est, aujourd’hui, personne ne peut dénier le rôle créatif du juge constitutionnel, qui surdétermine le sens aussi bien de la loi contrôlée que de la Constitution.

Cela étant, les limites traditionnelles du contrôle de constitutionnalité des lois sont ouvertes à une renégociation continue, dans le cadre de laquelle évolue l’influence du droit de l’Union sur ledit contrôle.

Effectivement, l’équilibre institutionnel entre les fonctions étatiques a été bouleversé par la primauté du droit de l’Union à l’égard du droit national, par la mise en cause de la répartition des compétences entre les organes étatiques dans le cadre de l’obligation de coopération loyale et de la responsabilité unique de chaque Etat membre à l’égard de l’Union et par la valorisation du juge national en tant que précurseur de l’application effective du droit de l’Union dans l’ordre juridique national. Sur ce plan, le droit de l’Union crée les conditions d’une nouvelle délimitation institutionnelle du contrôle de constitutionnalité des lois, surtout car, primo, il attribue un rôle secondaire au législateur national, en surdéterminant ses compétences et en lui attribuant le rôle d’un organe d’exécution des exigences de l’Union (A) ; secundo, il promeut le changement des limites du contrôle de constitutionnalité des lois, en contribuant à l’extension de son domaine et même au dépassement de son caractère obligatoire (B) ; tertio, il attribue au juge national un rôle primaire, en l’érigeant en interlocuteur privilégié de l’Union et garant de l’interprétation du droit national conformément au droit de l’Union (C).

A. L’attribution au législateur national d’un rôle secondaire

La compétence normative de l’Union se substitue à celle du législateur national, qui voit son champ d’action se rétrécir et son pouvoir être sensiblement limité même dans les domaines de ses compétences exclusives. Lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé, le législateur national ne peut légiférer que s’il est habilité par l’Union, ou pour mettre en œuvre les actes de celle-ci[56]. Par ailleurs, dans le cadre des compétences partagées[57], l’action du législateur national recule devant celle des organes de l’Union, sous le prisme du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité[58]. D’ailleurs, en vertu des principes de l’effet immédiat et de la primauté, le droit de l’Union met à l’écart les lois nationales qui lui sont opposées[59]. De plus, le législateur national est obligé de ne pas porter atteinte à l’effet utile du droit de l’Union même lorsqu’il exerce ses compétences exclusives[60].

Autant les compétences de l’Union s’étendent, autant les marges d’action du législateur national sont limitées. Celui-ci perd le pouvoir décisionnel primaire et l’initiative politique qui lui sont propres dans le cadre de l’ordre juridique national. Plus précisément, en vertu du principe de la coopération loyale (art. 4 par. 3 TUE) et de l’obligation spécifique des États membres de prendre toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union (art. 291 par. 1 TFUE), le législateur national, comme toutes les autres autorités nationales, devient un organe d’exécution des règles de droit de l’Union. Et cela ne peut que remettre en cause la perception traditionnelle selon laquelle le législateur national est tributaire d’une liberté politique inconditionnée. Qui plus est, le droit de l’Union peut instituer même une compétence liée du législateur national, en matière soit de transposition d’une directive[61] soit d’exécution d’un arrêt de la Cour de justice[62]. Enfin, en cas de circonstances exceptionnelles, la satisfaction des exigences de l’Union peut arriver même à suggérer –voire imposer– au législateur national un programme d’action, tel que le programme conditionnant l’assistance financière en vertu de l’article 136 par. 3 TFUE. Ces dernières années, l’expérience de la gestion de la crise de dette souveraine de certains États membres de la zone euro a montré que de tels programmes sont susceptibles d’anéantir dans les faits le pouvoir des parlements nationaux, qui se voient privés de la possibilité réelle de choisir le contenu de leurs initiatives législatives et le moment propice pour y procéder.

B. Le changement des limites du contrôle

L’obligation des autorités nationales de respecter les exigences du droit de l’Union peut contribuer, à titre officiel ou officieux, à l’extension des champs du contrôle de constitutionnalité des lois, tout en permettant ou même en imposant au juge national de dépasser le caractère obligatoire dudit contrôle.

Le droit de l’Union promeut le contrôle juridictionnel de la procédure législative. Dans le cadre de l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, la Cour de justice a exigé qu’en cas des projets adoptés en détail par un acte législatif spécifique, il existe un contrôle juridictionnel effectif de la compatibilité de la procédure législative avec les objectifs de la directive 85/337/CEE[63].

Toujours dans le domaine du droit de l’environnement, le droit de l’Union impose également le contrôle des motifs du moins des actes législatifs contenant des mesures individuelles. Il a été jugé que l’article 6, par. 9, de la convention d’Aarhus et l’article 9, par. 1, de la directive 85/337 doivent être interprétés en ce sens qu’ils exigent que toute personne intéressée doit avoir accès aux motifs d’un acte législatif par lequel un Etat membre a décidé de ne pas soumettre à évaluation un projet[64].

Par ailleurs, en matière d’application du principe de proportionnalité, la Cour de justice a admis qu’une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique[65], ce que le juge national doit contrôler en tenant compte, entre autres, des détails de l’application de cette législation[66]. Cette jurisprudence a évolué notamment dans le domaine de la réglementation des jeux de hasard[67] et appelle le juge national à examiner si la politique générale d’un Etat membre est contradictoire, autrement dit si l’on peut mettre en question la « sincérité » du législateur nationale (test d’hypocrisie)[68]. Il paraît que cette jurisprudence favorise le contrôle de proportionnalité des mesures législatives nationale à travers une méthode qui pousse ce contrôle à s’intéresser même à la question de savoir si le législateur national a commis un détournement de pouvoir.

En outre, la Cour de justice admet que le maintien inchangé, dans la législation d’un État membre, d’un texte incompatible avec une disposition du droit communautaire, peut constituer un manquement aux obligations qui incombent à cet Etat en vertu du traité[69]. En même temps, selon le droit de l’Union, l’omission d’adopter ou de révoquer une disposition législative peut constituer une violation du devoir de coopération loyale (art. 4 par. 3 TUE) et entraîner l’engagement de la responsabilité d’une Etat membre à l’égard aussi bien de l’Union que des citoyens de celle-ci. En familiarisant ainsi le juge national avec le contrôle des omissions législatives, le droit de l’Union relativise une série de perceptions traditionnelles du droit national, parmi lesquelles figurent notamment la considération qu’un tel contrôle est incompatible avec le principe de séparation des pouvoirs ainsi que la perception qu’on ne peut pas admettre la justiciabilité des droits sociaux.

Parallèlement, il est à rappeler que le droit de l’Union a étendu le contrôle juridictionnel de l’activité des autorités étatiques dans des domaines imprégnés par un intérêt politique important où le droit national exclut ce contrôle en invoquant la théorie des actes de gouvernement[70]. Cela démythifie davantage les théories précitées de l’autolimitation (judicial self-restraint) et des questions politiques (political questions doctrine), par lesquelles la doctrine constitutionnelle a essayé de limiter le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois.

Enfin, le droit de l’Union met en question le caractère obligatoire du contrôle de constitutionnalité des lois. Etant donné que le droit de l’Union exclut la priorité obligatoire du contrôle de constitutionnalité, si les deux questions, celle de constitutionnalité d’une loi et celle de son unionité, sont soulevées en même temps dans la même affaire, le juge national peut substituer l’examen de la première par l’examen de la seconde. Par ailleurs, le droit de l’Union peut même priver, en pratique, le juge national de toute compétence en matière de contrôle de constitutionnalité de lois. Il en va ainsi lorsque, avant que le juge constitutionnel soit saisi, la Cour de justice a jugé qu’une loi nationale est incompatible avec le droit de l’Union[71] ou lorsqu’il s’agit d’une loi de transposition du droit dérivé de l’Union qui n’a laissé aucun pouvoir discrétionnaire au législateur national, cas envisagé dans le cadre de l’arrêt M. Kamel D. précité du Conseil constitutionnel français.

C. L’attribution au juge national d’un rôle primaire

En vertu du principe de primauté du droit de l’Union, les autorités nationales et, notamment, les juridictions nationales sont obligées de donner à la loi interne qu’elles doivent appliquer, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union[72]. Si une telle interprétation n’est pas possible, la juridiction nationale a l’obligation d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale dans la mesure où son application, dans les circonstances de l’espèce, aboutirait à un résultat contraire au droit de l’Union[73]. Il s’agit de ce qu’on a pu appeler harmonisation négative, laquelle impose aux juridictions nationales une obligation non seulement d’abstention mais aussi d’adaptation créative du droit national aux exigences du droit de l’Union, au besoin, assistée par le dialogue que ces juridictions peuvent ou doivent établir avec la Cour de justice.

L’obligation d’interpréter le droit national conformément au droit de l’Union a renforcé le rôle institutionnel du juge national au détriment de celui du législateur national. Comme l’a souligné l’avocat général Léger dans ses conclusions dans l’affaire C-224/01, Köbler, «si le juge national, comme tout organe d’un État membre, est tenu d’appliquer le droit communautaire, sa mission est «d’autant plus cruciale que, ‘face au stade ultime de l’exécution de la règle’, il est le garant du respect de celle-ci». Sa position est d’autant plus «stratégique» qu’il lui appartient d’apprécier l’articulation de son droit interne avec le droit communautaire et d’en tirer les conséquences qui s’imposent. Ainsi, il n’est plus nécessairement, comme pouvait le dire autrefois Montesquieu, «la bouche de la loi». Bien au contraire, il est tenu de porter un regard critique sur son droit interne afin de s’assurer, avant de l’appliquer, de sa conformité au droit communautaire. …[La jurisprudence de la Cour] a largement contribué à valoriser l’office du juge, à renforcer son autorité au sein de l’État, au prix, dans certains systèmes juridiques nationaux, d’évolutions d’ordre constitutionnel»[74].

Effectivement, la nouvelle délimitation du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois sous l’influence du droit de l’Union promeut indubitablement le développement et l’approfondissement de l’Etat de droit, notamment à travers l’intensification et l’élargissement des champs possibles du contrôle juridictionnel des lois. Outre les modifications qu’imposent au droit national l’application immédiate et obligatoire du droit de l’Union, l’expérience même de cette application devient, pour les autorités nationales et, surtout, pour le juge national, une source d’inspiration pour procéder à de divers ajustements volontaires du droit national, même en dehors du champ d’application du droit de l’Union. Or, l’influence de ce droit secoue la structure constitutionnelle des Etats membres, dans la mesure où elle bouleverse l’équilibre institutionnel entre les organes étatiques. Ce bouleversement risque de devenir un facteur de déstabilisation –voire de déréglementation– constitutionnelle, si l’on ne réussit pas à assurer une structure constitutionnelle d’ensemble cohérente, capable d’intégrer efficacement tous les règles fondamentales, nationales ou européennes, qui coexistent dans l’ordre juridique national.

III. L’influence sur la fonction du contrôle

En droit national, le contrôle de la constitutionnalité des lois constitue une expression du principe de la rigidité de la Constitution nationale et une affirmation de la place de la Constitution au sommet de la hiérarchie des règles de droit, en vue d’assurer la cohérence de l’ordre juridique national[75]. Toutefois, le droit de l’Union, qui prime même sur les règles constitutionnelles nationales, remet désormais en cause l’idée de la primauté de la Constitution nationale à l’égard des règles de droit applicables dans l’ordre juridique national, à savoir les règles qui proviennent du droit de l’Union. Or, l’échec de la constitutionnalisation formelle de l’Union et la survivance des ordres juridiques nationaux ont, en même temps, relativisé la dynamique de la primauté du droit de l’Union. Ceci étant, tant les cours constitutionnelles et suprêmes nationales que la Cour de justice semblent essayer de se familiariser avec un modèle constitutionnel, qui selon l’expression du professeur Mireille Delmas–Marty, reflète «un pluralisme ordonné» : un pluralisme des ordres juridiques nationaux intégrés dans l’ordre juridique de l’Union, les valeurs nationales propres à chaque État membre visant à marquer une certaine limite à cette intégration.

Sous le prisme de ce pluralisme constitutionnel, le contrôle de constitutionnalité change de fonction, devient plus complexe (A) et recherche directement –souvent sans succès– à assurer la cohérence des différentes règles de droit, nationales et européennes, applicables dans l’ordre juridique national (B). Dès lors, le contrôle de constitutionnalité des lois devient le champ privilégié de l’apparition des différentes vicissitudes de la gestion jurisprudentielle des rapports entre les droits européen et national (C).

A. La complexité du contrôle sous le prisme du pluralisme constitutionnel

Le pluralisme constitutionnel est marqué par le fait que «la Constitution nationale s’en va» sans qu’une nouvelle structure constitutionnelle solide prenne sa place. Dans le cadre de la géométrie variable qui s’émerge, la fonction traditionnelle du contrôle de constitutionnalité change. Au lieu d’affirmer la primauté ébranlée de la Constitution nationale, ce contrôle vise désormais directement à assurer l’unité de l’ordre juridique national, en tant que seule garantie possible de son autonomie relative. Car, étant donné que, dans l’ordre juridique national, ne s’applique plus un droit unique intégré dans la seule pyramide au sommet de laquelle se trouve la Constitution nationale, mais un ensemble de règles de droit d’origines et de légitimités diverses, nationale et/ou européennes, l’unité de l’ordre juridique national est désormais conditionnée moins par la garantie de la primauté de la Constitution nationale que par la sauvegarde de la cohérence de cet ensemble de règles de droit.

Cette nouvelle fonction rend le contrôle de constitutionnalité fortement complexe. La complexité est nourrie aussi bien par la concurrence que par l’osmose entre ce contrôle et le contrôle d’unionité. Dans le cas de la concurrence, on l’a bien constaté, le contrôle d’unionité peut mettre à l’écart, substituer ou même interdire, de facto, le contrôle de constitutionnalité des lois, tandis que le juge constitutionnel peut, pour sa part, renoncer à jouer son rôle de juge de droit commun du droit de l’Union. Dans le cas de l’osmose, les contrôles coexistent, interagissent et se complètent à géométrie variable. Ainsi, dans tous les deux cas, il n’est facile d’assurer la cohérence et la systématicité ni du droit applicable dans l’ordre juridique national ni de la gestion jurisprudentielle des rapports entre les droits européen et national.

B. La cohérence introuvée du droit applicable dans l’ordre juridique national

Le juge national a du mal à assurer la cohérence du droit applicable dans l’ordre juridique national, car le droit de l’Union n’a jamais cessé de déconstruire cet ordre.

Du point de vue matériel, c’est-à-dire en ce qui concerne le contenu des règles fondamentales, les deux facteurs principaux de désordre sont la survivance des discriminations à rebours et l’encadrement par le droit de l’Union de l’identité constitutionnelle des Etats membres.

D’un côté, la Cour de justice a, certes, rétrécit le champ des situations purement internes[76] et a permit[77] –voire suggéré[78]– d’éviter les discriminations à rebours au sein de l’ordre juridique national. Or, elle n’a jamais abandonné le concept de situation purement interne et continue à admettre que « les éventuelles discriminations dont les ressortissants d’un État membre peuvent faire l’objet au regard du droit de cet État relèvent du champ d’application de ce droit, en sorte qu’elles doivent être résolues dans le cadre du système juridique interne dudit État »[79].

De l’autre côté, le droit de l’Union a beau respecter l’identité constitutionnelle des Etats membres, la Cour de justice ne la laisse pas échappée du contrôle de compatibilité avec les exigences de l’Union[80].

Du point de vue processuel, un facteur important d’incohérence du droit applicable dans l’ordre juridique national constitue l’encadrement par le droit de l’Union des effets des décisions du juge constitutionnel.

D’une part, la Cour de justice a relativisé la force obligatoire de ces décisions. Ainsi, elle a considéré que les règles nationales consacrant l’autorité de la chose jugée doivent être écartées par le juge national si elles font obstacle à l’effectivité du droit de l’Union[81]. En outre, dans l’arrêt Križan précité, la Cour a dit pour droit que les juridictions ordinaires d’un Etat membre ne sont pas liés par des interprétations portées en droit par la cour constitutionnelle du même Etat, si elles estiment que ces interprétations ne sont pas conformes au droit de l’Union.

D’autre part, la Cour de justice a encadré la modulation dans le temps des effets des décisions des cours constitutionnelles. Plus précisément, la Cour de justice a admis que «la primauté du droit communautaire impose au juge national d’appliquer le droit communautaire et de laisser inappliquées les dispositions nationales contraires, indépendamment de l’arrêt de la juridiction constitutionnelle nationale qui a décidé l’ajournement de la perte de force obligatoire des mêmes dispositions, jugées inconstitutionnelles.»[82]. Si la Cour de justice semble ne pas avoir exclu que l’éviction de la loi contraire au droit de l’Union puisse être différée dans le temps, ce n’est toutefois que sous certaines conditions strictes[83], telle l’existence des «considérations impérieuses de sécurité juridique»[84].

En effet, le principe de primauté du droit de l’Union ne permet pas d’assurer la cohérence du droit applicable dans l’ordre juridique national, car, faute d’une constitution européenne proprement dite, ce principe sape l’intégration complète au sein de l’ordre juridique national de toutes les règles fondamentales applicables, aussi bien nationales qu’européennes. La cohérence du droit de l’Union semble toujours l’emporter sur celle de l’ordre juridique national, car, selon la jurisprudence constante de la Cour de justice, «il ne saurait en effet être admis que des règles de droit national, fussent-elles d’ordre constitutionnel, portent atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union»[85].

C. Les vicissitudes de la gestion jurisprudentielle des rapports entre les droits européen et national

Dans le cadre de la complexité du pluralisme constitutionnel, le juge national, appelé à gérer les rapports entre les droits européen et national, fait face à la volatilité constante de l’osmose des ordres juridiques européen et national, qui est accentuée, ces dernières années, surtout à cause de la crise économique et financière. Le plus grand défi pour le juge national est de pouvoir intégrer, de la façon la plus convaincante, aussi bien dans l’ordre juridique national que dans l’ordre juridique de l’Union, ses décisions, qui peuvent être plus ou moins réceptives à la jurisprudence de la Cour de justice sur la primauté absolue du droit de l’Union[86]. Faute de critères formels de réussite d’une telle intégration, la jurisprudence nationale, influencée toujours par les conjonctures et les compromis économiques et politiques, présente un caractère fortement empirique. Le pluralisme constitutionnel devient ainsi une notion fonctionnelle, puisqu’en dernière analyse il n’aboutit pas à un certain équilibre entre les droits européen et national, mais traduit seulement l’effort du juge d’éviter –voire de faire semblant d’éviter– à tout prix les conflits directs entre ces droits, même si derrière chaque décision juridictionnelle se profile l’acceptation casuistique de la logique de la primauté, soit du droit national soit du droit de l’Union. Or, cela conduit à un pluralisme jurisprudentiel qui sape la crédibilité de l’œuvre jurisprudentielle en matière de gestion des rapports entre les droits européen et national. L’évolution des jurisprudences du Conseil d’Etat grec et de la Cour constitutionnelle allemande en offre deux exemples éloquents, d’autant plus qu’ils émanent  des deux représentants, les plus caractéristiques, de deux nouvelles catégories auxquelles se répartissent, dans le contexte actuel, les Etats membres de l’Union, à avoir les Etats-débiteurs et les Etats-créanciers.

Dans son arrêt n° 3242/2004, le Conseil d’Etat grec avait refusé un renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice pour ne pas exposer au contrôle de compatibilité avec le droit communautaire l’art. 14, par. 9, de la Constitution grecque instituant une incompatibilité absolue entre l’activité économique dans les médias et l’activité économique dans la commande publique. Or, à la suite de l’arrêt de la Cour de justice, du 16 décembre 2008, C-213/07, Michaniki, par son arrêt n° 3470/2011, le Conseil d’Etat a abandonné ce patriotisme constitutionnel et a opté pour une adaptation interprétative inconditionnée de l’art. 14, par. 9, de la Constitution grecque aux exigences du droit communautaire, telles que précisées par la Cour de justice. A l’appui de ce revirement spectaculaire quant à l’interprétation de la disposition constitutionnelle en cause, le Conseil d’Etat grec a même invoqué, pour la première fois, une obligation générale «d’harmoniser les dispositions constitutionnelles avec les règles de droit communautaire»[87]. On a pensé que sa jurisprudence se mettrait définitivement dans une orientation européenne irréversible. Toutefois, dans son arrêt n° 668/2012, le Conseil d’Etat grec s’est retourné vers une nouvelle version de patriotisme jurisprudentiel. Il a contrôlé la constitutionnalité de la loi mettant en œuvre les mesures du premier paquet d’aide financière à la Grèce de mai 2010, sans prendre le risque de renvoyer devant la Cour de justice la question de la validité de la décision n° 2010/320/UE du Conseil européen[88] dictant ces mesures. La préoccupation majeure du juge national de ne mettre aucunement en question la validité du mécanisme d’aide financier au pays l’a empiétée sur ses obligations découlant du droit de l’Union.

Or, dans les Etats-membres débiteurs, telle la Grèce, à la suite du recul des constitutions nationales à l’égard de la primauté du droit de l’Union, tout contrôle de constitutionnalité des mesures législatives votées en vue du redressement économique et financier des Etats membres en difficulté reste superflu. En tous cas, il reste essentiellement borné dans les étroites marges laissées aux autorités nationales par les décisions susmentionnées du Conseil européen. Ceci étant, du moment où le juge national passe outre son rôle de juge de droit commun du droit de l’Union et se contente d’un contrôle indolore de constitutionnalité des mesures prises pour juguler la crise financière, n’est suffisamment garantie ni la rigidité de la Constitution nationale ni celle du droit primaire de l’Union. En revanche, se propage une déréglementation constitutionnelle qui touche non seulement l’ordre juridique national mais aussi l’ordre juridique de l’Union.

D’autre part, suite à sa décision sur le traité de Lisbonne, la Cour constitutionnelle allemande a adopté une position conciliante entre la Loi fondamentale et le droit de l’Union, fondé sur la présomption d’équivalence de protection: c’était essentiellement le sens du concept d’Europarechtsfreundlichkeit. En 2014, dans l’affaire Gauweiler, la Cour constitutionnelle fédérale a même posé, pour la première fois, une question préjudicielle à la Cour de justice, dont la recevabilité n’a pas été réfutée par les juges de Kirchberg[89]. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que cette question préjudicielle ne visait pas à provoquer un contrôle d’unionité proprement dit, mais s’inscrivait sur le plan de la jurisprudence Honeywell de la Cour de Karlsruhe, qui met en œuvre un contrôle essentiellement incompatible avec le droit de l’Union, à savoir le contrôle de constitutionnalité de l’action des organes de l’Union ayant transgressé les traités européens (ultra vires) ou porté atteinte à l’identité constitutionnelle allemande[90].

Or, la soumission du droit de l’Union au contrôle de constitutionnalité par une cour constitutionnelle d’un Etat-créancier, telle l’Allemagne, dénote un recul important de l’acquis communautaire et un affaiblissement significatif du contrôle d’unionité, ce qui accentue le phénomène de déréglementation constitutionnelle susmentionné.

Conclusions

Bien que souvent subversive dans plusieurs de ses aspects, l’influence du droit de l’Union sur l’organisation et la délimitation du contrôle de constitutionnalité des lois promeut l’Etat de droit.

L’ordre juridique de l’Union, imprégné par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, fonctionne comme un champ de référence démocratique auquel le juge constitutionnel essaie d’intégrer – plus ou moins expressément– ses choix interprétatifs, en adoptant de nouvelles approches de la règle constitutionnelle nationale et en recherchant de nouvelles sources de légitimation.

Or, dans l’étape actuelle de l’évolution de l’intégration européenne, toute contribution du droit de l’Union à la promotion de l’Etat de droit ne peut pas couvrir les tremblements importants que ce droit provoque à la structure constitutionnelle de l’ordre juridique national et qui apparaissent surtout en matière de délimitation et de fonction du contrôle de constitutionnalité. Car, le droit de l’Union promeut l’Etat de droit sous le prisme de ses propres objectifs et conditions, au-delà des données constitutionnelles de l’ordre juridique national.

Toutefois, le droit de l’Union n’a pas su remplacé ces données par une structure constitutionnelle européenne, nouvelle et solide. Ainsi, évolue la géométrie variable du paradigme dominant du pluralisme constitutionnel, dont l’empirisme nourrit le phénomène de la déréglementation constitutionnelle.

En effet, il paraît que ce paradigme ne peut être conçu que comme une étape précaire, c’est-à-dire comme un pas suspendu du constitutionnalisme européen qui doit définitivement soit dépasser l’état constitutionnel national soit revenir en arrière.


[1] Voir O. Peiffert, « L’encadrement des règles constitutionnelles par le droit de l’Union européenne », Cahiers de droit européen 2011, p. 433 s.

[2] Voir, à titre indicatif, les arrêts du 17 décembre 1970, 11/70, Internationale Handelsgesellschaft, point 3, et du 8 septembre 2010, C-409/06, Winner Wetten, point 61.

[3] Arrêt du 9 mars 2010, C-518/07, Commission c. Allemagne, points 38 s.

[4] Arrêt du 2 juillet 1996, C-473/93, Commission c. Luxembourg.

[5] Arrêt du 16 décembre 2008, C-213/07, Michaniki.

[6] Arrêt du 23 avril 2009, C-378 à 380/07, point 207.

[7] Arrêt du 16 février 2012, C- 182/10, Solvay e.a., points 53 s.

[8] Arrêt du 28 février 2012, C-41/11, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne, point 43.

[9] Arrêt du 26 janvier 2010, C-118/08, Transportes Urbanos et Servicios Generales SAL.

[10] Arrêt du 8 septembre 2010, C-409/06, Winner Wetten, précité.

[11] Voir C. Yannakopoulos, « L’influence du droit de l’Union européenne sur le système de contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois : les paradigmes français et grec », Revue française de droit constitutionnel 2012 (n° 91), p. 537 s. Voir aussi C. Yannakopoulos, L’influence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois (en grec), Editions Sakkoula, Athènes-Salonique, 2013.

[12] Arrêt du 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10.

[13] Arrêt du 9 mars 1978, 106/77.

[14] Arrêt du 27 juin 1991, C-348/89.

[15] Arrêt du 13 mars 2007, C-432/05.

[16] À cet égard, voir aussi A. Pliakos, « Le contrôle de constitutionnalité et le droit de l’Union européenne: la réaffirmation du principe de primauté », Cahiers de droit européen 2010, p. 487 et s.

[17] Voir O. Peiffert, op. cit, n° 25 s.

[18] Arrêt du 15 juillet 1964, 6/64.

[19] Les analyses de cette première partie s’appuient sur l’article C. Yannakopoulos, L’influence du droit de l’Union européenne sur le système de contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois : les paradigmes français et grec, op. cit.

[20] Point 21.

[21] Arrêts du 14 décembre 1995, C-312/93, Peterbroeck, et C-430 à 431/93, Van Schijndel et van Veen et du 7 juin 2007, C-222 à 225/05, van der Weerd.

[22] Voir, à titre indicatif, l’arrêt Unibet, précité, point 37.

[23] Voir l’arrêt n° 23/1897 de la Cour de cassation grecque.

[24] Arrêt du 7 juillet 1981, 158/80, Rewe, point 44.

[25] Voir les arrêts de la CEDH du 21 février 1986, James e.a. c. Royaume Uni (point 85), du 11 juin 2002, Willis c. Royaume Uni (point 62) et du 19 octobre 2005, Roche c. Royaume Uni (points 137 s.).

[26] Voir l’arrêt Melki et Abdeli, précité, points 41– 44.

[27] Cf. les arrêts du 19 novembre 2009, C‑314/08, Filipiak, et du 4 juin 2015, C‑5/14, Kernkraftwerke Lippe-Ems. Cf. aussi les arrêts du 10 septembre 2015, C-408/14, Wojciechowski, et du 1er octobre 2015, C-432/14, O.

[28] Voir F. Ferreres Comella, « The European model of constitutional review of legislation: Toward decentralisation? », International Journal of Constitutional Law 2004, p. 462 et s.

[29] Cahier n° 28.

[30] Voir aussi J. Bonnet, Le juge ordinaire français et le contrôle de la constitutionnalité des lois. Analyse critique d’un refus, Dalloz 2009, p. 520 et s.

[31] «5. Quand une Section du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes juge inconstitutionnelle une disposition d’une loi formelle, elle renvoie obligatoirement la question à l’assemblée plénière correspondante, sauf si cette question a été jugée par un arrêt antérieur de l’assemblée plénière ou de la Cour spéciale suprême de cet article. L’assemblée plénière est constituée en formation juridictionnelle et se prononce de manière définitive, ainsi qu’il est prévu par la loi. Cette réglementation s’applique aussi par analogie lors de l’élaboration des décrets réglementaires par le Conseil d’État.».

[32] Voir l’arrêt Križan précité, points 62–73.

[33] Voir l’arrêt du 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10, précité.

[34] Arrêt du 22 juin 2011, C-399/09.

[35] O. Peiffert, op. cit., p. 21 s.

[36] Corte costituzionale (Italie), ord. n° 103, 13 février 2008. La CJUE, en grande chambre, a répondu par l’arrêt du 17 novembre 2009, C-169/08, Presidente del Consiglio dei Ministri c/ Regione autonoma della Sardegna.

[37] Tribunal constitucional (Espagne), 9 juin 2011, ATC 86/2011, recours d’amparo n° 6922-2008, com. L. Burgorgue-Larsen in E. Saulnier-Cassia (dir.), Chronique « Jurisprudences nationales intéressant le droit de l’Unioneuropéenne » RTD eur. 2012. 271. La CJUE a répondu par l’arrêt du 26 février 2013, C-399/11, Stefano Melloni c/ Ministerio Fiscal.

[38] Conseil constitutionnel, 4 avril 2013, n° 2013-314P QPC. La CJUE a répondu par l’arrêt du 30 mai 2013, C-168/13 PPU, Jeremy F. c/ Premier ministre.

[39] Voir l’arrêt du 14 janvier 2014, BVerfG, 2 BvR 2728/13 et les conclusions du 14 janvier 2015 de l’Avocat général Pedro Cruz Villalón (points 30 s.), dans l’affaire C-62/14, Gauweiler, dans laquelle est rendue l’arrêt du 16 juin 2015.

[40] Point 52.

[41] Voir E. Saulnier-Cassia, « Première lecture : Non ! La QPC est contraire au droit de l’Union ! », in A. Levade et E. Saulnier-Cassia, Dialogue contradictoire autour de l’arrêt de la Cour de justice : le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité est-il compatible avec le droit de l’Union ?, Constitutions 2010, p. 519 s.

[42] Voir la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2009, 2009-595 DC, RFDA 2010, n°1, p. 11, cons. n° 14.

[43] Point 57.

[44] Voir Conseil constitutionnel, 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, AJDA 2010, p. 1048; D. 2010. 1321, note A. Levade, Conseil d’Etat, 14 mai 2010, Rujovic, req. n° 312305, AJDA 2010, p. 1048; D. 2010, p. 1229, chron. P. Fombeur. Voir aussi G. Drago, Contentieux constitutionnel français, 3e édition, PUF 2011, n° 501.

[45] Voir l’arrêt du 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10, Melki et Abdeli, précité, point 57.

[46]

Voir A. Levade, « Seconde lecture : Oui ! La QPC est compatible avec le droit de l’Union ! », in A. Levade et E. Saulnier-Cassia, Dialogue contradictoire autour de l’arrêt de la Cour de justice : le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité est-il compatible avec le droit de l’Union ?, op.cit.

[47] Voir la décision du 17 décembre 2010, n° 2010-79 QPC, M. Kamel D. [Transposition d’une directive], JO du 19 décembre 2010, p. 22373, cons. n° 3, D. Simon, « Jurisprudence constitutionnelle », Europe 2011, comm. 98, B. Mathieu, « Jurisprudence relative à la Question prioritaire de constitutionnalité 4 novembre 2010 – 4 février 2011 », JCP G 2011, p. 192.

[48] Voir les arrêts de la Cour de cassation, ass. plén., 29 juin 2010, n° 10-40.001 et n° 10-40.002, Melki et Abdeli. Voir aussi G. Drago, Contentieux constitutionnel français, op.cit., n° 503.

[49] Point 65.

[50] Point 64.

[51] Voir l’arrêt de la Grande Chambre, du 7 novembre 2103, n° req. 29381/09 et 32684/09.

[52] Voir C. Yannakopoulos, « Entre ‘Simmenthal II’ et ‘Vallianatos e.a. c. Grèce’: le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois heurtant aux deux cours européennes » (en grec), in Mélanges en l’honneur de V. Skouris (en grec – sous presse).

[53] Voir R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Sirey 1920 et 1922, réédition Dalloz, 2004, t. Ι, p. 329.

[54] Voir le par. 14 du chapitre 11 de la Constitution suédoise et l’art. 106 de la Constitution de la Finlande.

[55] Voir les articles 87 et 100 de la Constitution grecque.

[56] Art. 2 par. 1 TFUE.

[57] Art. 2 par. 1 TFUE.

[58] Voir, à titre indicative, l’arrêt du 9 février 2006, C-226 et C-228/04, La Cascina, point 22.

[59] Voir, à titre indicative, l’arrêt Simmenthal, précité, point 21.

[60] Voir, à titre indicative, les arrêts du 19 janvier 2006, C-330/03, Colegio de Ingenieros de Caminos, Canales y Puertos (point 29) et du 16 juillet 2009, C 208/07, Chamier-Glisczinski (point 63).

[61] Voir D. Simon, Directive, in Rép. Communautaire Dalloz – mai 1998, n° 32-34. Voir aussi les arrêts du 15 octobre 1986, 168/85, Commission c. Italie (point 11) et du 18 janvier 2011, C-162/99, Commission c. Italie (point 33).

[62] Voir les arrêts du 14 décembre 1982, C-314 à 316/81 et 83/82, Alex Waterkeyn et Jean Cayard, points 14 et 15. Voir aussi l’arrêt du 19 janvier 1993, C-101/91, Commission c. Italie.

[63] Voir l’arrêt Solvay e.a., précité.

[64] Voir l’arrêt Solvay e.a., précité, points 53 s.

[65] Voir l’arrêt du 19 mai 2009, C-171/07 et C-172/07, Apothekerkammer des Saarlandes, point 42.

[66] Voir les arrêts du 8 septembre 2010, C-46/08, Carmen Media Group (point 68),  du 2 octobre 1999, C‑67/98, Zenatti (points 36–37) et du 6 mars 2007, C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Placanica e.a. (points 52–53).

[67] Voir G. Anagnostaras, « Les jeux sont faits? Mutual recognition and the specificities of online gambling », ELRev 2012, 37(2), p. 191 s.

[68] Voir les conclusions de l’Avocat général P. Mengozzi, du 4 mars 2010, dans les affaires C-316/07, C-358/07 à 360/07 et C-409/07 à C-410/07, Markus Stoß, point 50.

[69] Voir l’arrêt du 13 juillet 2000, C-160/99, Commission c. France, point 22.

[70] Voir Dupré de Boulois X.,  « La théorie des actes de gouvernement à l’épreuve du droit communautaire », RDP 2000, p. 1791 s. Voir aussi les arrêts du 14 janvier 1997, C‑124/95, Centro-Com, et du 15.12.2009, C-284/05, Commission c. Finlande.

[71] Voir l’arrêt du 14 décembre 1982, C-314/81 à 316/81 et 83/82, Procureur de la République / Waterkeyn, points 14–15.

[72] Voir, p.ex., l’arrêt du 5 octobre 1994, C-165/91, Van Munster (point 34) et, en ce sens également, l’arrêt du 13 novembre 1990, C-106/89, Marleasing (point 8).

[73] Voir, notamment, les arrêts Simmenthal, précité (point 21) et du 5 mars 1998, C-347/96, Solred (point 30).

[74] Point 59-60.

[75] Voir J.-M. Sauvé, « Question prioritaire de constitutionnalité. Le contrôle de constitutionnalité en Europe, Gazette du Palais », 9.6.2011, n° 160, p. 7.

[76] Voir Α. Tryfonidou, Reverse Discrimination in EC Law, Wolters Kluwer, 2009, not. p. 63 s.

[77] Voir l’arrêt du 16 juin 1994, C-132/93, Steen II.

[78] Voir l’arrêt du 22 décembre 2010, C‑279/09, DEB, point 56.

[79] Voir l’ordonnance du 29 janvier 2004, C-253/01, Krüger, point 36.

[80] Voir C. Yannakopoulos, L’influence du droit de l’Union européenne sur le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois, op.cit., n° 360 s.

[81] Voir l’arrêt du 18 juillet 2007, C-119/05, Lucchini (points 60–63) et du 3 septembre 2009, C-2/08, Fallimento Olimpiclub (points 29–32).

[82] Voir l’arrêt du 19 novembre 2009, Filipiak, précité (point 85) et du 8 septembre 2010, Winner Wetten, précité (point 60).

[83] Voir l’arrêt Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne, précité, points 59-63.

[84] Voir l’arrêt Winner Wetten, précité, point 67.

[85] Ibidem.

[86] Cf. P. Eleftheriadis, « Pluralism and Integrity, Ratio Juris, v. 23, No 3, 2010 (365-389), M. Kumm, « Constitutionalism and the Moral Point of Constitutional Pluralism: Institutional Civil Disobedience and Conscientious Objection », in Dickson/Eleftheriadis, Philosophical Foundations of EU Law [OUP 2012].

[87] Il a été admis, à l’unanimité, que cette obligation découle de la déclaration interprétative introduite par la révision constitutionnelle de 2001 au-dessous de l’article 28 de la Constitution grecque, qui réglemente les rapports entre le droit national et les règles de droit international. Selon cette déclaration interprétative,  «L’article 28 constitue une base de la participation du Pays au processus d’intégration européenne».

[88] Décision du 8 mai 2010 adressée à la Grèce en vue de renforcer et d’approfondir la surveillance budgétaire et mettant la Grèce en demeure de prendre des mesures pour procéder à la réduction du déficit jugée nécessaire pour remédier à la situation de déficit excessif (JOUE L 145/6 11.6.2010).

[89] Arrêt du 16 juin 2015, C-62/14 (points 11-17).

[90] Voir les points 30 s. des conclusions précitées du 14 janvier 2015 de l’Avocat général Pedro Cruz Villalón.